Criquets pèlerins : comment arrêter l'invasion ?

Depuis l’automne 2003, les criquets pèlerins rencontrent au Sahel et en Afrique du Nord, des conditions idéales pour leur reproduction. Les pays des zones concernées luttent contre cette invasion. En vain.

Par Olivier Boulanger, le 18/10/2004

Une invasion exceptionnelle

La saison estivale, une fois de plus, aura été favorable à la reproduction des criquets pèlerins. Ils ont ainsi été des milliards à investir – pour la seconde année - le Sahel. Selon les estimations de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), trois à quatre millions d’hectares ont d’ores et déjà été infestés, la Mauritanie étant le pays le plus touché avec près de 1,6 million d’hectares dévastés.

Pour les populations, la menace est réelle : une tonne de ces insectes, soit une fraction d’un essaim moyen, consomme en un jour autant de nourriture que 2500 personnes ! Selon les pays, jusqu’à 40% des pâturages et 10% des cultures de légumineuses ont été ravagés.

La situation actuelle et les prévisions pour mi-novembre 2004
Que se passera-t-il si on ne fait rien ? Annie Monard, acridologue à la FAO.

Avec l’arrivée de la saison sèche, les criquets migrent désormais vers le Maghreb. « C’est la pire des situations que l’on ait connue depuis quinze ans, affirme ainsi Annie Monard, acridologue à la FAO, si les conditions s'y prêtent, les insectes se reproduiront dans des proportions bien plus grandes que l'année dernière. » Extrêmement prolifique, l'insecte est en effet capable de mutiplier ses effectifs par dix à chaque nouvelle génération !

Les raisons du fléau

Vivant la plupart du temps en solitaire sur le pourtour des massifs montagneux du Sahara, le criquet pèlerin ne représente habituellement aucune menace pour les cultures ou les pâturages.

Dans quelles conditions le criquet pèlerin devient-il une menace ? Annie Monard, FAO

Mais en octobre 2003, des pluies abondantes, bien réparties dans l’espace et dans le temps, ont permis aux criquets de se reproduire dans des conditions idéales*. « Leur effectif a dès lors augmenté de manière considérable, explique Annie Monard, ce qui a eu pour effet de les faire passer d’une phase solitaire à une phase grégaire ».

À la fin de la période estivale (qui correspond à la période des pluies), les essaims sont passés dans le Maghreb où ils ont rencontré, une fois de plus, des conditions très favorables à leur reproduction. Malgré des traitements effectués sur des superficies considérables – presque 6 millions d’hectares –, les insectes ravageurs sont revenus massivement vers les pays du Sahel à partir de fin juin début juillet 2004, envahissant la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, puis le Niger, le Tchad, le Burkina Faso, quelques essaims atteignant même les îles du Cap Vert.

« Une fois de plus, les insectes ont rencontré dans ces régions des conditions favorables, note Annie Monard, et c’est à leur descendance que nous avons affaire aujourd’hui. »

* Pour mieux comprendre le cycle de reproduction du criquet pèlerin, consultez ce dossier en ligne réalisé par la FAO.

Des essaims trop diffus

Comment lutte-t-on habituellement contre les criquets ? Annie Monard (FAO)...

La meilleure arme pour combattre les criquets est la lutte préventive. Elle consiste à évaluer régulièrement les populations de criquets existantes et en cas de densité élevée, à traiter les zones concernées.

En 2003, l’alerte a été donnée par la FAO. Plusieurs pays dont le Mali ou la Mauritanie ont alors commencé les traitements.

Les risques environnementaux d'une telle lutte sont-ils pris en compte ? Annie Monard (FAO)...

« Des traitements sans doute insuffisants, note Annie Monard, mais les essaims – très diffus – étaient difficilement traitables : on ne peut pas se permettre de répandre des insecticides sur des surfaces immenses lorsque seulement quelques insectes existent au mètre carré. »

Au Maghreb, de nombreux essaims suffisamment denses ont pu être traités. Mais, d’autres, trop diffus, ont échappé au traitement, si bien que l'invasion n'a pu être enrayée.

Annie Monard, que peut-on faire maintenant ?

100 millions de dollars

Dès le début de la crise, la FAO a tenté de mobiliser les bailleurs de fonds afin de financer la lutte contre l’invasion qu’elle jugeait imminente.

“La lutte anti-acridienne fait des progrès mais doit se poursuivre...“ Jacques Diouf, Directeur général de la FAO

En février 2004, elle estimait ainsi les besoins à 9 millions de dollars. Mais en août, ce chiffre s’élevait à 100 millions de dollars. Or, à la mi-septembre, la FAO n'avait reçu que 2 millions de dollars !

Suite à un nouvel appel, le montant reçu au 19 octobre 2004 s'élève désormais à près de 47 millions de dollars, auxquels s'ajoutent 6 millions de dollars sur les fonds propres de la FAO. L’organisme attend encore 17 millions de dollars supplémentaires, promis par les bailleurs de fond, et négocie encore 4,6 millions de dollars supplémentaires.

Mais alors que la lutte actuelle n’a pas encore bouclé son financement, il est déjà temps de se mobiliser pour 2005.

Olivier Boulanger le 18/10/2004