Regard du grand témoin

Raphaël Ricardou, coordinateur d’une antenne régionale du GRDR Migration-Citoyenneté-Développement*.  

Le GRDR travaille sur l’insertion des jeunes issus de l’immigration en France. Toutes ces questions m’ont aussi beaucoup interpellé par rapport à nos actions en Afrique, puisque les trois-quarts de nos activités sont en Afrique et qu'on sait que la question du numérique et de la révolution numérique en Afrique est aujourd’hui un enjeu majeur, tant en termes de communication, de liens sociaux que d’insertion professionnelle. Ce n’est pas le sujet qui nous importe aujourd’hui mais néanmoins il y a des enjeux connexes. Pour revenir sur la France, on travaille sur un programme, dont on va peut-être parler tout à l'heure, l'IEJ, Insertion Emploi des Jeunes, qui concerne la Seine-Saint-Denis, qui est assez proche de la dimension Garantie Jeunes.

Il faut rappeler l’intérêt des démarches d’expérimentation comme le programme Mobiliza’t Mobile et l'intérêt de comparer au niveau européen un certain nombre de pratiques, de situations sociales ou de contextes sociaux, (...) mais peut-être revenir sur 2 ou 3 catégories qui ont été utilisées,

Qui sont les jeunes Neet ? jeunes décrocheurs ?

On a beaucoup parlé des jeunes Neet mais en réalité, de qui parle-t-on ? Comme cela a été rappelé dans le cadre de l'expérience Mobiliza't Mobile, il y a une très grande hétérogénéité de ces jeunes et je pense qu'il est important de revenir sur les typologies de jeunes dont on parle, parce qu'effectivement leur rapport au numérique n’est pas le même, leurs préoccupations en termes d’insertion ne sont pas les mêmes et les pratiques d’accompagnement ne vont pas être les mêmes.

(Je travaille dans un programme de recherche avec d’autres partenaires européens, qui s'appelle RE-InVEST,  sur la question des politiques sociales européennes et sur le PIB social européen : en Suisse, les jeunes Neet, c'est la catégorie qui correspond à la période transitionnelle après la période d'apprentissage. Donc, ce n’est pas la même chose que ce qu'on désigne en France par jeunes Neet. Il est important de ne pas homogénéiser ces populations et de repenser effectivement les différentes catégories d’actions en direction de ces jeunes.

On a parlé aussi de décrocheurs et on amalgame apparemment décrocheurs et jeunes Neet. Là aussi je pense qu'il y a peut-être à revisiter cette question : dans les jeunes Neets, il y en a qui ont des diplômes, des bac+5 et qui sont sans emploi ; la notion de décrochage, c'est une construction sociale, construite depuis 15 ans autour de l’éducation nationale, le décrochage scolaire. Là on parle des jeunes qui sont sortis sans diplôme du système scolaire. Dans ma compréhension, les jeunes décrocheurs, ce n'est pas tout à fait la même chose que les jeunes Neet.

Donc on amalgame des choses qui sont peut-être des réalités différentes en termes de trajectoires. Cela a été très bien rappelé dans le cadre du programme Mobilitza’t mobile, de faire très attention aux parcours différenciés et à l’individualisation des accompagnements par rapport à la situation réelle de ces jeunes et d’où ils partent. Cela a également été rappelé dans l’évaluation du projet, où effectivement on a bien constaté une déperdition très importante d’un certain nombre de jeunes dans le dispositif parce qu'il fallait bien penser précisément ces catégories et la nature des problématiques et des besoins d'insertion sociale et cela revient, comme cela a été dit de façon transversale, à partir des attentes et des besoins des jeunes et à ne pas plaquer un dispositif. (...)

Et puis, peut-être, quelques fausses évidences qu'il serait important d'interroger en termes d’enjeux(..) : il serait évident que les jeunes aient une compétence numérique, je pense que c’est vrai pour un grand nombre, mais peut-être pas pour tous et, effectivement, quand on parle des jeunes, dits des quartiers prioritaires, qui sont pour nous les jeunes avec qui on travaille (...) Un certain nombre de ces jeunes n’ont pas accès à internet ou ont des outils numériques qui sont limités, défaillants, avec des connexions insuffisantes. Voilà, tous les jeunes n’ont pas cette compétence numérique qu’on veut bien leur prêter. Quant à ceux qui en ont effectivement et là c’est tout l’intérêt d’une approche comme celle de Mobilitza’t et d’autres, c’est effectivement comment on s’appuie sur cette compétence (...)

Deux  questions croisées : comment le numérique interagit avec les questions d’accompagnement et d’insertion ?

Un autre enjeu qui m’est apparu assez significatif  , (...) comment le numérique interagit avec les questions d’accompagnement et d’insertion ? , au niveau de la ML, c’était toute la question de l’accès à l’information et des outils d’accompagnement et éventuellement de l’hybridation entre les dimensions d’accompagnement à l’insertion et les outils numériques et les compétences numériques de ces jeunes et donc on est vraiment sur un enjeu très clair qui est celui de l’accès à l’information et de la mobilisation des ressources numériques pour effectivement situer un projet professionnel, trouver un emploi, faire des démarches administratives, voilà.
Donc ça c’est un enjeu, qui est un enjeu différent encore de celui qui a été situé des métiers du numérique et qui est croisé bien évidemment et là aussi l’expérience Mobilitzat est très intéressante parce que manifestement ces 2 dimensions ont été croisées. Mais je pense que ces 2 aspects qu’on pourrait presque traiter, alors bien évidemment avec des liens d’interaction permanente mais avec des enjeux aussi spécifiques. ???

lien entre culture digitale et entrepreneuriale

Une autre évidence qui a été en filigrane et qu’on pourrait interroger : le lien entre culture digitale et entrepreneuriale ? On a vu aussi aujourd’hui le florilège de dispositifs « en réponse » à la situation des problématiques de chômage qui sont majeures, je reviens pas sur les chiffres, et qui là aussi sont variables selon les catégories de personnes et les territoires, je pense qu’il faudra bien intégrer la dimension territoriale mais le lien qu’on fait entre effectivement culture entrepreneuriale et culture digitale est pas forcément aussi évidente et est-ce que la culture entrepreneuriale est en réponse aux problématiques d’emploi , peut-être pour certains jeunes oui, mais peut-être pas pour tous.
alors là aussi, c’est intéressant de voir la derrière la notion de culture entrepreneuriale, la dimension pédagogique projet, de culture de entreprendre sa vie,  donc ce qui sont des éléments de remobilisation sociale qui sont très importantes dans les parcours d’insertion mais ça ne va pas forcément déboucher sur de la création d’activité économique ou de la création d’entreprise. Ça été d’ailleurs significatif dans ce qu’on a appelé les sorties positives des différents dispositifs qui ont été présentés, ça ne débouche pas toujours sur de la création, ça peut déboucher sur de la formation, du retour à l’emploi. Je pense que c’est important aussi de situer ces enjeux.

Lien et les synergies qui existent entre lien physique et virtuel, importance du référent

Enfin, le dernier enjeu qui a été peut-être pas assez évoqué mais qui me semble assez important : c’est le lien et les synergies qui existent entre lien physique et virtuel, c’est-à-dire qu’on voit bien toute l’importance des outils numériques et de la compétence numérique dans les démarches d’insertion mais on a bien vu aussi toute l’importance qu’il y a du référent, de l’identification d’une personne, d’un lieu ressources, toute la complexité est justement d’articuler les missions locales ou et d’autres les PLIESs pour PE, les outils et les ressources numériques et les démarches classiques d’accompagnement à l’insertion et là je fais juste écho d’une étude qui a été menée par l’INJEP et avec notamment les Bureaux d’information jeunesse (BIJ) sur une ville d’Ile de France où effectivement ils disent : «  La question n’est pas tant de trouver les complémentarités et l’hybridation mais de voir la mise en cohérence des différents dispositifs et vraiment le dialogue fécond qu’il peut y avoir entre ces outils et ces démarches.

la question de la formation des acteurs de l’emploi sur les questions du numérique.

Dernier point : si on passe (pose) cette question du lien physique et de l’approche virtuelle, ça pose précisément une des questions qui a été soulevée, celle des acteurs de l’emploi et de leur formation sur les questions du numérique. Je crois que ç’a été effectivement extrêmement important, si on parle de référent, on parle de gens qui ont des compétences numériques et est-ce que aujourd’hui  au niveau des professionnels de l’insertion, ces compétences sont appropriées, est-ce qu’il y a toute effectivement cette alors là je reprends les termes de la cité des métiers cette acculturation par rapport à les nouveaux métiers peut-être ???, et  dernier élément aussi qui me semble important qui a été très rapidement pointé au niveau des missions locales mais qui n’est pas vraiment notre sujet mais qui quand même est à prendre en compte, on est dans un contexte avec une toile de fond de dématérialisation des services publics hein, de passage à une administration électronique et donc il ne faudrait pas confondre l’outil du numérique favorable à l’insertion par rapport à la problématique qui en est une autre de l’inclusion numérique par rapport justement à une fracture numérique qui est en train de se développer et qui est extrêmement significative sur un certain nombre de territoires…

FL : vous pouvez préciser justement…

… Ben un tiers des français n’ont pas accès à l’internet et non pas d’ordinateur et l’administration numérique aujourd’hui , ça concerne réellement 40% de la population française. Donc on voit bien qu’il y a un « fracture » extrêmement fort et que si effectivement la question du numérique est pour les ML comment passer à une mission électronique, on est un peu hors du sujet par rapport à la problématique de l’insertion et ça été dit par les ML on va coproduire ou co-générer des nouvelles formes d’exclusion et de précarité. Donc, je pense que là il y a effectivement une succession d’enjeux qui ont été tous balayés de façon extrêmement importante, intéressante, avec des retours d’expériences, mais qu’il s’agit bien de situer et d’articuler pour penser la globalité des enjeux et donc des complémentarités d’acteurs pour une bonne insertion et favoriser l’insertion de ces jeunes.

(applaudissements).