Chikungunya : le retour des arboviroses ?

L'épidémie de Chikungunya qui sévit actuellement sur l'île de La Réunion baisse d'intensité. Malgré tout, elle ne cesse de s'étendre non seulement sur l'île mais également sur les territoires avoisinants (Mayotte, les Séchelles, Maurice) . Plus inquiétant encore, le virus aurait changé de forme et de virulence. Mais surtout, Chikungunya ne serait pas le seul arbovirus à revenir en force.

Par Jérémie Bazart, le 17/05/2006

Histoire épidémique

Apparue en 2005, la dernière épidémie due au virus Chikungunya a touché à ce jour près de 255.000 personnes. Depuis le pic du mois de février, où l'on comptait 25.000 infections par semaine, le nombre de cas hebdomadaire diminue. Il était de 1.500 cas pour la première semaine de mai.

Avec une population de 760.000 habitants pour l'île de La Réunion, c'est donc plus de 30% des habitants qui ont côtoyé le virus depuis le début de l'épidémie il y a un an.

Par ailleurs, l'Institut national de veille sanitaire (InVS) rapporte que les femmes apparaissent plus touchées que les hommes et que le taux d'attaque progresse régulièrement avec l'âge passant de 0.4% chez les 0-15 ans à 1% chez les 60 ans et plus.

Le cycle du virus

« Le fait que le virus ait très peu circulé par le passé explique le nombre important de malades. »

Le virus, qui fait partie de la famille des arbovirus (Arthropode Borne Virus, virus transmis par les moustiques, tiques...) infecte d'abord le moustique, se multiplie dans ses intestins et va ensuite dans les glandes salivaires. C'est lorsqu'il est en concentration suffisante qu'il infecte l'homme. Aedes albopictus est plus célèbre pour son rôle majeur dans la transmission du virus de la dengue. Il fut en effet le seul impliqué dans l'épidémie de cette maladie en 1977 et en 2004.

Moustique tigré d'Asie adulte

Ce moustique est l'arthropode le plus répandu parmi les 11 espèces de moustiques qui peuplent l'île de La Réunion. Il se développe tant dans les zones rurales qu'urbaines et son activité est maximale en début et en fin de journée. S'il se fait oublier pendant la saison sèche, c'est pour revenir en force au moment de la saison des pluies. L'homme, le primate et le rongeur constituent les principaux réservoirs de la maladie. Une fois dans l'organisme, le virus met quatre à sept jours pour se répliquer et les personnes infectées peuvent le transmettre sans pour autant présenter des signes caractéristiques de la maladie.

 

Origine et évolution du virus

Des chercheurs de l'Institut Pasteur sont parvenus à retracer l'origine et l'évolution du virus Chikungunya grâce aux séquençages de plusieurs souches virales.

Ces analyses démontrent tout d'abord que les souches du virus retrouvées dans les îles de l'océan Indien sont très proches de celles d'Afrique de l'Est, Centrale et du Sud. Pour les auteurs, le virus aurait donc été importé depuis le continent africain via les échanges de populations entre l'Afrique de l'Est et les Comores, où l'épidémie actuelle a commencé, début 2005.

Par ailleurs, les chercheurs ont repéré certaines mutations dans les souches qui circulent dans l'océan Indien. Elles pourraient être à l'origine de l'adaptation du virus au moustique Aedes albopictus, qui n'était pas connu jusque-là pour être un vecteur de Chikungunya.

Source : Plos Medicine, 23 mai 2006

Manifestations cliniques

Christophe Paupy, chargé de recherche à l'IRD

Le terme « Chikungunya » a été utilisé pour la première fois en 1953 lors d'une épidémie en Tanzanie et en Ouganda. Ce mot signifie « marcher courbé » dans la langue swahili, et traduit la posture adoptée par les malades. En effet, le virus provoque l'apparition brutale d'une fièvre, qui s'accompagne de maux de tête, d'une éruption cutanée ainsi que de douleurs articulaires, imposant aux personnes atteintes une position antalgique courbée caractéristique (bien que chacun réagisse différemment face à la maladie).

Le virus peut également provoquer des atteintes neurologiques avec un tableau de méningo-encéphalite. Chez les nouveau-nés, Chikungunya est susceptible de développer des formes graves nécessitant une hospitalisation. Chez les adultes, des formes très douloureuses parfois invalidantes et entraînant une fatigue intense et prolongée ne sont pas rares et les personnes âgées peuvent présenter des formes sévères ou compliquées.

 

Une seule solution : l'éradication

Fin janvier, à la Réunion, des militaires procèdent à une opération de démoustication.

Pour tenter d'arrêter l'épidémie, la seule solution est l'éradication du moustique Aedes albopictus, en commençant par la suppression des eaux stagnantes, par exemple dans les soucoupes de pots de fleurs, les pneus usagés, les seaux... tout ce qui représente des sites de pontes. À cela s'ajoute la lutte directe contre les moustiques au stade larvaire et au stade adulte afin de diminuer la densité des populations de moustiques, mais aussi pour atteindre le virus à l'intérieur des moustiques.

Ces différents traitements pourraient limiter la flambée de l'épidémie mais ils ne sont pas efficaces à 100%. Par ailleurs, aucun vaccin contre le virus n'existe, même si quelques essais ont eu lieu. C'est pourquoi les mesures de protection individuelle demeurent le meilleur rempart contre l'infection. L'utilisation de crèmes, de sprays insecticides, de serpentins répulsifs et de moustiquaires est indispensable pour éviter les piqûres. D'autant plus que l'épidémie de Chikungunya pourrait être le signe avant-coureur d'autres épidémies, plus graves.

Un signal d'alarme d'une ré-émergence de virus

Quelles arboviroses peut-on craindre ?

La Réunion est aujourd'hui un terrain d'observation privilégié pour les virologues qui constatent que l'épidémie apporte des informations inquiétantes sur la virulence ainsi que sur certaines des propriétés du virus. Ainsi, pour la première fois, une transmission de la mère à l'enfant a été mise en évidence. En outre, cette pathologie, jusqu'alors non mortelle, a été reconnue responsable de 215 décès « directs ou indirects ».

Nathalie Pardigon, biologiste à l'Institut Pasteur.

Les arboviroses, pathologies transmises par les arbovirus, ont longtemps été délaissées par les pouvoirs publics, alors que certaines d'entre elles sont très dangereuses et touchent un nombre important de personnes. Le fait que le virus Chikungunya ne se comporte pas comme lors des précédentes épidémies (Indonésie et Comores en 2005) et que d'autres arboviroses comme la fièvre jaune ou la dengue se traduisent par un tableau clinique de plus en plus grave, inquiète les scientifiques. Si l'on ajoute à cela le manque de préparation des Etats, une progression des maladies émergentes est à prévoir dans les prochaines années.

Création d'une cellule nationale de coordination de la recherche sur le Chikungunya

Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, et le ministre délégué à la Recherche, François Goulard, ont annoncé, lundi 20 février, la mise en place d'une Cellule nationale de coordination de la recherche sur la maladie du Chikungunya.

Présidée par le Pr Antoine Flahaut, chef du département de santé publique à l'hôpital Tenon (Paris), cette cellule est chargée de coordonner les travaux menés sur le virus, au plan local comme au plan national, et doit établir un programme de recherche qui prenne en compte « l'ensemble des problématiques associées à cette maladie ».

Par ailleurs, les ministres ont également annoncé la création d'un Comité de coordinaion des recherches sur les maladies émergentes. Ce dernier est chargé de proposer les priorités de recherche et les collaborations à développer au niveau national, européen et international afin d'anticiper et de mieux contrôler les risques face à de nouvelles pandémies.

Réactualisation : Chantal Le Restif

Jérémie Bazart le 17/05/2006