Tuberculose : faut-il poursuivre la vaccination par le BCG ?

La vaccination par le BCG est obligatoire en France pour tous les enfants de moins de six ans. Mais la disparition du vaccin par multipuncture – le plus utilisé – pose la question de la poursuite de la vaccination généralisée. Un quart des pédiatres seulement s'y déclarent favorables.

Par Laure Cailloce, le 16/01/2007

Un vieux vaccin à l’efficacité limitée

Le BCG ne fait plus l'unanimité. Obligatoire en France depuis les années 60 avant l'entrée des enfants en collectivité, ce vaccin destiné à protéger de la tuberculose n'a plus les faveurs des experts.

Couverture vaccinale de la tuberculose par le BCG

« Le vaccin sous toutes ses formes a une efficacité qui oscille entre 50 et 70%, avec une pointe à 80% chez les nourrissons », indique le professeur Elisabeth Bouvet, infectiologue à l'Hôpital Bichat et responsable du groupe de travail du Conseil supérieur d'hygiène sur la tuberculose. À comparer avec les 100% affichés par le DT Polio ou le ROR (rougeole-oreillons-rubéole). « Le BCG ne protège que des formes les plus graves de la maladie, comme les méningites tuberculeuses. De plus, il n'a aucun rôle de prévention collective puisqu'il n'empêche pas la transmission du bacille de Koch responsable de l'infection. »

Taux d’incidence de la tuberculose en France métropolitaine, 1972-2004

Des éléments à prendre en compte, alors que la France voit son taux de tuberculose diminuer et passer sous la barre des 10 cas pour 100 000 habitants en 2004, le seuil recommandé par l'Organisation mondiale de la santé pour l'arrêt de la vaccination systématique.

Dans ce contexte, deux rapports de l'Académie nationale de médecine et de l'Institut de veille sanitaire préconisaient d'abandonner la vaccination généralisée au profit d'une vaccination ciblée fin 2005. Au même moment, les laboratoires Sanofi-Pasteur annonçaient l'arrêt de la production du vaccin contre la tuberculose Monovax®, le plus utilisé en France.

Fin 2006, la Société française de santé publique recommande elle-aussi de lever l'obligation de vacciner les enfants par le BCG mais suggère que le vaccin soit systématiquement proposé au cours du premier mois de vie, et que la vaccination soit pratiquée en cas de risque élevé : l'un des parents originaire d'un pays de forte endémie, antécédents familiaux de tuberculose etc.

Des pratiques contrastées en Europe

Taux d'incidence de la tuberculose en Europe en 2003

En Europe occidentale, la France, le Portugal et la Finlande vaccinent systématiquement.

Quatre pays (Allemagne, Autriche, Andorre et Islande) n'utilisent pas le BCG.

La grande majorité pratique une vaccination ciblée sur les enfants à risque : Belgique, Danemark, Espagne, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse.

L’arrêt du Monovax® réactive le débat

Le Monovax® était la seule forme de BCG par multipuncture (bague). Il était utilisé dans 90% des vaccinations en France. Mais il ne correspondait plus aux recommandations internationales.

Dr Robert Cohen, pédiatre infectiologue et coordonnateur du réseau d'information sur les vaccins (Infovac)

« C'est un vaccin de qualité médiocre, qui de plus n'a jamais fait l'objet d'études comparatives pour prouver son efficacité », juge le docteur Robert Cohen, pédiatre infectiologue et coordonnateur du réseau d'information sur les vaccins, Infovac. Oui, mais « il est facile d'utilisation et ne présente aucun effet indésirable local. D'où son incroyable succès ! » Des garanties que ne présente pas son alternative : le vaccin par injection intra-dermique. Techniquement plus difficile à réaliser, surtout sur les nouveaux-nés et les nourrissons, il peut avoir des effets secondaires dans la zone d'injection tels que des ganglions ou une petite plaie suintante pendant plusieurs semaines. Et vraisemblablement, les médecins ne se bousculeront pas pour l'administrer.

D'après une étude réalisée en avril 2005 par Infovac*, seuls un quart des pédiatres et un tiers des généralistes interrogés se disent prêts à poursuivre la vaccination systématique par injection intra-dermique. 40% des pédiatres et 38% des généralistes préfèreraient ne vacciner que les patients à risque. Enfin, près d'un pédiatre sur cinq et un généraliste sur sept souhaitent ne plus vacciner lorsque le Monovax® aura disparu. Alors, que faire ?

* Enquête réalisée auprès de 636 pédiatres et 192 généralistes adhérents du réseau Infovac.

Le Monovax®, une exception française

Produit depuis 1973 par les laboratoires Sanofi-Pasteur, le Monovax® était le dernier vaccin par multipuncture utilisé dans le monde.

Appuyée sur le bras de l'enfant, la petite bague munie de 9 pointes introduit directement le vaccin dans le derme. Contrairement au vaccin par injection intra-dermique qui se conserve trois ans sous sa forme lyophilisée, le Monovax® est un vaccin liquide dont la durée de vie est limitée à un mois.

Un temps exporté au Luxembourg et en Suisse, le Monovax® n'était plus utilisé qu'en France où sa production a été définitivement arrêtée fin 2005.

La tuberculose, une maladie très inégalitaire

Dr Henry-Pierre Mallet, médecin responsable de la Cellule de coordination des services de lutte anti-tuberculose de Paris

Le chiffre national de 10 cas pour 100 000 recouvre des situations extrêmement contrastées. Géographiques d'abord : le taux en Ile-de-France est 3 fois supérieur à la moyenne nationnale (20,8 cas pour 100 000 en 2004), atteignant 35 cas pour 100 000 dans la seule ville de Paris.

Par ailleurs, près de la moitié des cas de tuberculose déclarés en 2004 concernaient des personnes de nationalité étrangère. « La tuberculose est une maladie de la promiscuité, extrêmement liée au statut social », rappelle le docteur Henri-Pierre Mallet, responsable de la cellule tuberculose de la Ville de Paris. Les groupes les plus touchés par la maladie : les sans-abris, les détenus et les migrants venus des zones fortement endémiques que sont l'Asie, l'Afrique et l'Amérique du Sud. « Dans ces zones, le taux d'incidence peut atteindre jusqu'à 600 cas pour 100 000 », indique le Henri-Pierre Mallet. Logiquement, ce sont donc sur les nourrissons nés dans les familles issues de ces zones que devrait se concentrer l'effort de vaccination.

Les porteurs du VIH fragilisés

La tuberculose est la première infection opportuniste du VIH. Le risque de développer une tuberculose chez les personnes immuno-déficientes est de 10% par an, contre 10% sur une vie entière pour les autres. En France, grâce au développement des tri-thérapies, la co-infection tuberculose-sida représente « seulement » 5 % des 6000 cas de tuberculose déclarés chaque année. Dans le monde, 15 millions de personnes infectées par le VIH développent la tuberculose et beaucoup en meurent.

La vaccination ciblée, indissociable d’un véritable plan anti-tuberculeux

Dans son rapport, l'Académie nationale de médecine propose de s'inspirer de l 'expérience suédoise, où la vaccination généralisée a été arrêtée au profit d'une vaccination ciblée dans les trois cas suivants : histoire familiale de tuberculose ou contact familial avec un malade tuberculeux, famille provenant d'une région de forte prévalence, prévision d'un voyage dans une région de forte incidence. Les académiciens ne cachent pas les difficultés (pratiques et éthiques) d'appliquer une telle politique, si les pouvoirs publics lui donnaient la préférence. Surtout, ils l'assortissent d'une condition supplémentaire indispensable : le renforcement en France du plan anti-tuberculeux.

Dr Robert Cohen, pédiatre infectiologue et coordonnateur du réseau d'information sur les vaccins (Infovac)

« Le BCG a longtemps été un cache-misère qui exonérait de mener une véritable politique de prévention de la tuberculose », regrette Robert Cohen.

« Si les moyens du BCG (115 millions d'euros par an) étaient donnés à la détection de la maladie dans les groupes à risque et aux enquêtes autour des cas déclarés, on maîtriserait mieux l'épidémiologie dans notre pays », confirme Elisabeth Bouvet.

L'exemple de Paris est une piste à suivre : depuis 2003, un service de radiographie itinérant propose le dépistage dans une cinquantaine de centres d'accueil de la capitale. Une meilleure information s'avère également nécessaire. « Des traitements préventifs existent pour les personnes infectées par le bacille et qui pourraient à terme développer la maladie, constate Henri-Pierre Mallet. Mais certains médecins hésitent encore à les proposer à leurs malades ».

Réactualisation : Lise Barnéoud

Laure Cailloce le 16/01/2007