Quand les scientifiques se mettent à bloguer…

Bloguer, c'est-à-dire publier des informations, des opinions ou des commentaires sur un blog, est devenu une activité à la mode, accessible à chacun. Mais c'est aussi et surtout en passe de devenir une nouvelle façon de communiquer dans la communauté scientifique, et donc de recueillir de l'information scientifique.

Par Clara Delpas, le 05/03/2009

Qu'est-ce qu'un blog de science ?

Bien souvent associés à des journaux intimes d'adolescents narcissiques s'exposant sur le Net, les blogs ont cependant une philosophie plus ambitieuse : ils sont devenus un nouveau moyen d'expression publique accessibles à tous…même aux scientifiques ! De quoi parlent donc ces scientifiques qui bloguent ? Mais de science, bien sûr… On trouve absolument de tout dans les billets ! « Je voudrais signaler un article récent d'Ashtekar qui fait le point sur les progrès dans le domaine de la cosmologie quantique à boucles (loop quantum cosmology). » lit-on sur le blog de Fabien Besnard, enseignant-chercheur en mathématiques à l' EPF de Sceaux. Pour sa part, le polytechnicien Alexandre Moatti, concepteur des sites gouvernementaux de sciences, blogue en s'amusant à expliquer des notions de mathématiques et de physique au plus large public possible. Commentaires sur l'actualité scientifique en cours, vulgarisation des notions complexes des disciplines qu'ils maîtrisent, les scientifiques sont de plus en plus présents sur la Toile.

Un carnet de recherche

De plus en plus de scientifiques utilisent les blogs pour communiquer sur leurs travaux en cours. Même si cette activité, très dépensière en temps, n'est pas officiellement reconnue comme une activité de recherche... Ces blogs, plus sérieusement dénommés « carnets de recherche » peuvent être « un carnet de fouilles archéologiques ou de terrain, une chronique scientifique sur un thème précis, un carnet de bord d'une recherche collective en cours ou une Newsletter scientifique », explique Marin Dacos, directeur du CLEO (Centre pour l'édition électronique ouverte), un laboratoire marseillais associant le CNRS, l'EHESS, l'Université de Provence et l'Université d'Avignon. Le CLEO invite les équipes de recherche en sciences humaines et sociales à ouvrir des carnets de recherche sur le portail Hypothèses, une plateforme expérimentale spécialement dédiée, avec une interface d'édition très simple, ne nécessitant pas de connaissance informatique particulière.

Le blog de la grotte des Fraux

Autre exemple, sur le blog de la grotte des Fraux, où ont été découverts des vestiges archéologiques et des manifestations d'art préhistorique, on suit l'équipe de scientifiques, photos à l'appui, jour après jour (ou presque, les fouilles sur le terrain s'arrêtant en hiver). « 26 octobre 2008 – Les premières impressions, au moment où nous interrompons la fouille de ce secteur avant d'engager son analyse spatiale, sont celles d'une zone ''d'habitat'' caractérisée par un épandage de rejets domestiques – céramiques fragmentées et restes osseux – gravitant autour d'une structure de combustion... ». L'objectif des chercheurs transparaît aussitôt : ce blog est un journal de bord, un vrai cahier de fouilles interactif ! Une version numérique du « carnet de terrain » que l'archéologue démarre aux premiers coups de truelle et poursuit jusqu'à la publication.

En direct du laboratoire

Les blogueurs de science utilisent les blogs comme des espaces ouverts de discussion. Ils reviennent ainsi à l'un des fondements essentiels de la démarche scientifique. Explication : lorsqu'un chercheur participe à un séminaire, ce qu'il échange est considéré comme transitoire. Mais s'il publie ses idées sur Internet, un autre chercheur peut, même plusieurs mois après, poser son commentaire, le rapprocher de ses travaux, continuer à échanger. « On touche à une dimension heuristique, propre à la découverte, qui correspond à une pratique très ancienne, la disputatio, ou tout simplement l'échange de discussions entre savants », résume Marin Dacos.

Ces échanges sont souvent très fructueux, les exemples de travaux soumis à discussion par leurs auteurs, voire même les projets de publications proposés à correction commencent à être légion. Les possibilités de communication et d'échanges offertes par le simple fait de publier sur son blog sont en train de changer les pratiques et les caractéristiques de la recherche, qui peut aujourd'hui devenir plus immédiate et plus collaborative. Les résultats scientifiques peuvent ainsi être partagés par les équipes avant même d'avoir été publiés dans une traditionnelle revue à comité de lecture.

Mais qu'en est-il des secrets de laboratoire que les chercheurs n'osent divulguer de peur qu'on leur "pique" leurs recherches? « C'est une crainte totalement infondée, estime Marin Dacos. Le grand avantage de la publication électronique est justement qu'un tiers peut attester aussitôt que c'est bien publié. Plus les chercheurs rendent public, moins ils risquent d'être copiés. C'est au contraire la discrétion qui rend les chercheurs plagiables. »

Quant aux brevets, pas plus de crainte à avoir, puisque la loi impose leur dépôt avant toute publication. Les procédures de validation par la communauté scientifique restent en revanche inchangées. « Les revues scientifiques sont l'un des filtres les plus influents du savoir dans la communauté de la recherche », rappelle Gloria Origgi, philosophe à l'Institut Jean-Nicod (CNRS-EHESS). Même si leur lourdeur (délai de publication, coût du papier) tend à être allégée par la mise en place de la  « Publication liquide » par voie électronique.

Un essor encore timide en France

Il est très difficile de connaître le nombre exact de blogs scientifiques aujourd'hui, car ils sont multiformes, allant du simple commentaire de l'actualité scientifique à la thèse mise en ligne en passant par un projet de publication. Pour Marin Dacos, les blogs de scientifiques se distinguent en deux genres : d'une part les blogs "grand public" ou blogs de médiation dans lesquels les scientifiques s'expriment personnellement et vulgarisent les connaissances. D'autre part, les blogs de recherche, d'audience plus confidentielle, dont l'accès reste réservé aux rares initiés, mais qui servent véritablement d'outils de travail aux équipes, faisant avancer plus vite la science... Comme souvent, le phénomène est né aux Etats-Unis, puis s'est très vite répandu un peu partout dans le monde. En 2007, les moteurs de recherche en recensaient à peine plus de 1000*.

En 2008, le phénomène a pris de l'ampleur, à voir l'activité des plateformes d'hébergement spécifiques telles que la plateforme américaine Researchblogging lancée en janvier 2008, et qui a enregistré en quelques mois plus de 450 inscriptions**. La part des blogs scientifiques est à relativiser tout de même : le World Wide Web compte plus de 100 millions de blogs aujourd'hui ! Dans le monde francophone, les principales plateformes de blogs de science ont été lancées dès 2005 par les Canadiens de l'Agence Science Presse Science, on blogue ! (une centaine de membres), suivie en 2006 par le Français Antoine Blanchard (alias « Enro ») C@fé des Sciences (une vingtaine de membres).

* Bonetta Laura « Scientists Enter the Blogosphere » Cell, 2007, 129 ( 3- 4) : 443-445 (mai 2007) ; ** Batts SA, Anthis NJ, Smith TC « Advancing Science through Conversations: Bridging the Gap between Blogs and the Academy. » PLoS Biol 6(9): e240 doi:10.1371/journal.pbio.0060240 (septembre 2008)

Fenêtre sur science

Cependant, mis à part les membres des plateformes de blogs de sciences, de fait bien identifiés, il est loin d'être toujours facile de connaître le statut de l'auteur ou des auteurs (journaliste scientifique, équipe de chercheurs, scientifique isolé) des blogs de science : de façon plutôt paradoxale, bon nombre de blogueurs gardent l'anonymat sur leur blog. Il est alors difficile dans ce contexte pour l'internaute de ne pas rester prudent face à l'information qu'il trouve sur Internet. Dans les médias traditionnels, l'information scientifique est au moins "filtrée" et pré-digérée par les journalistes.

Les blogs répondent aussi, et peut-être surtout, à un besoin de contact direct entre les scientifiques et le grand public : selon l'Eurobaromètre (télécharger le rapport en pdf), 52% des Européens préfèrent une information scientifique produite par les chercheurs eux- mêmes… plutôt que par des journalistes ! Un chiffre à rapprocher de celui d'un autre sondage qui rapporte qu'un scientifique sur trois voit les médias comme un obstacle*.

Homo Numericus

Ces réserves mises à part, l'internaute dispose en théorie d'une vraie « fenêtre ouverte » sur la science en train de se faire : « Le blog permet de court-circuiter les barrières entre public et recherche, et surtout d'entamer un échange. Sur un blog, le citoyen peut poser des questions aux scientifiques, demander des références, engager un véritable dialogue, constate Antoine Blanchard. » Bref, comme le dit avec une certaine ferveur le chercheur Pierre Mounier, éditeur du site Homo Numericus, « les blogs de science réhumanisent la science ! ».

* British Association for the Advancement of Science, "Connecting Science", p. 41, avr. 2005

Clara Delpas le 05/03/2009