Ulcères de l'estomac : tous sous antibiotiques ?

Le prix Nobel de médecine 2005 a été décerné à deux chercheurs australiens pour avoir découvert la bactérie responsable de l'ulcère de l'estomac. Retour sur cette découverte et ses implications dans le traitement de l'ulcère.

Par Olivier Boulanger, le 07/11/2005

Sept jours pour guérir d’une maladie soit-disant incurable !

Robin Warren et Barry Marshall

« Une découverte remarquable et inattendue ». C'est en ces termes que les membres du jury du prix Nobel ont salué le travail de Robin Warren (68 ans) et Barry Marshall (54 ans).

Ces deux chercheurs australiens viennent d'être récompensés du prix Nobel de médecine 2005 pour avoir démontré il y a plus de vingt ans que la plupart des ulcères gastroduodénaux, longtemps jugés incurables et liés au stress, étaient en réalité dus à une bactérie.

Grâce à cette découverte, des milliers de patients souffrant depuis des années de cette maladie ont été guéris en sept jours seulement et ce, grâce à un simple traitement antibiotique. Une véritable révolution qui a pourtant laissés sceptiques de nombreux médecins et scientifiques.

Avant la découverte...

Difficile de comprendre comment l'origine d'une maladie aussi répandue a pu être ignorée si longtemps. Les ulcères gastroduodénaux touchent en effet des millions de personnes de par le monde. En France, de 5 à 8% de la population est concernée par cette maladie.

Durant des décennies, de nombreuses causes ont été invoquées pour expliquer l'apparition de l'ulcère à l'estomac : le stress, un mauvais comportement alimentaire… Il demeure que seuls les symptômes de la maladie étaient soignés. Des « anti-acides », ou « anti-ulcéreux », permettaient de calmer les crises qui survenaient plusieurs fois par an chez les patients. Autant dire qu'avant la découverte des deux Australiens, lorsqu'on était ulcéreux, c'était pour la vie !

Une bactérie en milieu acide

C'est au début des années 80 que Robin Warren, histo-pathologiste au Royal Perth Hospital, découvre une bactérie inconnue nichée dans la paroi de l'estomac de plusieurs patients atteints d'ulcères. Celle-ci se présente en forme d'hélice, d'où son nom : Helicobacter pylori.

Helicobacter pylori

Après de nombreux essais infructueux, c'est par hasard que les chercheurs arrivent finalement à cultiver la bactérie. En 1982, Barry Marshall, un jeune gastro-entérologue en stage dans le service de Robin Warren oublie ses boîtes de culture durant le week-end de Pâques. Résultat, cinq jours plus tard, Helicobacter avait prospéré : il lui fallait plus de temps pour se multiplier que les 48 heures du protocole classique.

Pour Warren et Marshall, qui ont pratiqué des biopsies sur une centaine de malades, le lien entre cette bactérie et l'ulcère semble de plus en plus évident : Helicobacter pylori est présente dans 85% des cas d'ulcère gastrique, 95% des cas d'ulcère duodénal contre 30% pour la population générale. De là à soutenir que la bactérie serait à l'origine de la maladie, il n'y a qu'un pas.

Une découverte difficile à avaler

Quelles ont été les contestations ?

Les idées nouvelles de Warren et Marshall sur l'origine bactérienne de l'ulcère gastroduodénal ne font pourtant pas l'unanimité. Leurs travaux laissent sceptiques de nombreux scientifiques et médecins. Difficile de croire qu'une bactérie puisse vivre dans un milieu aussi acide. Et puis tous les porteurs de la bactérie ne développent pas d'ulcère : un fait difficile à expliquer.

De l'infection à l'ulcère

Ainsi, malgré plusieurs publications et interventions dans des congrès spécialisés de la part des deux Australiens, le milieu médical n'en démord pas : l'ulcère est lié au stress, pas à une bactérie ! « Il semblait difficile pour de nombreux chercheurs de reconnaître qu'ils s'étaient orientés depuis des dizaines d'années vers de mauvaises causes, explique le Pr. Etienne Dorval, secrétaire général de la Snfge. À noter également que les antiulcéreux représentaient, à cette époque, un marché particulièrement lucratif… »

Face au scepticisme général, Marshall décide un jour de 1985 de jouer les cobayes. Il avale une dose d'Helicobacter pylori et, sans surprise, tombe très rapidement malade… et se soigne avec succès grâce à un traitement antibiotique.

« Des études indépendantes sont très vite venues confirmer leurs idées, précise Etienne Dorval. Mais plus encore, ce sont les résultats exceptionnels obtenus avec le traitement antibiotique qui ont fini par conquérir toute la communauté scientifique et médicale. En réalité, il n'existe plus personne aujourd'hui pour contester leurs travaux. »

Pourquoi toutes les personnes infectées ne développent-elles pas un ulcère ?

Francis Mégraud (Université Bordeaux II)

Francis Mégraud, gastro-entérologue, Université Bordeaux II :

« Les raisons pour lesquelles toutes les personnes infectées par Helicobacter pylori ne développent pas un ulcère sont encore mal connues. Il existe vraisemblablement des facteurs génétiques. On sait également que le tabagisme et certains facteurs alimentaires augmentent le risque de développer un ulcère chez les personnes infectées. Par ailleurs, toutes les souches de bactéries ne se valent pas en terme de virulence.

Quant au stress, longtemps invoqué comme le responsable principal des ulcères, il faut distinguer les « grands stress » des « petits stress ». Les grands stress sont ceux que l'on connaît lors d'un évènement grave, le décès d'un proche par exemple. Ceux-ci favorisent vraisemblablement le développement d'ulcères. Lors de la catastrophe de Kobe, au Japon, le nombre d'ulcères a ainsi subitement augmenté. Concernant les petits stress, ceux de la vie de tous les jours, leur effet est paradoxal : en stimulant la production naturelle de corticoïdes, ils ont en réalité un effet protecteur contre les ulcères ! »

Conférences de consensus

En France, il aura fallu attendre 1995 pour qu'une conférence de consensus (révisée en 1999) préconise clairement la conduite à tenir face à ce type d'affection.

Le lien entre Helicobacter pylori et l'ulcère gastrique est-il aujourd'hui bien établi en France ?

Lorsqu'un ulcère est diagnostiqué, la présence d'Helicobacter est immédiatement recherchée (par une biopsie ou par de nouvelles méthodes non invasives). Lorsque la présence de la bactérie est avérée, le patient suit durant 7 jours une trithérapie associant deux antibiotiques associés à un inhibiteur de l'acidité gastrique (IPP). La bactérie ainsi que les signes d'activité de l'infection disparaissent en quelques jours ; l'inflammation persiste pendant 6 à 24 mois, puis la muqueuse redevient normale. Ce traitement est efficace dans 70% des cas.

En cas d'échec, un second traitement basé sur un autre panel d'antibiotiques est prescrit. Au final, plus de 90% des patients guérissent définitivement. Quant aux malades restants, les traitements « classiques » à base d'anti-ulcéreux sont les seuls recours à l'heure actuelle.

D’autres maladies concernées

L'infection à Helicobacter pylori dans le monde

Faut-il éradiquer Helicobacter pylori de la Terre entière ? La question peut se poser. L'infection est en effet extrêmement répandue : de 20% dans les pays industrialisés jusqu'à 90% dans certains pays en développement.

Certes, seulement 5 à 10% des personnes développeront un ulcère au cours de leur vie. Mais il n'existe pas de porteur sain : tous connaissent une gastrite (une inflammation de la muqueuse gastrique), généralement asymptomatique, mais risquant de dégénérer en cancer. On considère ainsi que sur 1000 personnes infectées, 50 à 100 auront un ulcère, 10 développeront un cancer gastrique appelé carcinome, 1 personne souffrira d'une forme de cancer plus rare, un lymphome.

Vers un dépistage systématique ?

L'incidence du cancer gastrique en France est-elle suffisante pour justifier un dépistage systématique d'Helicobacter pylori ? « Vraisemblablement pas, répond le Pr. Delchier. Ce cancer est de plus en plus rare (7000 à 8000 cas par an) et un dépistage systématique aurait de lourdes conséquences économiques, voire écologiques compte tenu qu'il s'agit d'un traîtement de type antibiotique. »

« Si l'on ne fait rien, on estime qu'Helicobacter disparaitra spontanément d'ici quelques décennies, explique d'ailleurs le Pr. Francis Mégraud de l'Université de Bordeaux. Malgré tout, un dépistage ciblé permettrait d'accélérer son éradication et surtout de sauver près de 120 000 personnes sur vingt ans. »

Mais quelle population tester ? « Toute la question est là, reprend Francis Mégraud. Il s'agit d'éliminer l'infection par antibiotiques chez des patients à haut risque car le traitement antibiotique ne peut agir que sur les lésions précancéreuses. Or, pour de nombreuses personnes chez qui l'on détecte aujourd'hui la bactérie, il est déjà trop tard. Déterminer précisément qui doit faire l'objet d'un dépistage est la question qui agite actuellement la communauté des gastro-entérologues. En mars 2005, la conférence de consensus européenne qui s'est tenue à Florence sur ce problème n'a pas permis de trancher pleinement la question. »

Olivier Boulanger le 07/11/2005