Contraception masculine, pourquoi pas ?

Alors que l'actualité récente met en lumière les risques que font peser sur les femmes les moyens de contraception médicaux, pourquoi la contraception masculine peine-t-elle toujours à se développer ? Hormonales ou non, des méthodes fiables existent depuis les années 1970, mais aucune n'a su se populariser.

Par Julie Lacaze, le 14/02/2014

Les méthodes de contraception  utilisées en France
Les méthodes de contraception utilisées en France concernent majoritairement les femmes.

Égalité entre les sexes oblige, hommes et femmes devraient partager les risques liés à la prise d’un traitement contraceptif. Alors que les effets secondaires de la pilule féminine font débat, la position défendue à ce sujet par le planning familial a été réaffirmée récemment. Mais qu’elle vienne d’une plante, d’un gène ou d’une molécule de synthèse, la solution miracle pour les hommes fait souvent l’objet d’annonces très prometteuses, mais est presque aussi vite oubliée. Encore récemment, une équipe australienne a fait couler beaucoup d’encre en démontrant l’efficacité contraceptive de l’inhibition de deux gènes chez la souris. Comme pour les études précédentes, le résultat de la publication ne présume en rien de l’efficacité et de l’innocuité de la technique chez l’homme. Il existe, par ailleurs, des traitements performants testés sur des hommes il y a plus de 30 ans, à base d’hormones ou de chaleur, qui n’ont jamais été commercialisés. Une méthode chirurgicale, la vasectomie, est aussi proposée depuis 2001 en France, mais reste très peu pratiquée. Si les techniques contraceptives masculines existent, pourquoi peinent-elles donc tant à se généraliser ?

Une « pilule masculine » dès les années 1980

Au début des années 1980, 13 ans après la loi Neuwirth autorisant la vente de pilules contraceptives en pharmacie, aucun produit ne s’adresse aux hommes. Face à ce constat, des groupes de parole se réunissent au sein de l’association Ardecom (Association pour la recherche de contraception masculine) et, sous l’impulsion de ses membres, les premiers essais de pilule hormonale chez l'homme sont lancés en France. À Paris, Lyon ou Rennes, les stratégies envisagées, inspirées des travaux menés en 1976 par un gynécologue français, Frédéric Salat-Baroux, sont similaires. Comme chez la femme, il s’agit d’inhiber la sécrétion de LH et FSH, les hormones gonadotrophines de l’hypophyse. Celles-ci interviennent chez l’homme dans les premières étapes de la spermatogenèse (la synthèse des spermatozoïdes). L’enjeu est donc de parvenir à inhiber entièrement ou partiellement la fabrication de spermatozoïdes sans réduire pour autant la virilité. On utilise pour cela de la testostérone sous forme de gel associée à un progestatif, ou bien seule, en injection (l’énanthate de testostérone).

Le Dr Jean-Claude Soufir, praticien à l’hôpital Cochin et ancien responsable de l’unité d’andrologie de l’hôpital Bicêtre, revient sur le contexte initial et les principes fondateurs des contraceptifs hormonaux masculins.

Les traitements développés au cours des années 1980 se sont avérés tout aussi efficaces que les pilules féminines et sans effet secondaire majeur. Selon une étude menée en 1996 par l’Organisation mondiale de la santé, les hommes sous injection de testostérone atteignent pour 98 % d’entre eux des taux inférieurs à 3 millions de spermatozoïdes dans l’éjaculat, un chiffre suffisant pour conclure à son efficacité contraceptive.

Reste que la contraception hormonale masculine est plutôt contraignante. Tout d’abord, la testostérone ne peut être prise par voie orale comme l’œstrogène chez la femme. Toxique pour le foie, l’hormone doit être administrée sous forme d’injection intramusculaire hebdomadaire ou par voie cutanée chaque jour. À cela s’ajoute un suivi médical régulier : chaque mois, les hommes doivent se soumettre à un spermogramme pour vérifier l’efficience du traitement. De plus, son efficacité varie selon les sujets : certains atteignent en un mois l’azoospermie (absence totale de spermatozoïdes) alors que d’autres attendent trois mois pour n’atteindre qu’une oligozoospermie (diminution partielle de leur nombre). Une petite partie est même complètement réfractaire aux traitements. Cette étrange variabilité interindividuelle est, de surcroît, difficilement prévisible avant le début de la prise d’hormone. Autre bizarrerie, les hommes d’origine asiatique répondent mieux au traitement que les autres...

Vers des traitements non-hormonaux

La découverte du VIH en 1983 sonne le glas des projets de contraception masculine hormonale, dès lors que l’usage du préservatif devient un impératif sanitaire. L’association Ardecom se dissout et les recherches sont abandonnées. Chef de service au Cecos Rhône-Alpes Lyon et auteur d'études d’association progestatif/testostérone, Jean-François Guérin doute d'ailleurs que les méthodes hormonales masculines connaissent un jour un regain d’intérêt.

La recherche de traitements non-hormonaux menée ces dernières années vise quant à elle à agir sur la physiologie des spermatozoïdes. Dans ce domaine, « la pilule masculine » a été maintes fois annoncée. En témoignent les réactions face aux travaux récents de l'équipe australienne qui a inhibé génétiquement la propulsion des spermatozoïdes chez les souris. Mais comme le précise le Dr Soufir, « il ne s'agit que d'hypothèses ou de résultats obtenus chez les rongeurs avec des molécules dont la toxicité est insuffisamment évaluée ».

Reste la vasectomie, légalisée en France en 2001. Cette opération consiste à ligaturer un fragment du canal déférent amenant les spermatozoïdes à l’extérieur des voies génitales. La réversibilité chirurgicale (reperméation possible dans 50 % des cas) ou l'auto-conservation de gamètes avant l'opération offrent aux hommes la possibilité de revenir sur leur choix. Malgré tous ces avantages, cette méthode, remboursée par la Sécurité sociale, est trop souvent assimilée à la castration ou aux pratiques eugénistes. Seuls 0,1 % des Français ont recours à cette méthode contraceptive pourtant en vogue dans les pays anglo-saxons.

Une méthode toulousaine originale

 

Une solution offerte aux hommes demandeurs de contraception est le... slip dit « chauffant ». En réalité, ce sous-vêtement ne chauffe pas, mais remonte les testicules au niveau du canal inguinal, à la racine de la verge. Dans cette position, la température des testicules se rapproche de celle du corps, au lieu d’être à 34 °C comme dans le scrotum. Cette légère élévation suffit pour inhiber la spermatogenèse : « Testée sur 55 hommes, la technique n’a connu qu’une seule grossesse en 500 cycles d’ovulation », selon son inventeur, le Dr Mieusset. Mais pour être efficace, le slip doit correspondre à la morphologie et aux conditions de travail de l’homme qui le porte. Des exigences qui le rendent difficile à distribuer en pharmacie, si bien que le slip chauffant ne s’est jamais popularisé. Il n’y a qu’au CHU de Toulouse, auprès du Dr Mieusset, que les hommes peuvent aujourd’hui s’en procurer.

Des raisons économiques et socio-culturelles

Malgré l'existence de ces diverses méthodes, la contraception masculine a du mal à se populariser. Selon le Dr Soufir, cela s'explique par des raisons économiques et socio-culturelles. À en croire les sondages menés depuis les années 1950, la grande majorité des hommes approuve le développement d’une pilule masculine. L’un des derniers en date, réalisé en 2012 par le CSA, affiche 61 % d’opinions favorables. Mais contrairement à ces déclarations, la contraception resterait perçue comme une atteinte à l’intégrité sexuelle, à la virilité.

Ce lien trouve sa source dans « l’amalgame que font les hommes entre sexualité et fertilité », selon le sociologue Cyril Desjeux. La différence entre « stérile » et « impuissant » serait d'ailleurs floue pour nombre d’entre eux. Les femmes, de leur côté, semblent préférer supporter seules la charge contraceptive du couple. Sûrement parce qu’elles jugent les hommes pas toujours responsables, mais aussi parce que l’impact d’un mauvais suivi du traitement affecte directement leur corps et pas celui des hommes.

Pour expliquer l’asymétrie entre les deux sexes, Cécile Ventola, doctorante à l’Inserm, invoque l’organisation et la formation du corps médical autour de la contraception. Alors qu’il existe une spécialité à part entière du suivi contraceptif féminin – la gynécologie médicale – son équivalent masculin, « l’andrologie », peine à voir le jour. De ce fait, les femmes prennent très tôt part à leur choix contraceptif alors que les hommes ne se sentent pas toujours concernés par ce choix. Les médecins français ne sont, eux-mêmes, pas bien informés des techniques contraceptives masculines qu’ils ne proposent pas à leurs patients. Aussi les hommes renoncent-ils souvent à maîtriser eux-mêmes leur fécondité.

Enfin, la contraception masculine n’a jamais fait l’objet d’un combat militant comme la contraception féminine, considérée comme un outil privilégié d'émancipation. Certes, l’association Ardecom s'est reformée cet été et son président, Pierre Colin, espère sensibiliser la société de demain à l’égalité des sexes dans la maîtrise de la procréation. Mais les laboratoires pharmaceutiques ne sont guère intéressés par un tel investissement. En effet, les contraceptifs masculins feraient concurrence aux contraceptifs féminins. En outre, les laboratoires se concentrent sur les pilules. Ils ne sont d’ailleurs pas à l’origine des nouvelles méthodes contraceptives, comme les implants ou le stérilet.

Certes, inhiber la fabrication de 100 millions de spermatozoïdes par jour est plus compliqué, en termes médicaux, qu’empêcher une ovulation mensuelle. Rien d'insurmontable, toutefois, si les médecins, les entreprises pharmaceutiques, les pouvoirs publics et les hommes eux-mêmes s'emparent de la question.

Julie Lacaze le 14/02/2014