Golfe du Mexique : après le pétrole, l'asphyxie ?

Une équipe anglo-saxonne s'inquiète des effets à moyen terme de la marée noire du golfe du Mexique. La digestion des hydrocarbures par les micro-organismes pourrait en effet conduire à une hypoxie des eaux profondes. Eaux qui, en remontant en surface, menaceraient directement la survie des populations de poissons de la région.

Par Viviane Thivent, le 14/01/2011

Une catastrophe en cacherait-elle une autre ?

Aux dernières estimations, 4,9 millions de barils de pétrole se seraient répandus dans le golfe du Mexique.

Depuis le 4 août dernier, la fuite est colmatée, certes. Pour autant, le pire de la marée noire, qui a débuté le 20 avril dernier dans le golfe du Mexique, est-il derrière nous ? Rien n'est moins sûr. Car une équipe de la Woods Hole Oceanographic Institution, aux États-Unis, l'affirme : une bombe à retardement serait en train de naître dans les profondeurs du golfe. Une bombe qui, d'ici quelques mois, pourrait ravager l'écosystème régional. Rien de moins.

Car, si les micro-organismes ont le pouvoir de dégrader les hydrocarbures, ils ne le font qu'au prix d'une forte consommation d'oxygène. Au terme du processus, se trouve donc l'hypoxie, soit l'appauvrissement en oxygène dissous des eaux océaniques. « Pour l'heure, ce phénomène a lieu dans les profondeurs océaniques, là où se trouve le pétrole, explique Pierre Testor, chercheur au CNRS, en poste au laboratoire d'océanographie et de climatologie de l'université Pierre et Marie Curie (Paris). Mais il est très probable que, d'ici plusieurs mois, cette couche océanique très pauvre en oxygène, en s'étendant progressivement, finisse par remonter et provoquer l'asphyxie des populations de poissons vivant dans la couche de surface. »

Cinq jours d’échantillonnage

Le «Sentry», sous-marin autonome qui a sillonné le panache de pétrole.

Cette conclusion pessimiste clôt une campagne océanographique menée entre le 23 et le 27 juin 2010 et dont les résultats sont présentés aujourd'hui dans Science (R. Camilli et al. Sciencexpress, 19 août 2010). Cinq jours durant – et jusqu'à ce que la mission soit interrompue pour cause d'ouragan –, les chercheurs ont quadrillé le panache d'hydrocarbures à l'aide d'un robot océanographique autonome appelé Sentry. « Ces petits sous-marins présentent l'avantage d'être intelligents, explique Pierre Testor. S'ils repèrent une discontinuité dans la colonne d'eau, ils intensifient leurs mesures autour et prélèvent des échantillons d'eau de mer de manière ciblée. Ceci permet d'avoir assez rapidement une idée de la structure du panache. »

L'itinéraire suivi par le «Sentry».

D'un point de vue quantitatif, les résultats des échantillonnages montrent que la structure du panache d'hydrocarbures est hétérogène : il est particulièrement dense entre 1000 et 1200 mètres de profondeur et entre 50 et 500 mètres de profondeur. De plus, la nature du mélange change en fonction de la profondeur. Des composés comme le benzène et le toluène sont par exemple très présents vers 1160 mètres de profondeur. Le méthane en revanche disparaît quasi intégralement dans les trente premiers mètres de la colonne. « Le signe qu'une grande partie du méthane émis lors de cette marée noire est passée dans l'atmosphère, commente Pierre Testor. Il s'agit d'une mauvaise nouvelle puisque le méthane est un gaz à effet de serre très puissant. »

Le Sentry a ensuite continué ses échantillonnages vers le sud-ouest, en zigzaguant le long du panache sur une distance de 35 kilomètres. Les concentrations de benzène, toluène éthylbenzène et xylène (BTEX) dans l'eau de mer mesurées à différentes distances de la source montrent que seuls 6 à 7% des BTEX émis (soit 6 400 litres par jour sur une émission totale de BTEX estimée à 90 000 litres par jour) participent à la formation du panache. Le BTEX s'est donc très largement diffusé dans l'environnement.

Perte en oxygène

En rouge, l'étendue de la «zone morte» survenue dans le golfe du Mexique l'été dernier.

Outre les teneurs en hydrocarbures, les chercheurs se sont penchés sur les concentrations en oxygène dissous de l'eau de mer. Et leurs résultats sont assez inquiétants. Le processus de dégradation des hydrocarbures par les micro-organismes est en effet plus lent que prévu. « Il faudra sans doute des mois pour que les microbes résorbent significativement le panache d'hydrocarbures », concluent les auteurs. Et ce processus devrait conduire à la formation de zones océaniques où les concentrations en oxygène dissous sont si faibles que les organismes aquatiques ne peuvent y survivre.

« Le problème, précise Pierre Testor, c'est qu'à cause de la dynamique des océans, ces zones océaniques profondes peuvent périodiquement remonter en surface et créer des zones mortes. » Zones qui apparaissent aussi naturellement à la surface du globe (océan Indien, golfe de Guinée, golfe de Gascogne, Méditerranée, Baltique...) et qui conduisent à des effondrements ponctuels des populations de poissons. Dans le golfe du Mexique, de telles remontées d'eau hypoxique ont d'ailleurs lieu, chaque année, à l'est de la plateforme pétrolière de BP. L'apport d'hydrocarbures en profondeur pourrait donc donner un tout autre visage à ce phénomène. La date de survenue et l'ampleur de cette catastrophe annoncée restent néanmoins difficiles à estimer. Ne serait-ce que parce que les quantités de pétrole actuellement présentes dans le milieu font toujours débat.

Le pétrole caché

Photos de la colonne d'eau.

Car si, début août, en s'appuyant sur le rapport du National Incident Command (NIC), Barack Obama annonçait que les trois quarts du pétrole avaient été éliminés, mardi 17 août, des chercheurs de l'université de Géorgie se sont montrés bien moins optimistes : d'après eux, 79% des 776,1 millions de litres de pétrole émis lors de la marée noire (soit 8,4 à 9,9 millions de litres par jour) se trouveraient encore sous la surface. « Il faudra sans doute des années pour que ce pétrole soit dégradé... », a prévenu Charles Hopkinson, l'un des auteurs de ce rapport. Une épée de Damoclès flotte donc toujours au-dessus des populations de poissons et des pêcheurs dont l'activité dans le golfe du Mexique avait permis de dégager 659 millions de dollars en 2008.

Viviane Thivent le 14/01/2011