Des piafs malins comme des singes

Deux chercheurs anglais viennent de montrer que certains oiseaux de montagne, les choucas, sont capables d'interpréter les gestes et œillades humaines sans apprentissage préalable. Une faculté dont peu de primates peuvent se prévaloir. Qui a dit que les oiseaux avaient tous des cervelles de moineaux ?

le 17/04/2009

Des choucas et des hommes

Un choucas, Corvus monedula.

Quand le sage désigne la nourriture, l'âne regarde le doigt... et le choucas, son mets favori. Des éthologues de l'université de Cambridge l'affirment : cet oiseau voltigeur comprend le sens d'une désignation sans qu'on le lui ait appris (1). De quoi faire passer la plupart des primates (dont les chimpanzés) pour des demeurés puisque leur jugeote ne les emmène guère au-delà du doigt. Cette conclusion, une équipe l'a obtenue en soumettant une dizaine de choucas élevés en captivité à des tests initialement conçus pour jauger l'intelligence des singes.

Pour la première expérience, les chercheurs ont mis sur pied une sorte de remake édulcoré de David et Goliath. Dans le rôle de David, la bête à plume, le choucas, Corvus monedula. Dans celui de Goliath, un homme inconnu de l'oiseau et donc jugé comme potentiellement dangereux. Les deux protagonistes sont placés face à face, ou plutôt face à bec, et l'on dépose entre eux un mets dont l'oiseau raffole. Pas l'homme, mais ça, l'oiseau l'ignore.

Prendre ou laisser un mets quand un inconnu regarde....

L'homme étant novice, on lui donne des instructions très strictes : il doit, selon les scènes, fixer l'oiseau, regarder sur le côté, montrer son profil, lui tourner le dos ou encore fermer les yeux. Le choucas, lui, est laissé en roue libre. En totale improvisation. Le nœud de l'intrigue tient alors en cette question toute simple : le jeu de l'homme influencera-t-il le temps que mettra l'oiseau pour se décider à chiper la nourriture ?

Réponse : oui, Goliath influence David. Dans cette situation conflictuelle, le choucas s'enhardit à mesure que le géant semble se désintéresser de lui. Détail intéressant : si l'homme le fixe, il hésite plus que s'il regarde sur le côté, sans néanmoins tourner le visage. Un constat qui en appelle un autre : l'oiseau interprète correctement la signification du regard humain. Ce qui n'était pas gagné vu qu'un oiseau ne peut lorgner son prochain que d'un seul œil, de profil donc. Mais il y a encore plus fort.

1- A. von Bayern & N. Emery, Current Biology, le 1er avril 2009.

Le sens du doigt

Les résultats de la seconde expérience anglaise.

Galvanisés par ce résultat, les chercheurs se sont ensuite lancé dans un « Starsky et Hutch » version labo. L'oiseau, noir comme la chevelure seventies de Starsky, est cette fois placé devant un individu connu de longue date. Un humain si familier qu'il ferait presque partie de la famille. Un Hutch, en somme.

Entre les deux, les chercheurs ont placé deux gobelets retournés : l'un est vide, l'autre masque de la nourriture. Question du jour : où se trouve l'encas ? En bon inspecteur, l'oiseau Starsky se questionne, hésite et consulte son équipier. Mais Hutch est d'humeur versatile : des fois, il regarde en l'air, des fois, sur le côté ; d'autres fois, de meilleur poil, il désigne le bon gobelet du doigt ou du regard, ses yeux faisant des allers-retours entre lui et le gobelet d'abondance. Des signes qui, de foi de choucas, ne trompent pas et que l'oiseau interprète correctement dans plus de 60% des cas.

« Là se trouve le point le plus intéressant de l'étude, explique Dalila Bovet, chercheuse au laboratoire d'éthologie et de cognition comparée de l'université de Nanterre. Dans ce contexte de coopération, l'oiseau est capable de comprendre la signification d'une désignation par l'index et ce, sans apprentissage préalable. Une capacité qui n'a été observée que chez les chiens ou les éléphants. » De quoi reconsidérer nos a priori sur l'intelligence animale.

Le corbeau et le renard

Car depuis Aristote, on croyait la chose entendue : l'intelligence était une affaire d'homme, le plus complexe de tous les animaux. Venaient ensuite les grands singes, les mammifères et, très loin derrière, les oiseaux. Reste que dans les années 1970, ce dogme anthropocentriste bascule sans prévenir… à cause d'un oiseau. L'Américaine Irène Pepperberg montre en effet qu'Alex, son perroquet gris du Gabon, est capable d'utiliser une cinquantaine de mots ; il répond à des questions – ce qui sous-tend qu'il les comprend – et peut même compter jusqu'à 6. Des performances équivalentes à celles des grands singes !

Un représentant des corvidés : le grand corbeau.

La communauté scientifique croit d'abord à un canular avant de se rendre à l'évidence : les oiseaux, ces petites choses dépourvues de néocortex (le siège de la raison chez l'homme), seraient intelligents. Mais histoire d'en avoir le cœur net, dès les années 1980, et surtout à partir des années 1990, les chercheurs soumettent toutes sortes d'oiseaux à toutes sortes de tests. En vingt ans, ils découvrent ainsi, abasourdis, que les poussins de poulet comptent jusqu'à 3 (2), que les pies se reconnaissent dans un miroir (test de la tache) ou encore que les corneilles inventent des outils en milieu naturel comme en laboratoire. Au Japon, des corvidés utilisent même les voitures comme de vulgaires casse-noisettes quand d'autres espèces inventent de nouvelles techniques de pêche par exemple en détournant un bout de pain pour s'en servir comme appât.

2- R. Rugani et al., Proceedings of the Royal Society, 1er avril 2009.

Une tête bien faite plus que bien pleine

« En fait, il est vite apparu que nombre d'oiseaux, en particulier les corvidés et les perroquets, disposaient d'une intelligence "concrète" : face à des situations nouvelles, ils sont capables d'innover », explique Dalila Bovet.

Pour la chercheuse, le fait que l'on s'en soit aperçu aussi tardivement n'a rien d'étonnant. « Nous jugions l'intelligence des oiseaux en fonction des espèces que nous avions, au fil des âges, apprivoisées. » Pour résumer, nous assimilions tous les oiseaux à des pigeons ou des poules, des espèces difficilement qualifiables de bêtes de « QI ». Les oiseaux plus futés, comme les pies, les choucas et surtout les corneilles, jugés comme nuisibles par l'homme, ont souvent fait l'objet d'une chasse intensive. En conséquence, ils ont quasiment disparu du paysage et des champs de recherche assignés aux scientifiques.

Ceci étant dit, quelques décennies après le début de ces études, au moins une question cruciale reste en suspens : pourquoi certaines espèces d'oiseaux rivalisent d'intelligence avec les primates et d'autres non ? « Les recherches menées sur les grands singes ont montré toute l'importance du système social (hiérarchie au sein du groupe...) dans l'émergence de l'intelligence, répond Dalila Bovet. C'est ce que l'on appelle l'hypothèse du cerveau social. Il est en fait possible qu'un processus similaire soit apparu chez les oiseaux. » La jugeote des corvidés et des perroquets, espèces sociales et fidèles à vie, semblent en tout cas abonder dans ce sens.

le 17/04/2009