IVG : Les paradoxes francais

Trente ans après l'adoption de la loi Veil et malgré l’accroissement de l’utilisation des méthodes contraceptives en France ainsi que l’introduction de la pilule du lendemain en vente libre depuis 2001, le nombre d'avortements avoisine toujours les 200 000 par an. Cherchez l’erreur…

Par Lise Barnéoud, le 09/11/2004

14% d’IVG de plus qu’en 1995

La lente progression du nombre d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) vient d’être confirmée : selon le dernier rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) le nombre d’IVG est évalué à 206 000 en 2002, soit une augmentation de 14% par rapport à 1995.

courbe de l’évolution du nombre d’IVG pour 1000 femmes

Le nombre d’IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans passe ainsi de 12,3 en 1995 à 14,3 en 2002. C’est entre 20 et 24 ans que le recours à l’IVG est le plus fréquent, ce qui correspond à une période de forte fécondabilité. Et c’est aussi chez les jeunes que l’accroissement du nombre d’avortements est le plus important. De 15,4 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 24 ans en 1995, nous sommes passés à 19,4 en 2002, soit une augmentation de 26%. Parmi celles-ci, la part des mineures est en constante augmentation : près de 11 000 jeunes filles mineures ont eu recours à une IVG en 2002, contre moins de 8 500 en 1995.

Nathalie Bajos, chercheur à l'Inserm

Mais ces statistiques sont encore très controversées. Pour certains chercheurs, l'augmentation du nombre d'avortements pratiqués en France pourrait être due “à un changement des méthodes d'enregistrement des IVG

Polémique sur les statistiques des IVG en France

Les statistiques d’IVG publiées par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sont difficilement comparables avec les données d’avant 1998. En effet, il y a eu une transition dans les sources utilisées. Jusqu’en 1997, les statistiques de l’IVG en France était principalement réalisées via les déclarations obligatoires des médecins qui pratiquent l’avortement. Mais pour des questions de saisies informatiques (les bulletins qui dataient de 1989 étaient manuscrits et difficilement numérisables), des chercheurs de l’INSERM en charge de l’exploitation statistique et de la publication de ces données ont proposé au ministère de passer à des bulletins optiques en 1998. Mais le projet n’a pas été retenu et les bulletins qui continuent d’être remplis manuellement restent inexploités.

Il aura fallu attendre 6 ans pour qu’un nouveau questionnaire informatisé soit mis en place. Entre temps, deux autres sources ont été utilisées pour tenter de poursuivre l’étude épidémiologique : la statistique annuelle des établissements de santé (SAE) et les données issues du programme médicalisé des systèmes d’informations (PMSI). Ces statistiques administratives étant elles-mêmes en évolution puisqu’elles dépendent du degré d’informatisation des établissements.

Pour certains chercheurs de l’INSERM, l’augmentation du nombre d’IVG pourrait être artificielle du fait de l’augmentation du degré d’informatisation des centres de santé.

L'inégale répartition du taux d'IVG

Répartition du taux d’IVG selon les départements en France

C’est dans le Sud de la France, l’Île-de-France et surtout dans les départements d’outre-mer que le nombre d’avortement est le plus important.

On compte ainsi 28,8 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans dans les DOM et 20 dans les régions du Sud de la France (Corse, Languedoc-Roussillon et Provence-alpes-côte-d’azur) contre une moyenne de 14,3 en France métropolitaine.

En Europe, en dehors de l’Irlande, du Portugal et de Malte où l’avortement demeure illégal, la France se situe parmi les pays où le taux d’IVG est le plus élevé, derrière la Suède et les ex pays de l’Est. En moyenne, on compte 10,4 IVG pour 1000 femmes dans l’Europe des 25.

L'utilisation de la pilule du lendemain en hausse

la pilule du lendemain

En 2001, la France a été le premier pays au monde à délivrer une contraception d’urgence sans ordonnance (en l’occurrence la pilule Norlévo) et celle-ci est distribuée gratuitement pour les mineures dans les établissements scolaires.

Selon le laboratoire responsable de la fabrication de la pilule Norlévo, 800.000 boîtes de ce contraceptif d’urgence ont été vendues entre juin 2003 et juin 2004, soit 10% de plus qu'entre juin 2002 et juin 2003.

Ce que la nouvelle législation de 2001 a changé

Elisabeth Aubény, gynécologue et présidente de l'association française pour la contraception

En 2001, une nouvelle législation assouplissait les conditions d’accès à l’IVG. Ainsi, le délai légal du recours à l’IVG est passé de 10 à 12 semaines, les mineures peuvent désormais se faire avorter sans autorisation parentale et l’IVG médicamenteuse (RU-486) est autorisée en dehors du milieu hospitalier. Ce décret ne sera effectivement signé que trois ans plus tard, au mois d'août 2004. Dorénavant, les médecins ou gynécologues de ville qui le souhaitent peuvent prescrire une pilule abortive.

Un usage toujours plus important de contraceptifs

La France est l'un des pays où la contraception médicale (pilule, stérilet) est la plus utilisée au monde.

Les méthodes de contraception de 1978 à 2000

Selon l’Ined (l’Institut national des études démographique), 95% des françaises sexuellement actives déclarent utiliser de méthodes contraceptives. Dans notre pays, la pilule est reine. Déjà en tête des moyens de contraception en 1978, la pilule ne cesse de se diffuser: il y a vingt ans, 40% des femmes de 20 à 44 ans l'utilisaient, contre 60% aujourd'hui. Viennent ensuite le stérilet (23%) puis le préservatif (environ 10%) (Ined, 2002).

D’autre part, de nouveaux moyens de contraception sont désormais disponibles. Il s’agit de l'implant, du patch et de l’anneau vaginal, trois contraceptifs qui ont l’avantage d’éviter les problèmes d'oubli propres à la pilule.

Les nouveaux moyens de contraception

L’implant : Commercialisé en France depuis mai 2001 sous le nom d'Implanon, l'implant est un contraceptif hormonal à base de progestatif seul. Il s’agit d’un bâtonnet souple de 4 centimètres de longueur et 2 millimètres de diamètre inséré sous la peau au niveau de la face interne du haut du bras. Il peut avoir une efficacité pendant trois ans. L'implant coûte 138 euros mais il est remboursé à 65 % par la sécurité sociale. Moins de trois ans après sa mise sur le marché, l'implant est déjà utilisé par près de 300 000 femmes en Europe.

Le patch : Disponible en France depuis janvier 2004, le patch ressemble à un timbre de 4,5 cm2 collé sur le bas de l'abdomen, les fesses, l'épaule ou le bras. Il délivre à dose continue une combinaison d'hormones (progestérone et œstrogène), d'un dosage équivalent à celle d'une mini-pilule pendant une semaine. Il doit être changé tous les sept jours pendant trois semaines et inutilisé pendant la quatrième semaine, correspondant à la période des règles. En cas de décollement ou d'oubli de renouvellement, la “marge de sécurité“ est de quarante-huit heures. La boîte de trois patches, non remboursée, coûte environ 15 euros.

L'anneau vaginal est disponible depuis avril 2004. Il s’agit d’un anneau de 5,4 cm de diamètre que la femme place elle-même au fond du vagin, autour du col. Une fois placé, il libère peu à peu un oestrogène et un progestatif. Les hormones sont absorbées via la muqueuse vaginale, passent par la circulation générale et comme les pilules contraceptives, inhibent l’ovulation. Au bout de trois semaines, l’anneau est retiré, ce qui permet de déclencher les règles, et il remplacé par un nouvel anneau une semaine plus tard. L’anneau contraceptif délivre les hormones à une dose moindre et de manière plus régulière que la contraception orale. Non remboursé, son prix est d'environ 15 euros.

Un premier paradoxe

Comment se fait-il que le nombre d'IVG ne diminue pas malgré l'introduction de la pilule du lendemain en vente libre ? Plusieurs hypothèses sont avancées.

L’allongement du délai légal du recours à l’IVG de 10 à 12 semaines en 2001 est souvent avancé comme explication possible de la légère progression du nombre d’avortements. Mais selon la dernière publication de la Drees, sur 682 établissements ayant réalisé des IVG, seuls 185 ont déclaré en avoir pratiqué lors des onzième et douzième semaines de grossesse, et celles-ci ont représenté seulement 7% du nombre total des IVG qu’ils ont réalisées. Pour Annick Vilain, en charge de l’étude, l’allongement n’a donc eu qu’un « impact relativement marginal sur les évolutions quantitatives observées »

Elizabeth Aubény, gynécologue et présidente de l'association française pour la contraception

Un autre argument souvent utilisé pour expliquer l’absence d’impact de la pilule du lendemain sur le nombre total d’IVG est le manque d’informations autour de la contraception d’urgence. Si le nombre de boîtes de Norlévo est en hausse, seule une minorité des femmes ayant eu un accident de contraception - oubli de pilule, problème de préservatif – ont le réflexe d’utiliser la pilule du lendemain.

Nathalie Bajos : « Aujourd'hui encore plus qu'hier, il faut avoir un enfant dans le cadre d'une relation stable ... »

Par ailleurs, pour certains spécialistes, les “normes sociales du bon moment pour être mère se sont rigidifiées“. L'âge médian du premier enfant ne cesse de reculer: il faut avoir une relation stable, une situation professionnelle adéquate... Ainsi, les femmes recourent plus fréquemment et plus facilement à une IVG en cas de grossesse non désirée qu'avant, notamment chez les plus jeunes.

Enfin, selon certains statisticiens, les données recueillies depuis 1998 ne seraient de toute façon pas assez précises pour permettre d'évaluer réellement l'impact de la contraception d'urgence et de la loi de 2001. Quant à l'IVG médicamenteuse (RU-486), elle échappe aujourd'hui à tout système d'observation classique.

Un second paradoxe

La France est un des pays où le taux de contraception, notamment médical, est le plus élevé au monde, et présente en même temps un taux d’IVG parmi les plus élevés. Ainsi, 2/3 des IVG en France surviennent chez des femmes qui utilisent une contraception. Comment expliquer un tel paradoxe ?

Nathalie Bajos, chercheur à l'Inserm


L'efficacité théorique des moyens de contraception
n'est pas la même que l'efficacité pratique.

Elisabeth Aubeny, gynécologue

 
Les nouveaux moyens de contraception
pourront aider à diminuer le nombre d'IVG

Lise Barnéoud le 09/11/2004