Un parasite qui pousse au suicide

La toxoplasmose, une infection généralement bénigne mais très répandue, augmenterait considérablement le risque de suicide chez les individus qui en sont porteurs.

Par Yaroslav Pigenet, le 21/08/2012

Kyste de T. Gondii dans un tissu musculaire

La plupart du temps, on ne se rend même pas compte qu’il nous a infecté. Et pourtant, Toxoplasma gondii (T. Gondii), le microbe responsable de la toxoplasmose, pourrait favoriser les pensées suicidaires et les automutilations chez ceux qu’il infecte. C’est du moins ce qu’affirme une nouvelle étude parue dans The Journal of Clinical Psychiatry.

50 à 70% de la population française serait porteuse du protozoaire T. Gondii, mais on pensait jusqu’ici qu’hormis chez les femmes enceintes et les sujets immuno-déprimés, l’infection ne causait généralement que des symptômes bénins, au pire similaires à ceux provoqués par une mononucléose. En fait, les travaux menés par une équipe américano-suédoise de psychiatres indiquent que le parasite, qui s’installe durablement dans l’organisme, pourrait être à l’origine d’une inflammation chronique affectant les cellules du cerveau.     

Le cycle d’un parasite banal

Cycle parasitaire de Toxoplasma gondii

T. Gondii est un protozoaire qui parasite les cellules des organismes à sang chaud. Son hôte final est le chat, dans le système digestif duquel il peut se reproduire puis se disséminer sous forme d’œufs via les excréments. De là, il peut infecter le bétail, les oiseaux et les humains qui servent d’hôtes transitoires : T. Gondii s’installe alors durablement, sous forme de kystes, dans les organes et les muscles de l’animal infecté. L’homme est généralement contaminé en consommant de la viande contaminée mal cuite, des crudités ou des eaux souillées par des déjections félines. Dans 80% des cas l’infection humaine passe totalement inaperçue, pour les 20% restant, elle se manifeste par un gonflement des ganglions suivi d’une fièvre modérée et d’une fatigue prolongée. Une fois cette phase infectieuse terminée, le parasite se réfugie dans les tissus les moins accessibles au système immunitaire et s’y enkyste. On peut toutefois détecter indirectement sa présence par un diagnostic sérologique mesurant la quantité d’immunoglobulines dans le sang.    

« Des recherches antérieures ont mis en évidence des signes d’inflammation dans le cerveau de personnes s’étant données la mort ou luttant contre la dépression, précise Lena Brundin, professeur de psychiatrie expérimentale à l’Université d’Etat du Michigan. Dans notre étude, nous avons découvert que si vous êtes porteurs du parasite, vous êtes 7 fois plus susceptible de tenter de vous suicider. » Afin de déterminer la présence ou non du parasite, Lena Brundin et ses collègues ont ainsi effectué une analyse sérologique sur 54 sujets ayant déjà tenté de se suicider et sur 30 sujets « sains ». Par ailleurs chaque sujet a dû répondre à un questionnaire de 20 QCM, ce qui a permis de leur attribuer un score sur l’échelle d’évaluation du risque suicidaire le (SUAS-S).    

7 fois plus de risque de suicide

Les résultats montrent que les patients infectés ont des scores significativement supérieurs à ceux obtenus par les sujets non porteurs de T. gondii; ce qui indique un risque plus important de passage à l’acte suicidaire chez les premiers. Les chercheurs ont également constaté que plus la charge infectieuse était importante, plus les sujets avaient de « chance » d’avoir déjà commis des tentatives de suicide ou des automutilations. Toutefois, Lena Brundin tient à préciser que ces données n’impliquent pas que tous les porteurs de T. Gondii deviendront suicidaires mais que « certains individus peuvent, pour certaines raisons, être plus susceptibles de développer les symptômes d’un comportement suicidaire. »

Lena Brundin et ses collègues travaillent depuis une dizaine d’années sur les liens entre inflammation et dépression. Leurs travaux les ont ainsi conduits à penser que certaines infections parasitaires déclenchent des inflammations chroniques qui peuvent modifier durablement la chimie du cerveau ; ce qui, dans certain cas peut entraîner un état dépressif, voire des idées suicidaires. « Je pense qu’il est très encourageant de trouver des modifications biologiques chez les patients suicidaires. Cela veut dire que nous allons pouvoir développer de nouveaux traitements pour prévenir le suicide. »

Yaroslav Pigenet le 21/08/2012