Faut-il craindre une pandémie de grippe humaine en 2006 ?

Suite à l'extension géographique du virus H5N1 à partir de l'Asie, le risque d'une pandémie humaine de grippe demeure. Pour autant, le virus n'a toujours pas acquis la capacité de se transmettre d'homme à homme...

le 02/05/2006

De la grippe aviaire à la grippe humaine ...

« Toutes les conditions préalables à une pandémie* de grippe chez l'homme ont maintenant été réunies sauf une : l'établissement d'une transmission interhumaine efficace ». Dans son dernier rapport, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) entend tirer une nouvelle fois la sonnette d'alarme. Car si le virus H5N1 de la grippe aviaire s'adaptait à l'homme par mutations génétiques, « l'ampleur de la mortalité pourrait se situer entre 5 et 150 millions », estimait le coordinateur pour la lutte contre la grippe aviaire de l'Onu, David Nabarro, en septembre dernier.

Les oiseaux migrateurs ne sont pas les seuls vecteurs

La découverte (en octobre 2005) de foyers du virus H5N1 en Sibérie puis en Turquie, en Roumanie et en Croatie, a renforcé l'hypothèse selon laquelle le virus serait véhiculé non seulement par les oiseaux migrateurs mais également via le commerce de volailles.

En effet, certains oiseaux peuvent être porteurs sains et donc propager le virus tout au long de leur trajet de migration. Á l'automne, les oiseaux migrateurs qui viennent des pays infectés se dirigent vers le sud, en passant au-dessus de la Turquie, pour atteindre l'Afrique (voir la route Afrique de l'Est–Asie de l'Ouest sur la carte). Durant l'hivernage, ces oiseaux vont se mélanger avec d'autres oiseaux migrateurs – notamment en provenance d'Europe –, ce qui peut entraîner la diffusion du virus vers le continent européen.

Il existe cependant une autre préoccupation : les importations d'oiseaux exotiques. L'Europe est le plus grand importateur mondial avec plus de 6 millions d'oiseaux entre 1996 et 2002, soit 86% des importations mondiales. C'est ainsi, par exemple, qu'au mois d'octobre 2005, 53 canaris originaires de Taïwan sont morts du virus H5N1 en Angleterre. Mais la crainte provient surtout des importations illégales. Selon la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), plus d'1,5 million d'oiseaux arriveraient ainsi en toute clandestinité en Europe chaque année.

... un risque impossible à évaluer

« On ne peut pas donner de probabilité sur le risque d'humanisation du virus »

Si le risque est bel et bien réel, aucun expert au monde n'est cependant en mesure d'évaluer la possibilité statistique que le virus H5N1 s'adapte à l'homme. « Une pandémie de grippe aviaire émergera un jour ou l'autre », a ainsi déclaré le professeur Didier Houssin, délégué interministériel chargé de la lutte contre cette maladie. Mais tout dépend de l'échelle de temps dans laquelle on se situe : « Parler pour le siècle à venir est une chose ; évoquer l'année prochaine en est une autre. »

Près d'Istanbul…

Pour l'heure, le virus se transmet entre espèces d'oiseaux par voie respiratoire ou digestive via les sécrétions, les fèces ou l'eau. Mais il n'a pas encore acquis la capacité d'infecter facilement l'humain.

Toutefois, le risque n'est pas nul : à la date du 27 avril 2006, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recense dans le monde 205 personnes contaminées suite à un contact direct et prolongé avec des volailles infectées, notamment lors de plumaisons, 113 en sont mortes.

Différentes possibilités de mutation du virus H5N1.

Or chaque nouveau cas humain donne la possibilité au virus de se recombiner avec une souche virale humaine, une recombinaison qui rendrait alors le virus transmissible d'homme à homme. Un tel réassortiment génétique peut également avoir lieu lors d'une co-infection chez un mammifère (chat ou plus généralement porc, sensible à la fois aux virus aviaires et humains).

Mais une troisième possibilité de mutation a été mise en évidence lors de la reconstitution, en octobre 2005, du virus responsable de la grippe espagnole de 1918. Le virus aviaire peut en effet muter directement chez les volailles et devenir transmissible d'homme à homme sans aucun intermédiaire.

Le virus de la grippe espagnole reconstitué en laboratoire

Photo au microscope d'un poumon de souris infecté par le virus de la grippe espagnole.

Des chercheurs américains ont recréé in vitro le virus de la grippe espagnole de 1918 (H1N1), qui avait tué entre 20 et 50 millions de personnes dans le monde. Des tissus gelés d'une femme enterrée dans le permafrost en Alaska ont en effet permis à l'Institut de pathologie des forces armées (Rockville, Maryland) de reconstituer le code génétique du virus puis de le réactiver grâce à une technique dite de génétique inverse.

Les résultats montrent que ce virus était très proche des virus aviaires et présente de nombreuses similarités avec l'actuel virus H5N1. Selon les auteurs, le virus serait passé directement de l'oiseau à l'homme sous une forme déjà « humanisée », sans passer par le porc comme cela semble être le cas pour les deux dernières grandes pandémies de 1957 et 1968.

Les chercheurs ont ainsi pu identifier des mutations susceptibles d'être à l'origine de l'adaptation des virus aviaires à l'homme, ce qui pourrait faciliter la mise au point de vaccins ou des médicaments efficaces contre la prochaine pandémie.

Source : Science, 5 octobre 2005; Nature, 6 octobre 2005.

Quels scénarios envisager ?

A Hô Chí Minh-Ville, le 18 janvier 2004...

Si le virus H5N1 venait à s'adapter à l'homme de telle sorte qu'une contamination interhumaine devienne possible, quels seraient les scénarios possibles ? Pour évaluer la propagation d'une pandémie, il convient de tenir compte de deux paramètres propres au virus : sa contagiosité, c'est-à-dire la proportion de personnes contaminées, et sa virulence, qui correspond à son taux de létalité, c'est à dire à la proportion de personnes qui en meurent.

Pour le premier élément, la plupart des scientifiques estiment qu'environ 50 à 60% de la population mondiale sera infectée par le virus de la future pandémie. Parmi eux, la moitié présentera des symptômes de grippe, soit environ 2 milliards d'individus.

«50 à 60% de la population mondiale sera attaquée par le futur virus de la pandémie»

En revanche, on ne sait pas quelle sera la virulence de ce virus. Certaines pandémies présentent des virulences de 0,4%. D'autres – notamment la grippe espagnole – tuent jusqu'à 3% des personnes contaminées. Le 27 avril le virus aviaire a contaminé 205 personnes et en a tué 113, soit un taux de mortalité supérieur à 50%. Mais les virus perdent beaucoup de leur virulence lors de leur mutation : il n'est donc pas possible de connaître aujourd'hui la virulence du virus de la future pandémie.

Abattage de volailles en Roumanie.

Par ailleurs, l'évolution d'une pandémie dépend également des moyens de défense utilisés pour la combattre. Deux études, publiées dans Science et Nature au mois d'août 2005, ont simulé grâce à des modèles informatiques les différentes évolutions possibles d'une épidémie humaine de grippe aviaire en fonction des stratégies de défense employées (administration d'antiviraux, mise en quarantaine, pré-vaccination…).

Les conclusions se rapprochent sur deux points : si rien n'est fait, une infection d'une dizaine de personnes suffirait pour contaminer la moitié de la planète en l'espace d'un an. En revanche, si des mesures de prévention (différentes selon les auteurs) sont mises en place suffisamment tôt, l'épidémie pourrait être contenue à quelques centaines de personnes.

Les différents types de virus de la grippe

Il existe trois types de virus de la grippe : A, B et C. Les virus de type C sont peu pathogènes. Les virus grippaux de type B sont normalement propres à l'homme et peuvent être à l'origine de vagues d'épidémies saisonnières. Mais ce sont essentiellement les virus de type A, à l'origine de la grippe aviaire, qui sont responsables des grandes épidémies. Ces souches de virus peuvent infecter de très nombreuses espèces (dont l'homme) mais les oiseaux constituent le réservoir le plus important.

On connaît 15 sous-types de virus grippal chez les oiseaux. Ils se distinguent par leurs protéines de surface : l'hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N). Sur ces 15 sous-types, l'OMS considère H5N1 comme étant le plus inquétant car « il mute rapidement et a une propension avérée à acquérir les gènes des virus infectant d'autes espèces ». Par ailleurs, ce virus est hautement pathogène. Il tue près de 100 % des poules, poulets et dindes qu'il infecte. Déjà 140 millions de volailles en sont mortes directement ou indirectement (abattage).

Au cours de notre siècle, trois pandémies ont été recensées :

  • la grande pandémie de « grippe espagnole » de 1918 - 1920 provoquée par le virus grippal A (H1N1) : plus de 20 millions de morts et environ 1 milliard de malades;
  • la pandémie de « grippe asiatique » de 1957 provoquée par le virus A (H2N2) : 98 000 morts aux Etats-Unis;
  • et la pandémie de « grippe de Hong Kong » en 1968 provoquée par le virus A (H3N2).

 

Quelles mesures de prévention pour l'homme ?

Un cas de résistance au Tamiflu découvert en Asie.

Face au risque d'une éventuelle pandémie, les pays les plus riches ont investi dans des préparatifs coûteux : achat de masques de protection, d'antiviraux et de vaccins à l'efficacité encore hypothétique.

Deux antiviraux dirigés contre les virus grippaux classiques pourraient être utilisés comme traitement curatif : le Tamiflu, fabriqué par la société Roche et le Relenza, commercialisé par GlaxoSmithKline. Ces médicaments inhibent une enzyme du virus appelée la neuraminidase, enzyme essentielle à la libération du virus, limitant ainsi l'infection. Ils seraient efficaces s'ils sont pris dans les quelques heures qui suivent l'infection. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé aux Etats de constituer des stocks d'antiviraux pour traiter au minimum 25 % de leur population.

« Il existe quatre moyens de protection conte la grippe »
Jean-Marie Cohen, Coordinateur national des GROG

Mais pour la plupart des organisations nationales et internationales comme l'OMS, l'objectif principal est de mettre au point et produire en masse les premiers outils vaccinaux contre la pandémie. Le problème, c'est qu'on ne connaît pas encore les mutations que subira le virus H5N1 avant de devenir transmissible d'homme à homme. Or sans la souche responsable de la pandémie, impossible de constituer un vaccin. Si un tel réarrangement devait avoir lieu, il faudra entre quatre et six mois pour identifier la nouvelle souche et trouver un vaccin efficace.

En revanche, certains laboratoires travaillent sur l'élaboration d'un vaccin pré-pandémique, dirigé contre l'actuelle souche de H5N1. Dans l'hypothèse où le virus pandémique serait proche du virus H5N1 connu, ce vaccin pourrait s'avérer efficace et serait alors destiné à protéger en priorité les professionnels de santé.

Des cas de morts suspectes signalés avec le Tamiflu

Douze décès suspects d'enfants âgés de moins de 16 ans et traités au Tamiflu ont été recensés lors d'une enquête de pharmacovigilance réalisée par les agences sanitaires américaine et européenne et publiée au mois de novembre 2005. Quelques jours plus tôt, le groupe Chugaï, qui commercialise le médicament au Japon, signalait deux suicides présumés associés au traitement.

L'Agence européenne du médicament (EMEA) a, depuis, demandé à Roche de fournir « toutes les données disponibles sur les graves désordres psychiatriques » qui pourraient être liés à cet antiviral. Toutefois, le lien de causalité entre la mort de ces patients et la prise de Tamiflu n'a pas encore été établi.

« La vaccination animale pourrait permettre d’éradiquer le virus »

Les pays riches se lancent dans la constitution coûteuse de stocks d'antiviraux et d'hypothétiques vaccins, mais délaissent la prévention au niveau animal. C'est en tout cas l'avis de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE). « La vraie bataille – la lutte contre la grippe aviaire chez les animaux – manque de financements appropriés. Cela est inacceptable », dénonçait ainsi Samuel Jutzi, directeur de la FAO lors de l'ouverture en novembre dernier d'une conférence internationale sur la grippe aviaire à Genève.

Jean-Luc Angot, Directeur général adjoint de l'OIE. (2'20)

« Si 10% des sommes actuellement allouées aux mesures de lutte contre l'éventuelle pandémie étaient utilisées pour vacciner les volailles dans les foyers asiatiques, on pourrait éradiquer le virus », affirmait Jean-Luc Angot, directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la santé animale. En effet, des vaccins chez l'animal dirigés contre l'actuel virus H5N1 existent et s'avèrent efficaces. Certains pays, notamment la Corée du Sud, la Malaisie et le Japon sont parvenus a enrayer l'épizootie et éviter toute contamination humaine. Mais d'autres pays, tels que le Vietnam, la Thaïlande, l'Indonésie ou encore le Laos ne peuvent vacciner toute leur population avicole sans aide financière et logistique.

La Chine, qui possède plus de 14 millions de volailles (soit 21 % du total mondial), avait bien annoncé, le 15 novembre 2005, son intention de vacciner la totalité de ses volailles domestiques, mais ce projet n'a jamais pu être mis en œuvre…

Lise Barnéoud, Chantal Le Restif

le 02/05/2006