Les bactéries nous rendent-elles obèses ?

Une nouvelle étude montre que la composition de la flore intestinale, ainsi que la façon dont elle est contrôlée par le système immunitaire, peuvent jouer un rôle majeur dans la capacité à prendre du poids. Une découverte qui laisse espérer la mise au point de nouveaux traitements contre l’obésité et le surpoids.

Par Yaroslav Pigenet, le 27/08/2012

Après les régimes alimentaires, la chirurgie et les traitements hormonaux, médecins et biologistes viennent d’ouvrir un nouveau front dans la guerre qu’ils mènent contre l’épidémie d’obésité : la manipulation et le contrôle de la flore intestinale. Une étude qui vient juste d’être publiée dans la revue Nature Immunology montre chez la souris que la nature des bactéries hébergées par l’intestin influence plus la prise de poids que la qualité et la quantité des aliments ingérés.     

Des antibiotiques qui font grossir

Souris normale et souris obèse

On sait depuis longtemps que les bactéries de la flore intestinale jouent un rôle capital dans la digestion car elles améliorent la dégradation de certains aliments et l’absorption de nombreux nutriments essentiels (vitamines, corps gras, acides aminés, etc.). Ce phénomène, dont le mécanisme commence juste à être élucidé, est largement exploité par les éleveurs qui, en ajoutant des faibles doses d’antibiotique à la nourriture du bétail, modifient la flore intestinale des animaux afin que ces derniers engraissent plus vite. Une étude récente a de plus révélé que chez l’enfant, une exposition aux antibiotiques durant les six premiers mois de la vie est corrélée à un surpoids futur. Par ailleurs, des travaux antérieurs avaient déjà montré que des animaux privés de flore intestinale étaient incapables de prendre du poids, même quand ils étaient soumis à un régime hypercalorique.    

Des souris qui mangent mais ne grossissent pas

Gain de poids des souris en fonction de la lignée et du régime alimentaire

Partant de ce constat, une équipe de l’Université de Chicago dirigée par Yang-Xin Fu a tenté de mesurer l’effet d’une modification de la flore intestinale sur la prise de poids, mais surtout d’identifier les facteurs, alimentaires ou physiologiques, qui peuvent déterminer ces modifications.  Les chercheurs ont pour cela comparé plusieurs lignées de souris dont certaines étaient porteuses d’une anomalie génétique les rendant incapables de synthétiser la lymphotoxine, une molécule qui régule les interactions entre le système immunitaire et les bactéries intestinales.

Résultat : le poids des deux lignées reste stable quand les souris reçoivent un régime standard. En revanche, après 9 semaines d’un régime alimentaire enrichi en gras, les souris normales voient leur poids augmenter en moyenne de 30% - principalement sous forme de graisse corporelle-, tandis que les souris « déficientes » ne grossissent pas, bien qu’elles aient ingéré autant de calories. Les chercheurs ont alors constaté que le régime riche en graisse induit une modification de flore bactérienne dans les deux lignées. Chez les souris normales, ce régime entraîne une augmentation sensible de la proportion de bactéries Erysopelotrichi, que l’on sait associées aux problèmes d’obésité. En revanche, chez les souris « déficiente », le même régime laisse proliférer un autre type de bactéries –appelées SFB-, connues pour déclencher des réactions inflammatoires immunitaires dans l’intestin.     

Transplantation de flore

Escherichia coli est l'une des bactéries composant la flore intestinale

Dans un second temps, l’équipe a transplanté la flore intestinale prélevée sur les lignées « normales » et « déficientes » chez des souris normales (donc capables de synthétiser la lymphotoxine) mais dont le système digestif avait préalablement été débarrassé de toute bactérie. Les souris ayant reçu la flore intestinale « normale » ont immédiatement pris du poids. Celles qui avaient reçu la flore « déficiente » ont gagné beaucoup moins de poids durant les trois premières semaines, mais ont ensuite fini par rattraper leurs congénères. Selon les chercheurs, cela indique que le système immunitaire de ces dernières est parvenu, après trois semaines, à rétablir une répartition entre les différentes espèces de bactéries identique à celui d’une flore intestinale « normale ».    

Vers un vaccin anti-obésité ?

Ces résultats confirment que le passage d’un régime alimentaire équilibré à un régime gras provoque une cascade d’événements. Tout d’abord, ce changement entraîne une modification des populations bactériennes dans l’intestin, ce qui déclenche une réaction du système immunitaire qui, lui-même, façonne un nouvel équilibre entre ses différentes populations. Bref, rien ne sert d’ingérer un mélange de bonnes bactéries pour maigrir (ou grossir)  si l’on ne dispose pas d’un système immunitaire adéquat, capable de contrôler la prolifération et l’équilibre entre les différentes populations.

Toutefois « ces résultats suggèrent qu’il peut être envisageable d’apprendre à réguler ces bactéries d’une manière qui puisse prévenir l’obésité, indique Vaibhav Upadhyaa, l’auteur principal de l’étude. Nous pensons désormais pouvoir inhiber les effets délétères de l’obésité en régulant la flore intestinale par une manipulation du système immunitaire. »  Un optimisme cependant tempéré par Yang-Xin Fu qui rappelle qu’avec plus de 500 lignées bactériennes présentes dans l’intestin « les microbes particuliers qui favorisent le gain de poids et les réponses immunitaires spécifiques qui bloquent leur prolifération devront être mieux identifiés et compris » avant d’aboutir à un traitement.    

Yaroslav Pigenet le 27/08/2012