Nucléaire : quelle durée de vie pour les centrales françaises ?

Les premiers « examens des 30 ans » des centrales nucléaires françaises ont commencé. Ils permettront de voir si ces centrales sont aptes à fonctionner dix ans de plus. Mais EDF en veut davantage : prolonger ses centrales jusqu'à au moins 60 ans.

Par Cécile Michaut, le 17/09/2009

Examen de passage des centrales

Le site nucléaire de Tricastin

Le grand « check-up » des centrales nucléaires françaises a commencé. Il s'agit d'une visite qui a lieu tous les dix ans. Les installations qui atteignent 30 ans sont arrêtées et examinées sous toutes les coutures afin d'évaluer si elles sont aptes à fonctionner pendant encore dix ans. La centrale de Tricastin 1, dans la Drôme, est la première concernée. Elle est arrêtée depuis mai 2009, pour trois à six mois. A l'issue de cet examen mené par EDF sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN, le « gendarme » du nucléaire), EDF publiera un rapport qui servira de base à l'ASN pour donner son avis sur l'avenir de la centrale, à l'automne 2010. Puis ce sera le tour de celle de Fessenheim 1, dans le Haut-Rhin.

La durée de vie des centrales

Quelle est la durée de vie maximale des centrales en France ?

En France, la législation n'impose pas de durée maximale pour l'exploitation des centrales. En revanche, elle prévoit un réexamen de sûreté tous les dix ans, selon la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sûreté en matière nucléaire. L'Autorité de sûreté nucléaire est chargée des inspections des installations nucléaires (dont des inspections inopinées). Elle peut à tout moment, en cas de risques graves et imminents, arrêter une installation. Mais la décision d'arrêt définitif d'une centrale relève des ministres (de l'industrie et de l'environnement) en charge de la sûreté nucléaire. Actuellement, la moyenne d'âge des centrales françaises est de 23 ans, et la plus vieille en activité est celle de Fessenheim, mise en service en 1977. Au niveau mondial, moins de dix réacteurs dépassent 40 ans.

Tous les équipements passés au crible

En quoi consiste la visite décennale de Tricastin ?

Lors de la visite décennale, l'ensemble de la centrale est examiné. Il existe notamment deux examens phares, qui concernent le circuit primaire principal (là où circule l'eau en contact avec le combustible) et l'enceinte de confinement, qui constitue une barrière supplémentaire autour de la cuve, du circuit primaire et du générateur de vapeur. Tous deux sont mis sous des pressions supérieures à celles qu'ils subissent en fonctionnement, pour vérifier leur étanchéité.

Un autre équipement est particulièrement ausculté : la cuve dans laquelle ont lieu les réactions nucléaires. Elle subit en effet de nombreuses agressions liées à l'irradiation et aux hautes températures. Or, elle ne peut être remplacée. Il faut donc vérifier sa solidité, à l'aide d'examens visuels (absence de fissures), et en testant les propriétés mécaniques de l'acier. Tous les autres équipements, petits ou grands, sont également passés au crible : vannes, pompes, soudures, équipements de contrôle-commande, générateurs de vapeur, câbles... ce sont ainsi près de 10 000 vérifications qui sont effectuées.

Des enjeux financiers énormes

La centrale de Tricastin pourrait-elle être arrêtée suite à la visite décennale ?

L'enjeu de ces réexamens de sûreté est énorme : plus de la moitié du coût de l'électricité produite par une centrale nucléaire est dû à la construction et au démantèlement des centrales. Augmenter la durée de vie des centrales permet donc de produire de l'électricité à moindre coût. « L'économie de coût de production de l'électricité avec un réacteur amorti économiquement représente environ 100 millions d'euros par an, notent ainsi les sénateurs Claude Birraux et Christian Bataille, de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques*. Dans la mesure où l'avantage pour les exploitants se répercute sur le prix de l'électricité, la question de la durée de vie des centrales nucléaires constitue aussi un élément tout à la fois du pouvoir d'achat des consommateurs et de la compétitivité de l'économie française. »

D'autre part, la plupart des centrales nucléaires françaises ont été construite sur un temps très court, dans les années 80 à 90. L'arrêt brutal de ces centrales au bout de 30 ans ferait chuter d'un coup la production d'électricité. La pression sur l'ASN pour autoriser les centrales à continuer est donc maximale. EDF milite bien sûr pour une prolongation. Pour l'électricien, les 40 ans sont quasiment acquis : lors d'une présentation à des investisseurs à Londres le 8 décembre 2008, EDF affirmait être « confiant dans l'obtention de l'autorisation de fonctionnement à 40 ans ». Mais ce que vise l'électricien français, c'est une durée de vie de 60 ans... ou plus.

La prolongation des centrales implique néanmoins de lourds investissements. « EDF a prévu d'investir plus de 20 milliards d'euros pour ce programme industriel [d'exploitation jusqu'à 60 ans] sur la période 2015-2035, écrit Jean-Marc Miraucourt, directeur adjoint de la division ingénierie nucléaire d'EDF*. Compte tenu de son ampleur, pour engager ce programme d'investissements et pour planifier sa réalisation en conformité avec les possibilités réelles du tissu industriel, une visibilité au-delà de dix ans sur la durée de fonctionnement des tranches est nécessaire. » Autrement dit, EDF souhaite que l'ASN accorde ses autorisations pour plus de dix ans. Mais l'ASN résiste : « Nous ne nous prononçons que pour les dix ans à venir », maintient Sébastien Limousin, directeur des équipements sous pression à l'ASN.

* Revue Contrôle de l'ASN n°184 (juillet 2009)

Un vieillissement mal maîtrisé ?

Les centrales françaises vieillissent-elles mal ?

D'autant que tous les spécialistes ne partagent pas l'optimisme d'EDF quant à la capacité de ses réacteurs à continuer de fonctionner 40, voire 60 ans, de manière sûre. Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, une agence d'information, d'étude et de conseil sur le nucléaire et l'énergie, estime au contraire que les phénomènes de vieillissement restent mal connus et qu'on ne peut pas tous les déceler. « On a déjà observé des dégradations non prévues, ou plus rapides que prévu, rappelle-t-il. Aucun réacteur à eau pressurisée [le modèle examiné actuellement] n'a encore atteint une durée de vie de 40 ans. »

L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (l'IRSN, qui assure l'expertise scientifique dans le domaine du nucléaire) ne dit pas autre chose, lorsqu'il prévient que « l'expérience d'exploitation, notamment les résultats des contrôles et des visites périodiques, met en évidence des phénomènes d'endommagement inattendus. [...] Parfois, la cinétique de l'endommagement a été plus rapide que prévu. »

Par exemple, la cuve des réacteurs d'EDF a été conçue pour résister à 30 ans d'irradiation à pleine puissance, soit environ 40 ans d'exploitation compte tenu des arrêts et des moments à puissance réduite. Or, l'irradiation fragilise l'acier des cuves. L'acier est résistant au-delà d'une certaine température, et cassant en deçà. À Fessenheim, cette température dite « de transition ductile-fragile » est de 80°C. Elle est largement atteinte lorsque la centrale fonctionne, mais en cas d'arrêt du réacteur, on est obligé de maintenir la cuve au-delà de 80°C, car en dessous, elle risquerait de se briser.

60 ans, c'est trop vieux

Les critères permettant d'arrêter une centrale sont-ils clairs ?

Bref, le prolongement des centrales ne semble pas aussi évident que ce qu'affirme EDF. Pour Yves Marignac, « les critères permettant de dire "on continue" ou "on arrête" telle centrale ne sont pas clairs. Les exigences vis-à-vis des réacteurs modernes ont évolué, mais on maintient en exploitation des réacteurs dont le niveau de sûreté n'a pas augmenté ».  L'ASN ne partage pas ce point de vue. « Il existe des critères précis nous permettant de proposer la poursuite ou l'arrêt d'un réacteur », rétorque Guillaume Wack, responsable de la direction des centrales nucléaires de l'ASN. « Par exemple, au-delà d'un certain taux de fuite lors du test sur l'enceinte de confinement, l'autorisation de redémarrage est refusée ».

Cécile Michaut le 17/09/2009