Montée du racisme ? Le point de vue de quatre scientifiques

Quelque chose s’est-il détraqué dans la République à l’aube du troisième millénaire ? Que se passe-t-il aujourd’hui dans certains quartiers, lycées et collèges de France où pleuvent des insultes et des violences que l’on croyait disparues ? Au-delà des fantasmes qui nourrissent la peur de l’autre, quel peut être le travail de la raison porté par des équipes de chercheurs ?

Par Jacques Tarnero, le 22/12/2003

À la xénophobie largement anti arabo-musulmane des années 80-90 s’ajoute désormais une ethnicisation des relations sociales. La multiplication de passages à l’acte antijuifs autant que la montée de gestes hostiles de toutes sortes au nom d’une supposée appartenance ethno-religieuse à telle ou telle communauté, témoigne d’une défaillance grave dans le jeu républicain. L’école, où les jeunes devraient se vivre en tant qu’élèves plutôt que « beur », « black » ou « feuj », devient trop souvent le théâtre d’agressions intolérables, verbales ou physiques. La rétraction communautaire dessine le paysage d’une France des peurs à l’opposé du lien républicain.

Devant la menace d’une érosion de la citoyenneté, le président de la République, Jacques Chirac, a décidé la mobilisation de tous les acteurs de l’État pour lutter contre ces phénomènes qui minent la société française. La seule analyse des causes, aussi complexes fussent-elles, ne suffit pas. Dans tous les cas, l’action éducative vers ce qui rassemble doit être privilégiée. La lutte contre tous les racismes y compris de la part de ceux qui en sont eux-mêmes victimes, passe par la double action de la répression et de l’éducation.

Nous avons demandé le point de vue de quatre chercheurs en sciences sociales sur ces questions d’actualité particulièrement délicates.

Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF

(Centre d’Etudes de la Vie Politique Française. CNRS – Fondation Nationale des Sciences Politiques)

Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF

La xénophobie, demeure une donnée persistante dans la société française. Si le rejet de l’étranger et de sa différence se réduit dans la population jeune, la xénophobie reste présente et témoigne des peurs toujours actives à l’intérieur d’une société en mutation.

Nona Mayer, directrice de recherches au CEVIPOF

Nona Mayer, directrice de recherches au CEVIPOF

Transformations du paysage raciste : si la xénophobie anti-arabe persiste, le conflit du Proche-Orient s’est exporté en France. Chaque communauté, juive et arabo-musulmane, s’est identifiée à chacun des belligérants et a communautarisé les relations citoyennes. Le nouvel antisémitisme est le produit à la fois réel et fantasmatique de cette exportation.

Pierre-André Taguieff, directeur de recherches au CEVIPOF

Pierre-André Taguieff, directeur de recherches au CEVIPOF

Peut-on parler d’une montée de l’antisémitisme en France ? Depuis trois ans, des actes antijuifs inédits depuis la guerre ont dessiné les termes d’une nouvelle judéophobie. La rétraction communautaire s’est substituée au ciment républicain.

Michel Wieviorka, directeur du CADIS

(Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologique - EHESS)

Michel Wieviorka, directeur du CADIS

Les transformations des discours ou actes racistes sont la résultante complexe de facteurs sociaux mais aussi de la quête d’identité d’une jeunesse sans repères à l’intérieur d’une société en mutation. Les illusions de la société marchande n’ont pas su voir venir cet effet boomerang. Produire et consommer n’est pas constructeur d’identité. C’est par procuration et par internet que les exclus du système se sont donnés des racines imaginaires.