OGM : faut-il freiner les essais en champ ?

Au moment où la France demande une pause des essais des organismes génétiquement modifiés (OGM) en champ, la plus grande étude sur l'impact des OGM sur la biodiversité prend fin en Angleterre. Verdict plutôt mitigé.

le 15/12/2005

Moratoire sur les essais en champ en France

"La suspension des autorisations en champ me paraît difficilement compréhensible... "

Tout en réaffirmant l'intérêt scientifique des expérimentations en plein champ, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur “les enjeux des essais et de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés“ réclame une suspension des autorisations accordées pour les nouvelles demandes d'essais en 2005.

Objectif affiché : se donner le temps de mieux encadrer ces essais et d'améliorer les procédures d'évaluation des risques pour l'environnement, mais aussi... rétablir la “paix civile“ !

Evolution du nombre d'essais en plein champ en France

« Tant que nous n'avons pas mis en place le Conseil des biotechnologies que nous proposons, il ne faut pas faire de nouvelles expérimentations en 2005, si nous voulons rétablir la paix civile », a déclaré le responsable de la mission parlementaire, Jean-Yves le Déaut. Ce Conseil des biotechnologies devrait voir le jour d'ici la fin de l'année.

En France, le nombre d'essais en champ d'OGM diminue depuis cinq ans : la superficie agricole consacrée à ces essais est passée de 385 hectares en 1999 à 7,2 hectares en 2004, répartis sur 48 parcelles (dont 26 ont été totalement ou partiellement détruites par les opposants aux OGM).

Antoine Messéan, chercheur à l'Inra

Les essais en champ sont-ils réellement indispensables?

Pour Antoine Messéan, chercheur à l'Inra, « les essais sont nécessaires à un certain stade du développement des OGM » mais « il est possible de limiter le nombre de ces essais grâce à des modèles mathématiques qui permettent de simuler le comportement des OGM dans des situations qui n'ont pas été observées expérimentalement ».

Les principales propositions de la mission parlementaire sur les enjeux des OGM

La mission parlementaire a formulé une soixantaine de propositions dont voici les principales :

AUTORISATION :
- Créer un "Conseil des biotechnologies", à partir de trois organismes existants (Commission du génie génétique, Commission du génie biomoléculaire, Comité de biovigilance), composé d'une section scientifique, chargée de l'évaluation des risques, et d'une section composée essentiellement de représentants de la société civile, chargée de comparer ces risques aux bénéfices économiques et sociaux attendus;
- Assurer l'indépendance de ses membres (rémunération minimale, déclaration des sources de rémunérations...);
- N'accorder aucune autorisation d'essais pour les demandes n'incluant pas une évaluation de l'impact environnemental de l'OGM.

COEXISTENCE DES CULTURES :
- Etendre le seuil de 0,9% de présence fortuite d'OGM dans un aliment à l'agriculture biologique;
- Obligation de "zones tampons" en culture classique de même espèce que l'OGM, autour de la zone de plantation;
- Règles renforcées pour les plantes OGM destinées à des médicaments, compte tenu du danger d'ingestion accidentelle.

INDEMNISATION :
- Instituer un régime de présomption de faute à l'encontre d'un producteur de plantes OGM en cas de présence d'OGM au-delà du seuil légal dans une culture non-OGM;
- Créer un fonds d'indemnisation, financé par l'Etat et par la filière OGM.

INFORMATION, CONSULTATION :
- Affichage obligatoire en mairie des essais en plein champ;
- Publication sur Internet des avis de la section civile du Conseil des biotechnologies, et d'une synthèse pédagogique des travaux de la section scientifique;
- Mention des pesticides utilisés sur l'étiquetage des aliments, dès lors qu'ils figurent sur une liste de produits ayant un impact sur la santé humaine;
- Le maire d'une commune concernée par des projets d'essai OGM devrait se voir proposer un entretien d'information par les services déconcentrés de l'Etat;
- Prévoir une procédure souple de consultation de la population locale.

RISQUES ENVIRONNEMENTAUX :
- Instaurer une zone refuge de 25% de la surface OGM en variété classique dans toute exploitation utilisant des OGM destinés à lutter contre les insectes;
- Surveillance biologique continue dans les zones d'essais et de cultures de plantes transgéniques destinées à combattre les insectes.

La fin d’une vaste enquête

Des chercheurs britanniques comptabilisent les mauvaises herbes et la faune présentes dans les champs

Au même moment, de l'autre côté de la Manche, la plus grande étude sur l'impact d'OGM résistants à un herbicide sur la biodiversité a pris fin après six années d'observation. Lancée par le gouvernement britannique en 1999, l'étude a suivi quatre cultures transgéniques résistantes à un herbicide (le maïs, le colza de printemps, le colza d'hiver et la betterave) et leur équivalent traditionnel.

266 parcelles agricoles, du sud de l'Angleterre au nord de l'Ecosse, ont été réquisitionnées et divisées en deux : d'un côté l'agriculteur cultivait la plante conventionnelle en utilisant un herbicide classique ; de l'autre, il cultivait son équivalent transgénique et utilisait l'herbicide auquel il était résistant (glufosinate pour le maïs et les colzas et glyphosate pour la betterave).

Les chercheurs ont ensuite compté le nombre de graines, de mauvaises herbes, de papillons, d'abeilles, d'escargots, d'araignées, etc… présents dans les champs et en bordure des champs. Le premier rapport a été publié en octobre 2003. Le second, portant sur le colza hivernal, a été rendu public en mars 2005.

Quels résultats ?

« La diminution des ressources s'est maintenue pendant deux ans alors que l'on avait remis le système conventionnel »

Globalement, les herbicides utilisés dans le cadre des cultures OGM sont plus efficaces : ils laissent moins de graines et de mauvaises herbes et donc diminuent plus drastiquement la faune qui s'en nourrit. Ainsi, il y avait 42% d'abeilles et 59% de papillons en moins dans les champs de colza d'hiver transgéniques que dans les champs de colza traditionnel.

En revanche, pour le maïs, c'est l'inverse : les chercheurs ont comptabilisé plus de graines et d'insectes dans le champ de maïs transgénique que dans celui de maïs conventionnel.

Cependant, l'herbicide majoritairement utilisé dans les cultures traditionnelles était l'atrazine, un produit interdit depuis en Europe en raison de sa très forte toxicité. La comparaison est donc caduque.

« Les statistiques américaines montrent que l'on répand autant voire plus de pesticides dans les champs OGM »

Une autre mesure utilisée pour évaluer les effets des pratiques agricoles sur l'environnement est la quantité d'herbicides répandue. Dans l'étude anglaise, les agriculteurs ont répandu moins de molécules actives par hectare de culture transgénique que dans leur champ traditionnel. Pour la betterave, par exemple, ils ont utilisé 2500 grammes de molécules actives par hectare dans les cultures transgéniques contre 1600 grammes par hectare pour les cultures traditionnelles. Mais ce n'est pas toujours le cas.

Une autre enquête réalisée aux Etats-Unis où les OGM sont cultivés depuis dix ans, montre que si, dans les années 90, les agriculteurs répandaient en moyenne moins d'herbicides dans leur culture d'OGM, ce n'est plus vrai aujourd'hui. Les fournisseurs d'herbicides traditionnels se sont en effet adaptés et proposent désormais des traitements simplifiés. Tant et si bien que les dernières statistiques révèlent plutôt une plus grande utilisation d'herbicides pour les agriculteurs qui cultivent des OGM.

D’autres études sur l’impact environnemental des OGM

“Les conséquences écologiques des flux de gène dépendent beaucoup des pratiques agricoles.“ (3')

L'étude britannique analysait les effets indirects des OGM sur la biodiversité, via l'utilisation d'herbicides. Mais que sait-on des effets directs des OGM ?

Des études menées à l'Inra (Institut national de recherche agronomique) ont montré que le gène de résistance à un herbicide implanté dans le colza pouvait se retrouver dans une mauvaise herbe cousine, la ravenelle. Celle-ci devient alors insensible aux herbicides, une sorte de super-mauvaise herbe en quelque sorte. C'est ce qu'on appelle la « pollution génique » (ou flux de gène), c'est-à-dire la contamination, via le pollen, du caractère génétique introduit dans l'OGM.

Mais là encore, aucune conclusion générale n'est permise : le risque d'une contamination génétique dépend du type d'OGM, des pratiques agricoles et des conditions environnementales.

le 15/12/2005