XX ou XY : le grand tri, c'est parti ?

Choisir le sexe de son bébé, sans raison médicale, c'est ce que proposent, pour quelques milliers d'euros, certaines cliniques aux Etats-Unis et, depuis peu, en Europe. À l'heure où le Sénat, en France, a adopté en seconde lecture le projet de loi relatif à la bioéthique, le point sur une pratique controversée avec quatre spécialistes de la reproduction…

Par Fanny Villecroze, le 18/06/2004

Fille ou garçon ? Faites votre choix…

Un procédé qui fait débat aux Etats-Unis…

En Belgique, la première petite fille conçue selon une méthode américaine de sélection du sexe vient de fêter son premier anniversaire. Depuis, d'autres couples ont eu recours à cette technique baptisée MicroSort. Seules conditions : avoir déjà un enfant du sexe opposé, s'engager à ne pas avorter en cas d'échec… et pouvoir débourser la somme de 6300 euros !

En Angleterre, la méthode Ericsson - elle aussi américaine - permet également de choisir le sexe de son enfant pour convenance personnelle. Moins coûteuse (650 euros), mais aussi moins fiable, cette technique est actuellement pratiquée par une quarantaine de cliniques dans le monde.

Le tri des spermatozoïdes

Caryotype humain

Ces techniques reposent sur le tri des spermatozoïdes en fonction de la quantité d'ADN qu'ils contiennent. Le chromosome X (féminin) contenant davantage d'ADN que le chromosome Y (masculin), les spermatozoïdes contenant l'X sont plus gros que ceux contenant l'Y.

La méthode MicroSort consiste à trier les gamètes mâles en fonction de leur taille, les spermatozoïdes porteurs du chromosome X étant sensiblement plus épais que ceux porteurs du chromosome Y. L'utilisation d'un colorant fluorescent spécifique de l'ADN permet de visualiser, grâce à un laser, le matériel chromosomique des spermatozoïdes puis de les trier selon leur taille. L'embryon du sexe désiré, conçu in vitro, est ensuite implanté dans l'utérus de la mère. Développée il y a une dizaine d'années par le ministère américain de l'Agriculture pour la sélection des animaux, cette technique a été adaptée à l'homme en 1998 par des chercheurs du Genetics and IVF Institute (GIVF), en Virginie, qui en détient encore aujourd'hui le brevet. L'hôpital de Gent en Belgique, qui a recours à cette méthode, se voit ainsi dans l'obligation d'envoyer trier le sperme de ses patients outre-Atlantique !

La méthode Ericsson, brevetée en 1975 par le Docteur Ericsson, repose en revanche sur la vitesse de migration des gamètes, les spermatozoïdes porteurs du chromosome Y, plus légers, migrant plus rapidement que ceux contenant le chromosome X. Une solution salée et protéinée agissant comme un filtre permet ainsi de séparer les cellules spermatiques.

Des techniques réellement fiables ?

Selon son inventeur, la méthode Ericsson serait efficace dans 81 % des cas pour les garçons, et 74 % des cas pour les filles. Le Genetics and IVF Institute (GIVF) annonce quant à lui un taux de réussite de 91% pour les filles et de 76% pour les garçons avec la méthode MicroSort.

MicroSort : une technique encore à l'essai ?

Des résultats qui laissent sceptiques bon nombre de scientifiques. Dans un rapport commandé en 2002 par le gouvernement britannique, The Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA) – une instance gouvernementale de régulation – met en doute l'efficacité de la méthode Ericsson.

De plus, elle souligne l'absence d'études à long terme des risques associés à la technique MicroSort. Une réserve déjà émise en 1997 par certains chercheurs du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique évoquant le recours à des substances potentiellement mutagènes, telles que le fluorochrome et les rayons lasers, susceptibles d'endommager le matériel chromosomique des spermatozoïdes.

Un vide juridique

La loi belge relative à la recherche sur les embryons in vitro interdit la sélection des embryons en fonction du sexe, sauf s'il s'agit d'éviter une maladie génétique grave liée au sexe. En revanche, aucune loi n’interdit la sélection des spermatozoïdes !

« Des techiques difficiles à règlementer... » Jacques Montagut, médecin-biologiste de la reproduction

Un vide juridique qui permet aux cliniques de proposer ce genre de méthodes au nom du « family balancing », autrement dit pour réaliser l'équilibre des sexes dans la famille. Une « autonomie fondamentale » dont devraient disposer les couples au même titre que la maîtrise de la procréation, selon le Professeur Comhaire, praticien de cette méthode à l'hôpital universitaire de Gent. Huit ans après, le Comité consultatif de Bioéthique belge reste toujours divisé sur la technique utilisée.

En France, la loi sur la bioéthique du 29 juillet 1994autorise le recours à l'assistance médicale à la procréation dans certaines situations : pour remédier à l'infertilité ou encore pour éviter la transmission à l'enfant d'une maladie grave. (Voir le dossier « les (nouvelles) façons de faire des bébés »). Le Parlement s'apprête actuellement à ratifier la Convention Internationale de l'UNESCO sur les droits de l'homme et la biomédecine dont l'article 14 interdit formellement le recours à ces techniques pour choisir le sexe de l'enfant à naître, sauf en vue d'éviter une maladie héréditaire grave liée au sexe. L'Association Médicale Mondiale (AMM), organisation internationale de médecins, s'est également fermement opposée à tout prédéterminisme du sexe.

Aux Etats-Unis aucune législation n'encadre ces procédés de sélection du sexe.

« Family-balancing » ou dérive sexiste, voire eugéniste ?

Franck Comhaire

« Un procédé au service de l'équilibre de la famille
que devrait proposer le planning famillial... »

Jacques Montagut

« Des techniques éthiquement inacceptables
tant au point de vue médical que social... »

Joëlle Belaïsch-Allart

« Une solution de moindre mal
pour les pays en développement... »

Jacques Testart

« Une dérive sexiste et une tendance inquiétante
à vouloir absolument maîtriser le hasard... »

Fanny Villecroze le 18/06/2004