Contre l'effet de serre : faut-il enfouir le CO2 ?

Le GIEC vient d'apporter son soutien à l'idée d'enterrer une partie de nos rejets de CO2. Une option qui ne fait pas l'unanimité, et qui ne sera de toutes façons pas facile à appliquer.

Par Yves Sciama, le 21/10/2005

Une piste de recherche activement explorée

Fuite en avant technologique ou bouée de sauvetage pour un climat en perdition ? En tous cas, l'idée d'ensevelir sous des couches géologiques étanches une partie du CO2 que nous émettons, afin de l'empêcher de perturber le climat, fait l'objet depuis environ une décennie d'une recherche fiévreuse.

Distribution des sources émissives de CO2 dans le monde

Les Etats-Unis, qu'on sait peu enclins à changer leur mode de vie très émetteur en gaz à effet de serre, sont particulièrement intéressés : le Department of Energy (DoE), sorte de ministère de l'Energie américain, a investi 100 millions de dollars en recherche et développement dans ce domaine, et George Bush – qui refuse toujours le protocole de Kyoto – cite régulièrement ces travaux.

Mais l'Europe n'est pas en reste : de nombreux programmes de recherche, financés à un niveau comparable, sont également en cours, comme l'a montré un colloque international récent, qui s'est tenu à Paris. La France, via l'Institut Français du Pétrole (IFP), prend une part non négligeable dans ce travail. L'ensemble de ces travaux a récemment été épluché par le GIEC, institution internationale d'expertise climatique reconnue indépendante des Etats. Et le verdict est clair : « la capture et le stockage du carbone (CSC) offre la possibilité de réduire nos émissions de façon moins coûteuse et plus souple », écrit le GIEC dans son rapport.

La cible : environ 7000 installations industrielles

Rappelons l'enjeu : les scientifiques estiment qu'il faut, au niveau de la planète, diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre dans les 50 années à venir, pour maintenir le changement climatique dans des limites gérables. Ce qui, pour respecter l'équité internationale, signifie que les pays développés devraient pour leur part les diviser par quatre, un objectif auquel les autorités françaises souscrivent officiellement. Or les 5000 plus grosses centrales thermiques de la planète, auxquelles il faut adjoindre quelque 2000 cimenteries, aciéries et raffineries émettent plus de 13 milliards de tonnes de CO2 par an, sur un total d'environ 30 imputables à l'homme. Autrement dit ces installations géantes sont responsables de près de la moitié des émissions humaines. Elles constituent donc une cible privilégiée pour cette technologie de la CSC.

Comment ça marche ?

Les principales options pour la capture, le transport et le stockage géologique du CO2

La capture et le stockage du carbone (CSC), comme son nom l'indique, est en fait une fusée à deux étages. Le premier, celui de la capture, consiste à séparer le CO2 du reste des gaz émis par la combustion (principalement de l'azote). Il existe plusieurs techniques de séparation qui en sont d'ores et déjà au stade commercial, bien qu'il faille les adapter plus précisément au contexte particulier des centrales thermiques (et notamment aux énormes volumes en jeu).

Pierre le Thiez (IFP)

« Parmi les grosses difficultés que l'on a à surmonter, on notera des volumes très importants de gaz à traiter, la forte dilution du CO2, et sa très faible pression... »

Les différents sites susceptibles de séquestrer du carbone

Une fois le gaz carbonique capturé, il reste à réussir l'étape de la séquestration. Les géologues ont plusieurs solutions à ce problème. Ils estiment qu'il y a sur la planète suffisamment de sites pour accueillir environ 2000 Gt (milliards de tonnes) de CO2, alors que nos émissions actuelles sont d'environ 30 Gt par an. Mais ces sites ne correspondent que partiellement, sur le plan géographique, aux principales zones d'émission (Amérique du Nord, Europe, Asie du sud-est), et certains sont d'un accès difficile, par exemple en off shore. Il faudra donc sans doute envisager des réseaux de transport de CO2 qui augmenteront le prix.

Isabelle Czernichowski (BRGM)

« Trois options de stockage sont actuellement considérées : dans les acquifères salins profonds, dans les gisements de gaz et de pétrole épuisés et dans les veines de charbon profondes inexploitées... »

Des obstacles non technologiques

Le prix est une des clés de ce dossier. Enfouir le carbone contenu dans un baril de pétrole, dans l'état actuel de la technique, augmente son prix de 20 à 30 dollars, selon la technique utilisée, le type de stockage, l'industrie émettrice...

Isabelle Czernichowski (BRGM)

Relativement à un baril à 60 dollars (valeur approximative actuelle), ces 20 dollars pèsent moins lourd qu'il y a seulement trois ans, où le baril n'atteignait pas 30 dollars. Mais ils suffisent à gravement pénaliser la technique dans un contexte de libre concurrence. Car quelle compagnie d'électricité accepterait de s'équiper d'un tel système si ses compétiteurs sont libres de s'en dispenser ? En dehors d'une régulation par les Etats, définissant des règles communes pour tous, les projets risquent donc de ne jamais sortir des cartons.

Laetitia de Marez, chargée de campagne climat à Greenpeace France : « La séquestration du CO2 ne peut pas être la réponse rapide dont nous avons besoin aujourd'hui. »

Outre le prix, la principale difficulté sera celle de l'acceptabilité sociale. Selon les géologues, la technique est tout à fait sûre. Mais il n'est pas dit que les populations acceptent facilement l'idée du stockage souterrain, et certaines ONG écologistes comme Greenpeace expriment d'ores et déjà de sérieuses réserves. A l'heure, disent ces ONG, où l'ouverture de la moindre décharge provoque une levée de boucliers, difficile d'imaginer que les riverains verront d'un bon œil des industriels injecter sous leurs pieds des milliers de tonnes de CO2 !

Une installation pilote de capture va maintenant être construite au Danemark, et quatre sites de stockage européens expérimentaux sont actuallement discutés (Espagne, Norvège, Autriche, Pays-Bas). Ainsi, la réflexion sur les problèmes politiques et réglementaires va devenir plus concrète. La phase industrielle de la CSC, envisageable d'ici quelques années, n'a donc pas encore commencé.

Pas de solution miracle

Même si la capture et le stockage du carbone se généralisent dans les décennies à venir, nous n'en aurons pas pour autant fini avec le réchauffement climatique. Cette technologie pourrait raisonnablement permettre d'atteindre 15% de l'objectif de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, et seulement à condition qu'un effort d'investissement très important soit réalisé, soit plusieurs centaines, voire milliers d'installations. 15%, c'est à la fois beaucoup (cela représente trois fois les bénéfices attendus du protocole de Kyoto), et très insuffisant. Il faudra donc puiser abondamment dans le reste de l'arsenal anti-réchauffement, et définir des choix dans le cocktail d'options défendues par les experts et les politiques (énergies renouvelables, nucléaire, économies d'énergie, changements de mode de vie...). Avec pour seule certitude… la nécessité d'agir vite.

Yves Sciama le 21/10/2005