Douze millions d'euros, c'est la somme mobilisée par le Royaume-Uni pour financer neuf programmes visant à mieux comprendre la surmortalité des insectes pollinisateurs, abeilles en tête. Un investissement réalisé sous la pression des apiculteurs britanniques.
Les ouvriers spécialisés de l'agriculture
Les abeilles sont de besogneuses ouvrières, et pas seulement au sein de leur ruche. D'après les estimations établies en août 2008 dans le cadre du projet européen ALARM, leur activité de pollinisation, alliée à celles d'autres insectes (mouches syrphes, papillons ou charançons), dégagerait chaque année un chiffre d'affaires de 153 milliards d'euros. Une manne économique dont l'origine est facile à comprendre : les trois quarts des cultures mondiales (colza, tournesol, pomme, carotte ou salade) profitent, ou dépendent, du travail de ces insatiables butineurs. De fait, pour les auteurs franco-allemands de l'étude, « les équilibres alimentaires mondiaux seraient profondément modifiés pour les fruits, les légumes et les stimulants (café, cacao) en cas de disparition des pollinisateurs ».
Or le problème se pose bel et bien. Car en Europe, ou aux États-Unis, les populations de pollinisateurs déclinent depuis plusieurs décennies sans que les scientifiques ne réussissent à expliquer le phénomène autrement que par un amoncellement d'hypothèses plus ou moins étayées. Ainsi, si en France on accuse les pesticides, en Belgique, on pointe plutôt le rôle d'un acarien parasite (Varroa destructor), en Espagne celui d'un champignon (Nosema ceranae) ou aux États-Unis d'un virus.
« En fait, la seule chose acquise concernant les raisons du déclin des pollinisateurs, c'est que ces dernières sont plus complexes que prévu », admet Bernard Vaissière, chercheur au Laboratoire de pollinisation entomophile de l'INRA d'Avignon. Un constat en forme d'aveu qui a poussé le gouvernement britannique, ainsi qu'une fondation privée, la Welcome Trust, à financer, sur trois ans et pour 10 millions de livres, neuf projets visant à percer les secrets du déclin des pollinisateurs anglais.
Les pesticides montrés du doigt en France
Pourquoi les Français considèrent-ils, à tort ou à raison, que l'usage des pesticides systémiques (c'est-à-dire capables de migrer dans toutes les parties de la plante y compris le nectar et le pollen) comme le Gaucho, le Régent ou le Cruiser est à l'origine du déclin des pollinisateurs ? Parce que dans les années 1990, la mise sur le marché de ces produits a coïncidé avec d'importants effondrements de population au sein des colonies d'abeilles domestiques. Les résultats, contradictoires, issus des différentes études n'ont cependant pas réussi à établir un lien irréfutable entre ces produits et les hécatombes observées dans les ruches. Dans le doute, et sous couvert du principe de précaution, les insecticides systémiques ont néanmoins été progressivement interdits en France à partir de 1999. Seul le Cruiser est encore utilisé.
16 000 abeilles équipées de RFID
Dans leurs grandes lignes, ces programmes ont pour objectif de modéliser la propagation des maladies, de mieux comprendre le comportement des abeilles en milieu urbain ou encore l'impact des changements environnementaux et des modifications du paysage sur les pollinisateurs.
Mais, plus spectaculaire, cette idée d'équiper 16 000 abeilles avec des puces RFID afin d'évaluer l'influence des pesticides sur la mortalité ou le comportement des abeilles. Car l'une des limites empêchant les chercheurs de résoudre l'énigme de ce déclin réside dans la difficulté de retrouver les individus morts. Or, sans corps, pas d'autopsie. Et sans autopsie, pas de preuves, ni d'explications concernant l'origine de la mort. Les puces RFID devraient donc permettre de régler le problème, au moins ponctuellement.
« Ces programmes permettront sans doute de mettre en évidence certaines des interactions qui peuvent survenir en milieu naturel », explique Bernard Vaissière. Car des études menées en laboratoire (C. Alaux et al. Environmental microbioloy, 2010) le montrent : les hécatombes observées chez les abeilles pourraient avoir une origine multifactorielle. « Certains paramètres associés, par exemple la présence du pathogène de Nosema et d'un insecticide systémique, agiraient en synergie. »
Une abeille, des abeilles
Contrairement à une idée assez répandue, il n'y a pas qu'une espèce d'abeille en France. Outre les abeilles domestiques, l'Hexagone compte 1 000 espèces sauvages (2 500 en Europe et 20 000 dans le monde).
Pourquoi au Royaume-Uni ?
Au final, pour Bernard Vaissière, les programmes anglais restent assez classiques et suivent les axes de recherche établis dans le cadre européen. Car, depuis février 2010, l'Europe s'est elle aussi emparée de la question du déclin des abeilles en lançant STEP, un programme sur cinq ans et doté d'une subvention de 3,5 millions d'euros. Presque quatre fois moins que le financement dégagé par le Royaume-Uni. Comment expliquer une telle situation ? Le cas anglais serait-il plus qu'ailleurs critique ?
« Pas vraiment puisque les taux de mortalité estimés en Grande-Bretagne sont proches, voire plus faibles, que ceux observés en France ou en Italie, s'étonne le chercheur. Le lancement de ce programme est plus un acte politique que scientifique puisqu'il répond aux pressions, fortes, que les apicultures ont exercé sur le gouvernement britannique, gouvernement qui était à l'époque dirigé par Tony Blair. » Pour autant, et même si ces programmes sont dirigés par des Britanniques, ils devraient moins doublonner les projets européens que les renforcer.