Fertilité masculine : où sont passés les spermatozoïdes ?

Augmentation des cancers du testicule, diminution de la qualité du sperme dans certaines régions du monde, multiplication des anomalies de l'appareil reproducteur masculin… Assiste-t-on réellement à une baisse de la fertilité masculine ?

Par Lise Barnéoud, le 20/12/2004

Augmentation des cancers du testicule

Evolution du risque des cancers du testicule

Un certain nombre d’études font état d’une augmentation des cancers du testicule durant ces trente dernières années, en particulier dans les pays industrialisés. Dernière en date : une étude publiée en juin 2004 dans la revue d’épidémiologie et de santé publique, qui montre que le taux d’incidence du cancer du testicule a augmenté de 50% en vingt ans en France.

Or le traitement de ce cancer, qui touche surtout l’homme jeune, entraîne une diminution de la fertilité de 30%*.

* (Cancer, fev. 2004, 100(4):732-7)

Rémy Slama, chercheur à l'Inserm



« Il y a très clairement une augmentation
de l'incidence du cancer du testicule...
»

Rémy Slama, chercheur à l'Inserm

Chaque année, un million de spermatozoïdes en moins par millilitre

Diminution de la concentration en spermatozoïdes

Parallèlement, on observe depuis le milieu du XX° siècle une diminution de la qualité du sperme dans les pays industrialisés. Il existe trois principaux critères, mesurés à l’aide d’un spermogramme, pour définir la qualité du sperme : la concentration en spermatozoïdes, leur mobilité et leur morphologie.

Selon une étude publiée en 2000, la concentration de spermatozoïdes diminuerait de 3 % par an en Europe et de 1.5% par an aux Etats-Unis. On serait ainsi passé de 100 millions de spermatozoïdes par millilitre dans les années cinquante à 50 millions en moyenne dans les années 2000.

Mais ces chiffres sont à manier avec précaution. En effet, ces études sont toutes basées sur le volontariat, et de manière générale, seule une faible proportion d’hommes accepte de donner son sperme. Ceci est surtout vrai pour certains pays, comme la France, où cet acte est loin d'être banalisé. On peut donc se demander si l'échantillon sélectionné est réellement représentatif de la population générale.

A priori, pas de quoi s’inquiéter. 100 millions ou 50 millions de spermatozoïdes par millilitre… qu’importe, puisqu’il suffit théoriquement d’un seul spermatozoïde pour procréer. En réalité, la probabilité d’avoir un enfant est déjà divisée par deux en dessous de 20 millions de spermatozoïdes par millilitre !

A chaque région sa qualité de sperme !

Il existe une grande disparité géographique dans les caractéristiques du sperme. Une étude, menée en 2002 en Europe sur plus de 900 partenaires de femmes enceintes, montre des différences de densité spermatique selon les villes. Les Danois (Copenhague) présentent ainsi les concentrations en spermatozoïdes les plus faibles, suivis par les Ecossais (Edinburgh) et les Français (Paris), loin derrière les finlandais (Turku).
De même, une étude menée en 1997 sur 4700 candidats au don de sperme montre des différences significatives entre certaines villes de France. Par exemple, les Lillois présentent une concentration spermatique plus élevée qu'à Paris. A l'inverse, les Grenoblois ou les Toulousains montrent des concentrations plus faibles.

Des origines mal élucidées

Outre l’augmentation des cancers du testicule et la diminution de la qualité du sperme, d’autres affections de l'appareil reproducteur masculin, comme la cryptorchidie (problème de migration des testicules dans les bourses) ou l’hypospadias (malformation du pénis), sont en augmentation.

Sur les paquets de cigarettes...

Pour certains scientifiques, ces diverses anomalies proviendraient d’un même syndrome, appelé le syndrome de dysgénésie testiculaire, et auraient donc une origine commune.

Même si les facteurs génétiques sont les plus souvent incriminés, les causes de l’augmentation de ces anomalies sont de plus en plus recherchées parmi les facteurs environnementaux. En effet, les évolutions relativement rapides de ce syndrome suggèrent des facteurs dynamiques, en lien avec le mode de vie ou l’environnement.

Sont notamment suspectés, la chaleur, les champs magnétiques, les rayonnements ionisants... mais surtout les facteurs chimiques. Au banc des principaux accusés : les pesticides, les solvants ou le tabac. Enfin, le stress pourrait également jouer un rôle dans la baisse de la fertilité masculine.

La technologie au secours des hommes stériles

Pour autant, y a-t-il lieu de s’inquiéter pour la fertilité masculine, et par voie de conséquence à long terme, pour la survie de l’espèce humaine ? Si beaucoup plus d’hommes viennent consulter pour des problèmes d’infertilité, est-ce grâce à l’augmentation de l’offre médicale ou bien assiste-t-on réellement à une augmentation de la stérilité masculine ?

Pierre Jouannet, chef du service de biologie de la reproduction de l’hôpital Cochin à Paris

Certes, les techniques d’aide à la procréation, de plus en plus performantes, peuvent déjouer aujourd’hui artificiellement la stérilité, et de plus en plus d’hommes stériles peuvent désormais devenir pères.

Par exemple, la congélation du sperme pratiquée aujourd’hui avant les traitements de radiothérapie permet aux hommes de procréer suite à un cancer du testicule. De même, les nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation permettent à l’homme d’avoir un enfant même s’il est atteint d’anomalies spermatiques.

Mais ce « détournement artificiel » de la stérilité n’est pas sans poser problème. En effet, permettre à des hommes naturellement stériles de procréer, c’est prendre le risque de concevoir un garçon également stérile, si les causes de cette stérilité sont génétiques. Et ainsi d’augmenter la population d’hommes stériles, tout en ayant des moyens de plus en plus sophistiqués de les rendre momentanément fertiles…

Lise Barnéoud le 20/12/2004