Industrie chimique : une paille pour des bioraffineries

Une usine produisant des composés pour l'industrie à partir de paille va voir le jour en Champagne Ardennes. Son procédé a reçu un prix récompensant la chimie pour le développement durable.

Par Cécile Michaut, le 03/11/2010

Végétal raffiné

Paille de blé

Prendre de la paille de blé et la transformer non seulement en papier ou carton, mais aussi en carburants, aliments, plastiques… Ce type de « raffinerie végétale », également appelée « bioraffinerie », est désormais à portée de main. La société CIMV (Compagnie industrielle de la matière végétale) vient de recevoir le prix Pierre Potier pour « un concept original de raffinage végétal qui permet de séparer et de valoriser les trois principaux constituants de la matière végétale en trois produits intermédiaires destinés à l'industrie : les lignines linéaires, la cellulose et les sirops de sucres ».

Autrement dit, CIMV est capable d'utiliser l'ensemble de la paille pour en faire des produits valorisables par l'industrie. La société française, créée en 1998, va construire une usine de bioraffinerie à Loisy-sur-Marne, en Champagne Ardennes, qui devrait être terminée au premier trimestre 2012. Elle traitera 600 tonnes de paille de blé par jour. L'utilisation des plantes comme matière première n'est pas nouvelle : les papetiers le font depuis des décennies.

Paille décomposée

Cellulose blanche

Dix ans de recherche et 25 millions d'euros (financés partiellement par l'Agence d'aide à l'innovation Oséo et le Crédit impôt recherche) ont été nécessaires pour mettre au point ce procédé. Concrètement, la paille est traitée avec un mélange concentré d'acide acétique et d'acide formique afin de séparer les trois composants de la paille : la cellulose, la lignine et l'hémicellulose.

La cellulose sert à faire du papier. Contrairement à celle utilisée en papeterie, la cellulose issue de ce procédé est suffisamment pure pour éviter l'étape habituelle de purification par le dioxyde de chlore ou l'ozone, qui est polluante.

Lignine

La lignine a fait, quant à elle, l'objet de nombreux travaux de recherche fondamentale afin de mieux comprendre sa composition. « Tout le monde s'est trompé sur la lignine, constate Michel Delmas, Lorsqu'elle est traitée avec des méthodes d'extraction destructrices (haute température, acides très forts), elle se recombine et devient difficile à utiliser. Mais nous avons montré qu'en la traitant plus doucement, on pouvait la transformer en résines phénoliques. Ces résines, aujourd'hui issues du pétrole, sont très utilisées dans l'industrie, par exemple dans les adhésifs ».

Enfin, le troisième produit issu de la paille est l'hémicellulose, un sucre utilisable en alimentation animale ou transformable en biocarburant. Les acides utilisés pour extraire ces composants seraient, selon les promoteurs de cette technologie, recyclés à 99,8%.

Haute valeur ajoutée

L'usine pilote de CIMV

« Dès le départ, nous prévoyons de produire des molécules à haute valeur ajoutée, précise Michel Delmas, si bien que nous pouvons payer la paille aux agriculteurs à un prix très attractif, 85 euros la tonne. Si l'on exclut l'eau (15 % de la paille environ), nous avons un rendement proche de 100 %. Notre usine ne produira pas de déchets, et comme les conditions de réaction sont douces et propres, elle n'est pas classée Seveso ».

La société CIMV compte implanter une deuxième usine aux Etats-Unis, qui sera davantage centrée sur les biocarburants. Elle traitera 25 tonnes de paille par jour. Sa date de construction n'est pas encore précisée. « L'idée est de séparer les composants de la paille avant de dégrader la cellulose à l'aide d'enzymes, explique Michel Delmas. Actuellement, c'est l'inverse qui est fait : les industriels dégradent la matière végétale avec les enzymes, mais se retrouvent avec un mélange difficile à purifier, et des rendements médiocres ».

« Le concept de bioraffinerie a démarré dans les années 1980, mais les premières réalisations concrètes ne sont apparues que dans les années 2000, rappelle Marie-Elisabeth Borredon, professeur au Laboratoire de chimie agroindustrielle à Toulouse. L'idéal, c'est lorsque plusieurs usines fonctionnent de manière complémentaire : un produit secondaire de l'un est la matière première de l'autre. En France, le meilleur exemple est le site de Pomacle-Bazancourt dans la Marne où, par exemple, des sous-produits de la fabrication du sucre d'une usine sont utilisés pour la production de bioéthanol d'une autre usine. » C'est justement à proximité que se situera l'usine de CIMV.

Ce site bénéficie d'un grand bassin agricole, notamment céréalier, indispensable pour une raffinerie végétale. « Au-delà de la bioraffinerie, le procédé de CIMV s'inscrit dans le concept de chimie verte, qui consiste à prendre de la matière première renouvelable, et à la transformer à l'aide de méthodes respectueuses de l'environnement, consommant peu d'énergie, sans produits toxiques et engendrant peu de déchets », ajoute la chercheuse.

Le projet Biocore

L'Europe croit en la bioraffinerie, puisqu'elle a lancé le 4 mars 2010 un projet, baptisé Biocor, doté d'un budget de 20,3 millions d'euros sur quatre ans, coordonné par l'Institut national de la recherche agronomique… qui utilisera la technologie de CIMV pour séparer les composants de la biomasse (résidus forestiers, bois de taillis, etc.). Biocore se situe donc en aval de CIMV, et a pour but de développer des produits à haute valeur ajoutée à partir de la cellulose, de la lignine et de l'hémicellulose. Biocore vise aussi à utiliser le bois en plus de la paille, ce qui est plus difficile : il faut notamment très bien le broyer, afin que les réactifs diffusent au cœur du matériau.

Cécile Michaut le 03/11/2010