Comment un quotidien peut faire sa ''une'' avec une annonce qui se révèlera fausse

Par Sylvestre Huet, journaliste à Libération

le 24/07/2003

“Un souçon de vie sur Mars“

Ce matin du 7 août 1996, effervescence au comité de rédaction. On aurait trouvé trace d'une vie martienne ! On, c'est la Nasa, du moins une équipe de scientifiques qu'elle finance. Et la trace se trouve nichée dans une météorite, découverte en Antarctique. Vrai ? Faux ? Fiable ? Coup de pub ? La direction du journal n'en sait rien, mais décide immédiatement : ce sera l'Evénement du lendemain. Dans le jargon de Libération, cela signifie que la Une sera à 80% consacrée au sujet, avec photo et gros titre, ainsi que les trois pages suivantes. Autrement dit, c'est la Nasa et son opération de communication qui impose le sujet majeur du journal. Ne pas suivre le mouvement, c'est risquer le décalage avec radios et télévisions. À ce stade, le journaliste scientifique n'est pas consulté. On lui demande seulement : qu'écrire dans l'espace privilégié ainsi dégagé ?

 

Durant la journée, alors que les informations sur les travaux réalisés parviennent des États-Unis et que leur analyse avance (pas facile de trouver un spécialiste le 7 août qui, de surcroît, accepte de critiquer des collègues... j'en trouve un, proche des scientifiques américains et compétent, mais sous réserve d'anonymat) la tension s'accroît entre la décision de faire l'Evénement et la confiance dans l'annonce spectaculaire. S'il est impossible de reléguer le sujet en pages intérieures, j'interviens pour moduler dans un sens ''soupçonneux'' le traitement. D'où le mot et le conditionnel du titre, repris dans un sous-titre. Et surtout le contenu et le ton dubitatif du papier de page trois. Mais cette "ligne" est flottante et l'indicatif s'impose ici et là, donnant le sentiment que l'on ne sait trop quoi penser de l'annonce. Au fil des années qui ont suivi, de nombreux travaux ont démoli l'essentiel des arguments ''pro-life''. Évidemment, aucun d'eux n'a obtenu un tel traitement de faveur.

le 24/07/2003