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Le c3rv34u statisticien
moment précis où il aurait dû survenir – un pur
signal de prédiction évoqué par le silence !
Cette réponse à la nouveauté auditive,
appelée
mismatchresponse
dans la littérature scien-
tifique, existe déjà chez le nouveau-né. Il semble
bien que, dès la naissance, toutes les aires céré-
brales apprennent à prédire ce qu’elles reçoivent,
chacune avec son code propre. Dans chaque aire
corticale, les signaux neuronaux reflètent très
directement le degré de surprise, c’est-à-dire la dif-
férence entre ce que le cerveau avait prédit et ce
qu’il a effectivement observé. Ainsi, lorsqu’on s’at-
tend à ce qu’une image en suive une autre, les aires
visuelles de la voie occipito-temporale ventrale
diminuent leur réponse, tandis qu’elles s’activent
avec une vigueur renouvelée si l’image visible ne
correspond pas à celle prédite. Si l’on entend une
phrase comme « À midi, j’ai mangé mon steak avec
un couteau et une chaussette », le dernier mot inat-
tendu entraîne une onde appelée N400 dont l’am-
plitude varie selon l’improbabilité du mot dans le
contexte. Une autre onde appelée ELAN signale
une anomalie syntaxique des phrases agramma-
ticales comme « Hier, je suis rentré la à maison ».
L’onde P300, elle, indique la prise de conscience
qu’un signal imprévisible a été perçu et que celui-ci
nécessite une analyse plus approfondie.
Si toutes ces réponses cérébrales se res-
semblent, bien qu’elles surviennent dans des
régions corticales distinctes, c’est peut-être parce
que la structure du cortex est partout à peu près la
même. Les neurones du cortex sont en effet orga-
nisés en couches successives dont les connexions
obéissent à des règles précises. Le psychiatre et
mathématicien Karl Friston propose que cette
organisation anatomique permet de réaliser un
algorithme d’apprentissage statistique par pro-
pagation de signaux d’erreur
Figure 8
. Selon cette
hypothèse, les aires corticales forment une hié-
rarchie. Les aires de haut niveau, qui contiennent
les modèles les plus compacts du monde extérieur,
envoient en permanence des prédictions aux
régions sensorielles de bas niveau, par le biais de
connexions dites « descendantes » (parce qu’elles
des prédictions et d’en vérifier la validité, a une
longue histoire en éthologie, en psychologie et en
neurosciences. Selon Helmholtz et Holst, chaque
action s’accompagne d’une prédiction : chaque fois
que nous faisons un geste, notre cerveau envoie une
copie de cette actionaux aires sensorielles afind’en
prédire les conséquences sensorielles. C’est ce qui
fait, par exemple, que lorsque nous bougeons les
yeux nous ne voyons pas toute la scène visuelle
glisser dans le sens opposé, mais nous percevons
une scène stable : notre cerveau soustrait la prédic-
tion issue du mouvement de nos yeux et stabilise
ainsi notre perception.
Prédire permet de gagner du temps en
disposant d’informations à l’avance, parfois avant
même qu’elles atteignent les récepteurs sensoriels.
Utiliser le passé pour prédire le présent peut éga-
lement aider à interpréter des entrées sensorielles
bruitées, voire à remplacer totalement un
stimulus
manquant. Enfin, la prédiction permet au cerveau
de comprimer l’information : comme les systèmes
de compression de son ou d’image (JPEG, MPEG),
notre cerveau n’a pas besoin de représenter ni de
transmettre ce qu’il peut prédire, seule compte
pour lui l’erreur de prédiction.
La manière la plus simple de révéler les
capacités de prédiction du cerveau consiste à l’ha-
bituer à une régularité auditive. Lorsqu’on entend
une série de cinq sons identiques et régulièrement
espacés, « bip bip bip bip bip », le cerveau apprend
très vite à prédire le prochain son et à soustraire
cette prédiction des entrées sensorielles. L’activité
des aires auditives montre alors une diminu-
tion radicale de l’activité évoquée par les sons
qui suivent le premier
Figure 7
. Si, en revanche, un
son inattendu survient (« bip bip bip bip boup »),
le cerveau répond avec une activité renouvelée,
dont l’amplitude correspond très exactement à
la différence de probabilité du son attendu et du
son observé – c’est un signal cérébral d’« erreur de
prédiction ». La meilleure preuve que le cerveau
effectue bien une prédiction, c’est que si l’on omet
le dernier son (« bip bip bip bip »), les aires audi-
tives émettent une réponse au son manquant, au
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