Maladie d’Alzheimer : pas encore de médicament

L'annonce par Étienne-Émile Baulieu d'un médicament d'ici deux à trois ans contre la maladie d'Alzheimer semble prématurée. Contre cette maladie neurodégénérative – et d'autres du même type – touchant un million de personnes en France, les pistes de recherche sont nombreuses, mais les traitements ne sont pas encore au rendez-vous.

Par Cécile Michaut, le 22/02/2010

Un médicament dans 2 à 3 ans ?

« Une découverte majeure pour le traitement des maladies neuro-dégénératives du cerveau de type Alzheimer. » L'annonce, sur le site de l'Institut Baulieu, claque comme une promesse pour les personnes atteintes de cette famille de maladie dégénérative du cerveau (presque un million de personnes en France) et leurs proches.

Projections pour les années à venir

Avec un battage médiatique impressionnant, une annonce de traitement « d'ici deux à trois ans, si nous continuons nos recherches », selon le professeur Étienne-Émile Baulieu… le tout assorti d'un appel aux dons, puisque les recherches sont entièrement financées par l'Institut privé Baulieu et la fondation Vivre Longtemps. L'annonce fait d'autant plus de bruit qu'Étienne-Émile Baulieu, ancien président de l'Académie des sciences, est mondialement connu pour avoir mis au point la pilule « abortive » RU 486, et pour ses travaux sur la DHEA, baptisée « hormone anti-vieillissement ».

« Notre cible est la protéine Tau, impliquée dans les démences séniles appelées "tauopathies", dont la plus connue est la maladie d'Alzheimer », indique le professeur Baulieu. Cette protéine, naturellement présente dans les cellules du cerveau, prend parfois une forme « anormale » et se regroupe pour former des agrégats. Cela perturbe le fonctionnement des neurones, favorisant le développement des maladies dégénératives appelées tauopathies. Or, Béatrice Chambraud, ingénieur de recherches à l'Inserm, et ses collègues de l'équipe d'Étienne-Émile Baulieu, ont montré qu'une protéine connue de longue date, baptisée FKBP52, se liait préférentiellement à la protéine Tau lorsque celle-ci est dans sa forme anormale. Et surtout que cette protéine FKBP52 empêchait in vitro l'agglomération des protéines Tau. Une observation très intéressante puisqu'on cherche à éviter cette agrégation dans le cerveau.

Diagnostiquer et soigner

«FKPB52 est une anti-Tau.»

Que faire de ce résultat ? « Il reste beaucoup de recherches fondamentales à mener pour comprendre cette interaction entre la protéine Tau et la protéine FKBP52 », rappelle tout d'abord Étienne-Émile Baulieu. Pour cela, l'équipe de l'Inserm souhaite travailler avec des modèles, c'est-à-dire des souris modifiées génétiquement afin qu'elles développement davantage de protéines Tau anormales. Elle négocie également après de sociétés pharmaceutiques l'utilisation de médicaments qui se lient spécifiquement à FKBP52 et stimulent son fonctionnement. Le but : regarder si l'injection de ces médicaments diminue l'agrégation des protéines Tau et ralentit la maladie. « C'est une voie totalement originale, très logique et très concrète, s'enthousiasme Étienne-Émile Baulieu. Ça peut aller très vite. »

L'autre espoir est d'utiliser la protéine FKBP52 comme outil de diagnostic précoce des dégénérescences séniles. « FKBP52 est présente naturellement dans le cerveau, souligne Étienne-Émile Baulieu. Si l'on observe une diminution de la concentration de cette protéine dans le cerveau d'une personne, cela signifie-t-il qu'elle risque de développer une maladie de type Alzheimer ? Dans ce cas, on aurait un marqueur biochimique pour cette maladie. »

Battage médiatique

Du côté des chercheurs en neurosciences, on est un peu agacé par le battage médiatique autour des travaux du professeur Baulieu. « Certes, tout ce qui fait avancer les connaissances sur les tauopathies est un progrès, note le Dr Luc Buée, directeur de recherches au CNRS à Lille. Mais ce n'est pas la première fois qu'on met en évidence l'interaction d'une protéine avec la protéine Tau, et que cela diminue la quantité de Tau. On l'avait déjà vu il y a deux ans avec une protéine de la même famille que FKBP52, baptisée FKBP51. On est loin de s'attaquer à la maladie, on en est juste à comprendre la fonction biologique d'une protéine, en lien avec la dégénérescence des neurones. »

« Étudier les possibilités ouvertes par cette observation. »

La découverte de la protéine Tau comme constituant de la dégénérescence neuronale date du milieu des années 80. De même que celle du peptide bêta-amyloïde, composant majeur des plaques amyloïdes. La dégénérescence neuronale et les plaques amyloïdes sont les deux lésions cérébrales caractéristiques de la maladie d'Alzheimer. Depuis, les recherches sont nombreuses pour tenter de contenir, voire de guérir cette maladie. « Une des principales voies thérapeutiques vise à empêcher la formation de ces plaques amyloïdes, en utilisant des molécules qui empêchent la formation du peptide amyloïde et son accumulation, affirme Luc Buée. Malheureusement, il n'existe pas de molécule spécifique pour détruire ces plaques. Des essais cliniques de phase 3 (dernière phase avant la mise à disposition des patients) sont néanmoins menés avec différentes molécules, mais pour l'heure, sans succès. »

Autres pistes de recherche

Cela ne signifie pas pour autant que les molécules soient totalement inefficaces. La seule manière d'évaluer l'efficacité d'un produit contre une maladie neurodégénérative est d'observer ses effets sur les capacités cognitives du client. Or, la maladie est généralement détectée à un stade avancé, lorsque de nombreux neurones sont irrémédiablement détruits. Il est donc essentiel d'avoir un diagnostic moins tardif de la maladie d'Alzheimer pour pouvoir réellement valider l'efficacité de ces nouvelles approches thérapeutiques.

Les plaques séniles.

Autre piste envisagée : utiliser nos propres défenses (notre système immunitaire) contre les plaques amyloïdes. L'immunothérapie active consiste à injecter l'antigène atténué (des peptides amyloïdes modifiés), comme on le fait pour les vaccins contre la tuberculose ou la grippe. Le but est d'aider le patient à fabriquer les anticorps contre les plaques amyloïdes. Néanmoins, cette immunothérapie a très bien fonctionné… chez la souris. Chez l'homme, l'essai a été arrêté prématurément, car les injections déclenchaient des inflammations du cerveau (méningoencéphalites).

Reste qu'a postériori, les autopsies ont montré que les plaques amyloïdes avaient disparu. « Cela reste donc une voie d'espoir même si aucune amélioration cognitive n'a été observée », constate Luc Buée. L'immunothérapie passive, quant à elle, consiste à injecter directement l'anticorps au patient. « Une dizaine d'essais thérapeutiques sont en cours, soit en immunothérapie active, avec des fragments du peptide amyloïde, soit en immunothérapie passive, avec un anticorps qui reconnaît une région de ce peptide amyloïde, indique Luc Buée. Il y a beaucoup d'espoirs sur ces essais. »

La dégénérescence neurofibrillaire

Les échecs contre les plaques amyloïdes ont poussé à s'intéresser à l'autre caractéristique de la maladie d'Alzheimer, la protéine Tau, celle ciblée par le professeur Baulieu. Une étude menée par la société TauRX Therapeutics de Singapour a montré qu'une substance assez banale, le Rember, dont le composé actif est le bleu de méthylène, utilisé autrefois comme désinfectant – et toujours employé… pour colorer le curaçao – empêchait l'agrégation des protéines Tau. Ces résultats ont été présentés en 2008 lors d'une conférence internationale sur la maladie d'Alzheimer à Chicago. Là encore, des essais cliniques sont en cours. « Je reste néanmoins persuadé que la stratégie visant à empêcher les protéines Tau de s'agréger est intéressante mais, conclut Luc Buée, il faut se garder de donner de faux espoirs : on n'est malheureusement pas prêts d'avoir des traitements à court terme. »

Cécile Michaut le 22/02/2010