Le jeu vidéo peut aussi former, éduquer, informer, ainsi que le démontre la tendance lourde du Serious Gaming.

Le jeu vidéo étant de plus en plus présent dans tous les cercles, ses règles et codes de mieux en mieux connues par le plus grand nombre, certains développeurs se sont demandés s’il ne serait pas intéressant d’utiliser ses genres, gameplays et maniabilités à d’autres causes que le divertissement: éducation, marketing, politique, publicité, formation… Si un Sim City ou un Civilization sensibilisent déjà à des problématiques de gestion, d’écologie, les Serious Games s’intéressent à des sujets plus précis, parfaitement délimités. Retour sur ce phénomène.

Pour retracer les origines des Serious Games, on peut sans doute remonter aux premiers jeux de Chris Crawford, et plus spécifiquement à Scram au début des années 1980. En effet, dans Scram, le joueur contrôle une centrale nucléaire et doit éviter son implosion. Dans Balance of Power, une simulation géopolitique sortie en 1985, Crawford poursuit dans sa quête de jeux sérieux en mettant le sort du monde entre les mains du joueur. Ici, c’est la Troisième Guerre mondiale qu’il s’agit d’éviter en opérant à des choix stratégiques. En fait, dès les années 1980, certains créateurs comprennent qu’il est possible d’embrasser d’autres champs d’investigation vidéoludique que le simple et pur divertissement. Et les militaires l’avaient déjà bien compris, en travaillant dès lors, et en collaboration avec des éditeurs/développeurs de jeux, sur des transformations de grand public. Le jeu d’arcade Battlezone, sorti en 1980, est par exemple développé sous deux formes bien distinctes, à direction de deux publics : la première, celle que connaissent tous les joueurs de l’époque, est jeu de tir en 3D fil-de-fer, la seconde, nommée The Bradley Trainer, est développée pour simuler les contrôles de tirs des tanks Bradley. Seule une version est alors livrée à l’armée, aujourd’hui perdue. On est ici plus proche du Serious Gaming, à savoir l’utilisation sérieuse, à des fins pédagogiques ou d’instruction, de jeux vidéo. Par exemple, les très historiques et documentés Assassin’s Creed servent parfois de base pour apprendre l’Histoire ou l’architecture de l’Italie de la Renaissance, ou de l’Amérique de la guerre de Sécession.

Plus ambitieux, le jeu de tir tactique America’s Army (2002) est un des premiers Serious Games a avoir été créé par et pour l’armée américaine. Son objectif ? Divertir, oui, enrôler sans aucun doute, mais aussi donner aux joueurs une vision réaliste d’un conflit. Plus récent, Full Spectrum Warrior a d’abord été mis en chantier par Institute for Creative Technologies (ICT, établi en 1999 sur des fonds de l’armée américaine), avant d’être développé par THQ. L’objectif poursuivi est simple : créer des simulations de combat moins onéreuses que les stations de simulation alors en usage dans les camps d’entrainement, et principalement en recourant aux technologies du moment (Xbox et PS2) et à des partenaires extérieurs. A partir de Full Spectrum Warrior, plusieurs Serious Games (Full Spectrum Leader, Full Spectrum Command) sont crées au sein d’ICT uniquement à destination de l’armée. Mais les Serious Games ne s’arrêtent pas à simuler conflits et guerres…

Aujourd’hui, avec la multiplicité de Serious Games, les observateurs et universitaires ont procédé à des classifications plus ou moins précises : les Advergames (jeux publicitaires qui tendent à vendre un produit au joueur), les Edutainment (ou logiciels éducatifs), les jeux pour la santé (qui aident psychologiquement les joueurs à se représenter leur maladie et à la combattre virtuellement comme Re-Mission), les logiciels de formation dans une entreprise, etc. Mais, de tous ces genres, les jeux à thématiques politiques sont bien souvent les plus mis en avant par les médias, car traitant de problématiques politiques ou sociales. Par exemple, Darfur is Dying simule la vie d’un réfugié dans un camp de prisonnier, Global Conflict: Palestine, celle d’un journaliste travaillant à Jérusalem, etc. Dernièrement, un jeu plus ludique comme Papers, Please met le joueur dans la peau d’un contrôleur de douanes, poussé de plus en plus à la faute par une bureaucratie de plus en plus kafkaïenne. De nombreuses entreprises font aussi usage de cet outil pour former leurs employés, notamment en gestion de ressources humaines, ou pour vérifier leur besoin de formation. Même l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) propose un Serious Game avec l’En-jeu professionnel, et la SNCF recrute ses futurs ingénieurs grâce à des jeux sur navigateur

L’objectif du Serious Game peut aussi être d’éduquer, d’informer, de donner à réfléchir. L’agence Terra Project, spécialisée dans la sensibilisation au développement durable, dispose d’un studio de jeu vidéo qui, après plusieurs projets, travaille aujourd’hui sur La forêt durable, un titre destiné aux écoles primaires. La fédération de la métallurgie a, elle, lancé son jeu syndical pour informer les travailleurs de leurs droits. Enfin, la culture n’est pas oubliée puisque de nombreux acteurs culturels proposent aujourd’hui des solutions vidéoludiques : ReadPlay ou Imagana s’attaquent à l’illettrisme, arte fait revivre l’histoire de la typographie, etc.

Si les Serious Games ne sont toujours qu’une goutte dans le marché du jeu vidéo, les observateurs estiment qu’ils pourraient atteindre les dix milliards de chiffre d’affaire d’ici 2015, de plus en plus d’entreprises recourant à ces solutions vidéoludiques. Des écoles ou des chaires universitaires s’ouvrent d’ailleurs actuellement pour répondre à des demandes de plus en plus importantes de production de ce type de jeu. Gage qu’il ne s’agit pas d’une mode éphémère !