Sida: quel accès aux médicaments dans les pays du Sud?

L'OMS visait 3 millions de malades du sida sous traitement en 2005. L'objectif est encore loin d'être atteint…

Par Lise Barnéoud, le 10/04/2006

Seuls 20% des malades traités dans les pays en développement

L'inégale répartition de l'accès aux médicaments contre le sida dans le monde.

Aujourd'hui, 1,3 million de personnes malades du sida sont désormais sous traitement dans les pays en développement sur les 6,5 qui en auraient besoin. C'est trois fois plus qu'il y a deux ans mais c'est encore loin de l'objectif affiché par l'OMS en 2003 qui visait 3 millions de patients traité pour fin 2005 (initiative 3 by 5). Dans un rapport publié en mars 2006, l'OMS et l'Onusida insistent sur les progrès réalisés en Afrique sub-saharienne – où la couverture thérapeutique est passée de 2 % en 2003 à 17% en 2005 – mais admettent « ne pas avoir été à la hauteur de leurs ambitions ».

Les deux organisations insistent également sur la nécessité d'augmenter les ressources financières pour atteindre l'accès universel au traitement, l'objectif annoncé pour 2010. Elles estiment à près de 15 milliards d'euros le déficit de financement d'ici à 2007…

Les chiffres du sida en 2005

Le rapport de l'Onusida publié fin novembre 2005 révèle que « le nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde a atteint son niveau le plus élevé jamais enregistré » : 40,3 millions de personnes contre 37,5 millions en 2003. Parmi elles, plus de dix millions ont entre 15 et 24 ans.

Malgré de nombreuses campagnes de prévention réalisées depuis l'apparition du virus en 1981, près de cinq millions de personnes ont encore été infectées durant l'année 2005, « le nombre le plus élevé (en un an) depuis le début de l'épidémie », a relevé Peter Piot, le directeur exécutif de l'Onusida. Chaque jour, près de 14 000 personnes, dont 2 000 enfants de moins de 15 ans, sont ainsi infectées.

Plus de 3 millions de personnes ont également succombé à la maladie durant l'année. Avec 25 millions de personnes décédées depuis 1981, il s'agit selon le rapport de « l'une des épidémies les plus dévastatrices de l'histoire ».

 

Le 1er décembre 2005, à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, l'Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) a dressé un état des lieux mitigé de l'accès aux traitements antirétroviraux dans les pays pauvres. Interviews de Jean-François Delfraissy (ANRS), Benjamin Coriat (ANRS) et Laurent Ferradini (Médecins Sans Frontières).

Le problème des génériques

Les pays en développement membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avaient jusqu'au 1er janvier 2005 pour mettre en application les accords sur les aspects du droit de la propriété intellectuelle (ADPIC). Concrètement, cela signifie que ces pays ne peuvent plus copier et vendre les médicaments récents. Les nouvelles molécules seront protégées pendant vingt ans et le détenteur du brevet pourra les vendre au prix qu'il fixera lui-même.

La commercialisation des médicaments génériques a fait baisser le prix des traitements contre le sida.

L'Inde fut l'un des derniers pays en développement à se conformer à ces accords. Premier exportateur de génériques au monde, ce pays ne peut donc plus produire de versions génériques des nouveaux médicaments.

Conséquence de ces mises en conformité : les récents médicaments contre le sida dits de seconde ligne, c'est-à-dire ceux utilisés lorsque des résistances aux médicaments de première ligne apparaissent, ne pourront plus être concurrencés par des génériques. Leur coût élevé les rend donc inaccessibles aux pays pauvres qui, pourtant, voient eux aussi apparaître des problèmes de résistance aux premiers traitements…

Les grandes étapes du brevetage des médicaments

Jusqu'en 1994, les pays étaient libres de respecter ou non la propriété intellectuelle dans le domaine pharmaceutique. Certains accordaient des brevets pour les inventions de produits pharmaceutiques, d'autres uniquement pour les procédés de fabrication, et d'autres encore n'accordaient aucune protection aux inventions de médicaments. C'est ainsi qu'en Inde, en Chine ou encore au Brésil, une industrie de médicaments copiés, les génériques, a pu se développer, notamment pour les traitements antirétroviraux. Ces médicaments ont pu alors être vendus sur leur marché intérieur ou dans les pays pauvres à un prix défiant toute concurrence (400 dollars pour une trithérapie standard en générique contre 12 000 dollars pour la même trithérapie brevetée).

Mais en avril 1994, des négociations aboutissent aux accords sur les aspects du droit de la propriété intellectuelle (ADPIC ou TRIPS en anglais) qui imposent à tous les pays membre de l'OMC de respecter les protections par brevet des inventions de produits comme des inventions de procédés de fabrication. Dès lors, le détenteur d'un brevet dispose d'un monopole de vingt ans sur son produit.

La date de mise en conformité a été fixée au 1er janvier 1995 pour les pays riches, au 1er janvier 2005 pour les pays en développement et en 2016 pour les pays les moins avancés.

La licence obligatoire : une procédure trop complexe

Benjamin Coriat, économiste de la santé (ANRS) : « Les difficultés juridiques et économiques des licences obligatoires font qu'aucun cas d'application n'a encore eu lieu »

Les accords sur la propriété intellectuelle de l'OMC offrent la possibilité aux pays pauvres d'accéder à des médicaments moins chers (en versions génériques) que ceux vendus par les détenteurs de brevets sur leur territoire. C'est ce qu'on appelle la licence obligatoire. Elle est envisageable « dans des situations d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence ».

Toutefois, la complexité de cette procédure est telle qu'aucun Etat depuis 2003 ne l'a utilisée. Elle impose notamment de ne produire le médicament qu'au coup par coup, selon la demande, ce qui rend impossible une fabrication à grande échelle.

En avril 2005, les Etats africains ont déposé une demande de simplification de la procédure, mais ils n'ont toujours pas obtenu gain de cause.

Lise Barnéoud le 10/04/2006