Imagerie : quand ondulent les cellules embryonnaires

Une équipe franco-espagnole a filmé le ballet des divisions cellulaires qui se déroule lors des premiers stades du développement d'un embryon de poisson. Des images étonnantes dans lesquelles on voit des phénomènes biologiques se propager en faisant la "ola".

Par Viviane Thivent, le 25/08/2010

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Être le témoin des premiers instants. Assister à un processus biologique microscopique, fragile au possible, sans le perturber. Tel est l'objectif atteint par une collaboration franco-espagnole qui est parvenue à visualiser la naissance et le devenir de chacune des cellules d'un embryon de poisson, de la première cellule jusqu'au stade des 1000 cellules (N. Olivier et al., Science, 20 août 2010). Une prouesse rendue possible par une approche optique inédite.

« D'ordinaire, pour observer les mouvements des cellules dans un tissu vivant, on marque leur ADN avec des balises fluorescentes comme la GFP, explique Emmanuel Beaurepaire du Laboratoire optique et biosciences de l'École polytechnique et co-auteur de l'étude. Mais cette façon de procéder a tendance à perturber les processus biologiques les plus sensibles comme la formation des embryons (ou embryogenèse). De plus, ce n'est pas toujours possible. » Voilà pourquoi les chercheurs ont mis au point une technique d'imagerie ne nécessitant aucun marquage préalable.

Cellules en division

Pour pister ces cellules, ils ont préféré aux marqueurs laser capable de produire des impulsions lumineuses de très faible durée : un laser femtoseconde émettant dans l'infrarouge. Et pour cause : lorsqu'elles sont touchées par ce type de lumière, certaines structures biologiques (les bords des cellules ou encore quelques systèmes organisés) ont la propriété de produire un signal lumineux visible. Une aubaine. Car parmi ces fameuses structures, se trouvent notamment les faisceaux de microtubules qui se forment au cours de la division cellulaire.

Explications : dans un embryon en formation, les cellules se divisent pour donner naissance à deux cellules contenant, entre autres, la même information génétique que la cellule initiale. Dans ce processus dit de mitose, l'ADN se compacte, forme des chromosomes qui se séparent, chaque lot étant acheminé dans l'une et l'autre des futures cellules par des fibres constituées de tubuline. Des microtubules qui s'alignent tout spécialement pour l'occasion « en formant une structure organisée et non centrosymétrique, continue le chercheur. Or, une telle structure est capable de réémettre un signal lumineux, faible certes, mais détectable ».

Balayage laser

Ainsi, si l'on focalise dans des cellules embryonnaires un faisceau laser infrarouge d'une longueur d'onde de 1,2 micromètre, il est possible de récupérer deux types de signaux. L'un, à 600 nanomètres de longueur d'onde (lumière rouge), est produit par les faisceaux de microtubules au moment de la division cellulaire ; l'autre, à 400 nanomètres (lumière bleue), est produit aux interfaces entre les cellules. « En balayant l'embryon avec le point de focalisation, on peut obtenir des films 3D montrant, et la morphologie des cellules, et le moment précis où ces dernières se divisent. »

Reste quand même une difficulté à surmonter. Un œuf de poisson étant sphérique, les régions les plus profondes apparaissent atténuées dans les images. D'où l'idée d'effectuer un balayage adapté à la forme de l'embryon, de façon à éclairer plus longtemps les régions profondes que les régions superficielles. Un balayage dont l'intensité est suffisamment faible pour ne pas perturber le développement de l'embryon. Une minute trente suffit pour parcourir et obtenir une image de la totalité de l'embryon.

Vagues de prolifération

Cette technique dite de microscopie non linéaire a ainsi permis aux chercheurs de filmer les premiers stades de développement de six embryons de poisson, et de mesurer, avec une précision inédite, les temps et les positions des divisions de l'ensemble des cellules. Ces données ont permis de reconstruire le premier lignage cellulaire complet des dix cycles de division initiaux. À partir de là et en moyennant les observations, les chercheurs ont créé un modèle, un embryon digital, décrivant la prolifération cellulaire.

« On observe ainsi, commente Nadine Peyriéras de l'Institut de neurobiologie Alfred-Fessard et co-auteure de l'étude, que dès le début du développement, un décalage progressif entre les temps de divisions se met en place : les divisions cellulaires se succèdent par vagues. » Des vagues concentriques semblables à celles que l'on voit quand on lance un caillou dans l'eau. Ce phénomène s'amplifie au fil du temps avant de disparaître après le stade des 2 000 cellules. La dynamique de la prolifération des premières cellules de l'embryon n'obéirait donc pas à des changements abrupts comme ce que l'on pensait auparavant, mais se ferait de façon continue et progressive.

Mais comment expliquer l'apparition de ces vagues ? « Peut-être par des différences de distribution des substances nutritives acheminées dans la première cellule et dont les différentes régions de l'embryon héritent au fil des divisions. À moins que le phénomène puisse être expliqué par les différences de position et d'environnement qui s'établissent au fur et à mesure de l'augmentation du nombre des cellules. Le fait est que nous sommes loin d'avoir tout compris des processus de régulation de l'embryogenèse. » Pour les auteurs de cette étude, la méthodologie développée qui permet d'observer et de quantifier les phénomènes in vivo permettra d'en savoir davantage.

Viviane Thivent le 25/08/2010