Homo floresiensis : le petit dernier de la famille ?

Nous sommes 16 000 ans avant Jésus-Christ. Depuis la disparition de l’homme de Neandertal (il y a plusieurs milliers d'années), toute la Terre n’est plus occupée que par Homo sapiens... Toute ? Non ! Sur l’île indonésienne de Florès, quelques homininés résistent encore à l’envahisseur. Leur nom : Homo floresiensis.

Par Olivier Boulanger, le 08/04/2005

L'île de Florès

Il y a six ans, les australiens Peter Brown et Mike Morwood annonçaient avoir trouvé à 500 kilomètres à l'est de Java, sur l'île de Florès, des outils de pierre datant de 800 000 ans.

À l'époque, cette découverte avait semé le doute parmi les anthropologues du monde entier. Elle impliquait en effet qu'Homo erectus, notre ancêtre vivant à cette époque en Asie, ait traversé à bord d'embarcations la mer séparant Java des îles situées plus à l'est : exploit qui, jusqu'à présent, ne semblait pouvoir être accompli que par l'homme moderne, Homo sapiens

« Petit pour son âge »

L'insistance des deux chercheurs a pourtant porté ses fruits. En septembre 2003, ils découvraient dans la grotte de Liang Bua, toujours sur l'île de Florès, les ossements d'un étrange petit homme n'appartenant à aucune espèce connue.

Dans deux articles qui viennent de paraître dans la revue Nature*, les auteurs de cette découverte montrent qu'il y a seulement 18 000 ans, bien après la disparition de l'homme de Neandertal (il y a environ 30 000 ans), Homo sapiens n'était pas le seul homininé** à vivre sur Terre : en Indonésie, subsistait l'homme de Florès, Homo floresiensis.

* Nature, vol.43, pp.1041/1055/1087 (28 octobre 2004) ; ** Sous-famille des hominidés comprenant les genres Australopithecus et Homo, c'est-à-dire les préhumains et les humains.

Un squelette presque complet

La grotte de Liang Bua

À la différences de nombreuses découvertes récentes, les restes retrouvés dans la grotte de Liang Bua ne se limitent pas à quelques éléments isolés. À 5,90 mètres de profondeur, dans une couche de terrain datant de 18 000 ans, les chercheurs ont en effet pu dégager un crâne presque complet accompagné de sa mandibule, une jambe droite, quelques éléments de la jambe gauche, des fragments de mains, de pieds, ainsi que quelques éléments de la colonne vertébrale, du sacrum, des clavicules et des côtes. Des ossements suffisamment nombreux pour que soit dressé un portrait précis de ce nouvel hominidé.

Chose marquante, cet individu est tout petit. Sa taille ne dépasse pas un mètre pour un poids ne devait pas excéder 28 kg.

Homo sapiens et Homo floresiensis

Plus surprenant encore, sa capacité crânienne de seulement 380 cm³ est tout juste comparable à celle d'un chimpanzé. Aucun homininé n'affiche un cerveau aussi réduit. La capacité crânienne d'Homo erectus est d'environ 1000 cm³, celle d'Homo sapiens de 1300 cm³. Même Lucy, l'australopithèque, âgée pourtant de 3,2 millions d'années dispose d'un cerveau (légèrement) plus volumineux : 400 cm³ ! L'individu retrouvé n'est pourtant pas un enfant. Sa dentition et son ossification montrent clairement qu'il s'agit d'un adulte. Plus précisément, il s'agit d'une femme (d'après son bassin) d'une trentaine d'années.

Humain ou préhumain ?

L'homme de Florès (vue d'artiste)

Une petite taille, une capacité crânienne réduite… pouvait-il s’agir d’un préhumain, c’est-à-dire d’un australopithèque comme Lucy ? Les auteurs de la découverte l’ont pensé un moment. Mais les spécialistes ayant eu entre les mains cet étrange individu sont formels : sa position « debout » (attestée par la position du trou occipital, à la base du crâne, auquel se rattache la colonne vertébrale), et sa dentition fine sont des caractères indéniablement humains !

Il s’agit donc d’un homme à part entière, appartenant au genre Homo. Une nouvelle espèce est alors créée : Homo floresiensis, l’homme de Florès.

Classification complète de l'homme de Florès

L'homme de Florès (vue d'artiste)
Ordre : Primates

Superordre : Anthropoïdes

Superfamille : Hominoïdes (ou Hominoidea)

Famille : Hominidés (ou Hominidae)

Sous-famille : Homininés (ou Homininae)

Genre : Homo

Espèce : floresiensis

Nanisme insulaire

Reste à expliquer cette petite taille qui ne semble pas constituer un cas pathologique : les ossements – moins complets – de six autres individus, âgés de 70 000 à 18 000 ans, montrent en effet les mêmes caractéristiques.

Evolution et migrations de l'homme depuis 2 millions d'années

Pour les auteurs de la découverte, « l'explication la plus vraisemblable de leur existence réside dans l'isolement à long terme (sur l'île de Florès) d'une population ancestrale d'Homo erectus qui a finalement conduit au nanisme. »

Ce nanisme, dit insulaire, est fréquent dans le monde animal. Lorsque des individus se retrouvent isolés sur une île, il s'opère une sélection naturelle : face à des ressources limitées, seuls les plus petits individus survivent car leur besoin en nourriture est moins grand.

Jamais pourtant le nanisme insulaire n'avait été observé chez l'homme. « Homo floresiensis montre que dans ses réponses adaptatives, le genre Homo est morphologiquement plus varié et plus souple qu'on ne le pensait », concluent-ils.

Ouvrier et chasseur

Des outils retrouvés dans la grotte de Liang Bua

380 cm³. Une capacité crânienne aussi réduite pourrait laisser penser que l'homme de Florès était un incapable. Il n'en est rien ! Plusieurs éléments retrouvés dans la grotte de Liang Bua montrent en effet qu'Homo floresiensis était clairement capable de concevoir des outils, qu'il chassait et qu'il maîtrisait aussi l'usage du feu.

L'étude archéologique du site a ainsi révélé la présence de nombreux outils en silex noir et en roches volcaniques. Ces instruments sont constitués essentiellement de simples éclats, mais comprennent aussi des nucléus* avec de traces de coups portés de manière à obtenir des bifaces.

« Une découverte considérable... » Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France

Les restes d'un dragon de Komodo (un lézard géant) ainsi que ceux d'un stégodon nain (un cousin de l'éléphant) ont par ailleurs été retrouvés entourés d'autres outils dont des pointes, des perforateurs, des lames et des micro-lames. Certains se demandent d'ailleurs si ces outils n'ont pas été fabriqués par des Homo sapiens (arrivés dans le sud-est asiatique il y a 50 000 à 100 000 ans), avant d'être ramassés tout simplement par les hommes de Florès. Une question pour l'instant sans réponse. Mais le nouvel intérêt que portent soudainement les paléontologues pour la région de Florès permettra sans doute d'en savoir plus sur notre cousin oublié.

* blocs de roche dont on extrait des éclats ou des lames destinés à la fabrication d'outils fins


Olivier Boulanger le 08/04/2005