Avez-vous perçu les éléments idéologiques ou utopiques de la recherche sur le génome ?

 

Les discours biotechnologiques sont un mixte de faits biotechnologiques et de discours justificatifs qui les présentent comme nécessaires, voire fatals. La force des discours et leur convergence en une "grande santé" ou santé parfaite est à la fois idéologique et utopique.

Le projet Génome entend déterminer l'enchaînement des milliards d'éléments qui constituent la structure de l'ADN. Mais ce n'est pas seulement un projet scientifique. Il est accompagné d'un ensemble de discours politiques, industriels, voire publicitaires. On ne comprendrait rien aux idéologies biotechnologiques si l'on ne se souvenait qu'elles sont produites par un quadrilatère : les savants, les industriels, l'Etat qui subventionne, les médias. Mais l'idéologie est ici indissociable de l'utopie.
Le surhomme est la clef de voûte de l'ensemble. Le surhomme comme idéologie qui est destinée à remplacer l'eugénisme. Le surhomme de la santé parfaite, c'est celui qui est visé pour l'humanité entière. Santé parfaite où l'individu doté de gènes parfaits vivrait dans un environnement lui-même parfait : santé parfaite de l'homme et de la planète. Idéologie totalitaire en formation qui se cache dans le culte du vivant.

mai 2002

Lucien Sfez
Professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne où il dirige le doctorat "Communication, technologies et pouvoir" et directeur de l'école doctorale de science politique de la Sorbonne, il est l'auteur de nombreux ouvrages qui ont contribué au renouvellement de la science politique dont les classiques "Critique de la décision" (Presses de Sciences-Po, 1973), La "Politique symbolique" (PUF, 1993), "Critique de la communication" (Seuil, 1988 refondue et augmentée en 1990) et "La santé parfaite" (Seuil, 1995).
Son dernier ouvrage "Technique et idéologie" (Seuil, 2001) assure la convergence entre "Critique de la communication" et "La santé parfaite."