Pas besoin de planche de surf ou d’une installation vidéo et/ou audio pour plonger le joueur au cœur du jeu. Parfois quelques idées de design suffisent !

Immerger le joueur dans un univers imaginaire n’est pas qu’affaire d’interfaces physiques. Si certaines bornes de Jeu vidéo l’expo (Avatars, Jeu de tir, Jeu audio)  démontrent l’importance d’un dispositif technique, physique, parfois préhensible, pour tromper les sens du joueur et le plonger dans un autre monde, il existe des solutions de design tout aussi convaincantes pour y parvenir.

Des terrains virtuels

Depuis ses tout débuts (Tennis for Two, 1958), le jeu vidéo s’inscrit dans des limites, des frontières impossibles – à l’époque- à dépasser : l’écran. Que ce soit celui, rond, convexe, des oscilloscopes des premières tentatives vidéoludiques, celui vertical des systèmes PDP-10 des universités américaines durant les années 1970, ou plus tard les écrans cathodiques 4/3, 16/9, ou HD, le média est contraint, limité dans ses possibilités de représentations. Impossible, ou presque, de donner l’illusion d’un monde, d’un univers vivant dans un espace aussi réduit. Plusieurs solutions émergent pourtant, et ce dès les années 1970.
La première, la plus évidente sans doute : faire appel au texte, à la description, plutôt qu’à la représentation visuelle. Colossal Cave Adventure (aussi nommé ADVENT) est un des premiers exemples « d’aventure textuelle » ou Fictions Interactives (Interaction Fictions, IF en anglais). Développé par Will Crowther, alors programmeur et spéléologue averti, Colossal Cave Adventure s’inspire des plans qu’il tracés de la Mammoth Cave (dans le Kentucky, Etats-Unis). Pas d’image à l’écran, juste du texte décrivant par le détail chaque lieu et « pièce » du réseau de cavernes que le joueur doit explorer. Avec une centaine de mots à sa disposition, ce dernier peut se diriger (nord-sud-est-ouest), prendre, utiliser des objets de son inventaire, etc. L’interactivité se suffit peut-être de mots, mais les possibilités sont multiples, puisque quelques éléments, un simple changement de style dans la description peut engendrer univers de Science-fiction, d’horreur, de fantasy ou enquêtes policières, etc. Rien n’est impossible, puisque tout n’est qu’affaire de mots. Le reste, c’est l’imagination des joueurs qui s’en charge.
Les autres solutions envisagées à l’époque, plus coutumières des joueurs actuels, apparaissent au même moment que les premières adaptations de jeu de rôle, et principalement de Dungeons & Dragons, sur PDP-10. Logique, puisque le jeu de rôle papier ne tend, lui aussi, à rien d’autre qu’à simuler des mondes imaginaires. Dungeon de Don Daglow (1975) montre ses labyrinthes en vue du dessus, écran après écran. Oubliette (1977), lui, préfère la vue à la première personne, s’accaparant la trouvaille de Maze War (1972-1973), l’un des premiers jeux de tir en vue subjective (bien avant Doom, pourtant considéré, à tort, comme le premier First Person Shooter par de nombreux joueurs actuels) Mais, puissance limitée des machines oblige, ces titres se déroulent dans les lieux clos, des labyrinthes finis.
Dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, plusieurs titres font sauter les barrières que constituent ces dédales. Et d’abord la série Ultima de Richard Garriott. Simples jeux de rôle dans leurs premiers volets, les Ultima évoluent peu à peu vers de mondes réalistes, et totalement ouverts : personnages avec lesquels discuter, cycles jour/nuit, possibilité d’errer à l’envie dans Britannia, etc. En 1985, année de sortie d’Ultima IV, peu de jeux autorisent une telle immersion, une telle interaction avec l’univers. Mais il faut placer chaque personnage, mettre en place chaque lieu, chaque objet à la main. La gestion procédurale est logiquement envisagée par d’autres développeurs.
C’est du côté de la simulation spatiale Elite (1984 sur BBC Micro) que voit le jour le premier monde ouvert calculé en temps réel, de manière procédurale. Pour rester simple, le procédural, c’est de l’aléatoire contrôlé, contraint, limité par de nombreux algorithmes. Si, dans Elite, chaque création de galaxie est différente (en tout début de partie), des règles strictes, et notamment de physique, font que ladite création n’en reste pas moins logique, cohérente. Tout en 3D fil-de-fer et à la première personne, le jeu des anglais David Braben et Ian Bell installe des codes et conventions qui sont encore usitées aujourd’hui. Dans Elite : Dangerous actuellement en développement, ou dans No Man Sky, jeu où le joueur peut se promener sur une planète, emprunter un vaisseau spatial, voyager jusqu’à un autre astre et y atterrir, et ce sans coupure ou chargement. Le procédural – moins coûteux- est aujourd’hui une des voies préconisées par la plupart des développeurs, indépendants ou non. Mais une fois ces univers posés, comment interagir avec eux ?

Des interactions conséquentes

On l’a dit, depuis le milieu des années 1980, de nombreux jeux proposent des mondes ouverts, mais un monde ouvert vide, sans objectifs, sans obstacles, ne peut guère intéresser plus que quelques minutes. Le joueur doit pourvoir interagir, utiliser des objets, combattre ; ses choix doivent avoir des conséquences. Si la série Ultima ouvre la voie de l’interaction (via entrée d’ordres au clavier, puis icônes et enfin interaction directe avec les objets), de nombreux jeux d’action aventure en 3D temps réel redéfinissent ces possibilités d’interaction à l’aune d’un environnement 3D. Midwinter (1988) permet d’incarner plusieurs personnages, de skier, d’utiliser des armes ou de piloter certains véhicules. Corporation (1990), lui, engonce le joueur dans les bottes d’un pirate informatique investissant un building rempli de systèmes de sécurité. Il faut cependant attendre System Shock (1994) pour, dans un jeu avec vue à la première personne – les jeux à la troisième personne, comme le premier Tomb Raider le font aussi-, lever, baisser la tête et profiter, en même temps, d’effets physiques sur le corps de l’avatar du joueur, un effet nommé « Body Awareness ». Dans System Shock, il prend la forme d’un léger recul lorsqu’ « on » est touché (par un adversaire) : grosse nouveauté à l’époque. Aujourd’hui encore, ce « Body Awareness », ce rapport entre le corps imaginaire que dirige le joueur et le monde, est au centre de nombreuses œuvres vidéoludiques: Mirror’s Edge, Brink, Titanfall ou Thief repoussent peu à peu les limites de ce concept. Les trois premiers exemples multiplient les possibilités de saut, de rapport immédiat avec le décor à la première personne: on voit les mains se saisir des arêtes des murs, hisser le corps de l’avatar.  Dans Thief, ces mains, ces doigts auscultent, caressent les éléments du décor à la recherche de boutons cachés, vibrations du contrôleur en prime, ou apparaissent à chaque fois que le joueur se saisit d’un objet.
Pour augmenter encore le réalisme de ces titres, il n’est pas rare que des moteurs physiques – simulant donc la physique des corps et des matières- soient mobilisés pour retranscrire les conséquences des actions du joueur sur son environnement. Comme, par exemple des destructions de bâtiments (dans la série Battlefield) ou la physique des automobiles (dans GTA à partir de GTA IV). Enfin, la dernière option retenue pour améliorer, approfondir cette « immersion », c’est le sandbox (ou bac à sable en français). Ici, il ne s’agit plus tant d’éprouver le monde que de disposer de multiples moyens pour atteindre ses objectifs. Au joueur de choisir, parmi les dizaine d’options sous sa main pour arriver à ses fins: s’infiltrer sans se faire voir des adversaires, passer en force, user des compétences de l’avatar (piratage informatique, sortilèges) ou emprunter des chemins détournés. Si ces possibilité étaient déjà présentes, dans Elite et Ultima, de nombreux jeux plus linéaires dans leur progression, dans leur narration, s’accrochent à cette philosophie de design depuis plus d’une dizaine d’années: Deus Ex, BioShock, Dishonored,…
Aujourd’hui, monde ouvert et/ou sandbox sont devenus la norme pour la plupart des jeux d’action, de Tomb Raider à Assassin’s Creed, en passant par Terraria ou Watchdogs. Au point que la plupart des gros titres à venir (The Witcher 3 : Wild Hunt, Destiny) s’enfoncent dans cette direction. De quoi proposer plus de réalisme aux aventures des joueurs.