Biocarburants : l'annonce du décollage

Après avoir lancé en juin 2006 une expérimentation de véhicules « Flex Fuel » capables de rouler avec un carburant composé à 85% d'éthanol, le gouvernement vient d'annoncer la mise en place dès 2007 de pompes spéciales pour ce nouveau carburant. Une politique volontariste visant à rattraper le retard en matière de biocarburants. Car pour l'heure, le taux d'incorporation dans les moteurs français atteint péniblement les 1%. Bien loin des objectifs fixés...

Par Lise Barnéoud, le 06/10/2006

Moins de 1% de biocarburants

Le taux d’incorporation à la pompe est encore loin de l’objectif visé...

Un an après l'annonce ambitieuse du gouvernement français d'incorporer 5,75% de biocarburants dans les carburants fossiles d'ici à 2008, force est de constater que les progrès ne sont pas ceux attendus. Selon le bilan énergétique français publié en avril 2006, moins de 1% de biocarburants ont été incorporés en France en 2005. Malgré une hausse d'environ 15% en un an, le taux d'incorporation n'atteint donc pas encore les 2% imposés par l'Union européenne.

Etienne Poitrat, responsable du thème biocarburants à l'Ademe

Toutefois, ces résultats représentent une moyenne globale, tous types de biocarburants confondus. En fait, en ce qui concerne le biodiesel, les résultats sont relativement proches des objectifs fixés (environ 1,5%). C'est donc sur la filière bioéthanol (et plus spécifiquement sur l'incorporation directe d'éthanol dans l'essence) que le retard est le plus important.

Cette différence s'explique par la constante diésélisation du parc automobile français, qui oblige les pétroliers à acheter du gazole à l'étranger pour répondre à la demande, alors qu'ils possèdent des excédents en essence. Le biodiesel ne pénalise donc pas les pétroliers français puisqu'il vient se substituer à des produits importés alors que le bioéthanol contribue à l'inverse à augmenter les excédents d'essence.

De l’éthanol dans l’essence, du diester dans le gazole...

Il existe deux types de biocarburants : l'éthanol, qui est utilisé dans des moteurs de type « essence » et les esters méthyliques d'huiles végétales (EMHV), couramment appelés Diester, employés dans les moteurs de type « diesel ».

L'éthanol est produit à partir de plantes sucrières (canne à sucre, betterave) ou de céréales (blé, maïs). Sa production repose sur la fermentation qui transforme les sucres en éthanol. Elle s'accompagne de la formation de co-produits utilisés pour l'alimentation animale ou valorisés sous forme énergétique. L'éthanol peut être utilisé pur, en mélange ou bien encore sous sa forme d'éther (Ethyl Tertio Butyl Ether ou ETBE), obtenue par réaction avec de l'isobutuène issu des raffineries pétrolières. L'usage de l'éthanol pur ou à très forte concentration nécessite une adaptation du véhicule. Pour des teneurs allant de 5 à 10%, aucune adaptation n'est nécessaire. Mais des difficultés techniques peuvent apparaître. L'ETBE permet de les supprimer.

Les esters méthyliques d'huiles végétales (EMVH) sont produits à partir d'huiles végétales issues par exemple de colza, de tournesol, de soja ou même de palme. Un résidu solide (le tourteau) est généralement réservé à l'alimentation animale. Les huiles végétales doivent ensuite réagir avec un alcool (le méthanol) pour donner les EMVH. Leur utilisation pure nécessitant des adaptations du véhicule, ils sont donc surtout utilisés en mélange avec du gazole à des teneurs allant jusqu'à 30%.

La France à la traîne...

La production et la consommation de bioéthanol en Europe

En Europe, la Suède est le seul pays à avoir rempli cet objectif des 2% d'incorporation de biocarburants. Le taux d'éthanol à la pompe atteint même 5%. L'Espagne et l'Allemagne sont également devant la France en terme de consommation de bioéthanol. Dans le monde, c'est le Brésil qui détient la palme d'or : le bioéthanol représente 44% de l'essence consommée dans ce pays !

Les avantages environnementaux des biocarburants

De nombreuses études prenant en compte tout le cycle de vie des biocarburants ont été publiées. Globalement, elles démontrent une diminution des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles.

Une étude réalisée en 2002 par le cabinet d'expertise Ecobilan avec l'Ademe (Agence de l'environnement et de maîtrise de l'énergie) et la Direm (dIrection des ressources énergétiques et minérales) a ainsi montré qu'une combustion d'éthanol émettait environ 2,5 fois moins de gaz à effet de serre que l'essence classique. Quant à la combustion de biodiesel, elle en émettrait environ 3,5 fois moins que le gazole.

Comment expliquer ce retard ?

Selon le groupe d'études sur les biocarburants mis en place par le gouvernement, cette situation résulte d'une « fiscalité énergétique irrationnelle » (par exemple, le système de défiscalisation des biocarburants est inégal en fonction des filières) et d'un « lobbying actif de la part des groupes de pression, face à des gouvernements successifs n'ayant jamais eu le courage de résister et de trancher ».

Stephane His, économiste à l'Institut français du pétrole : « Il est difficile de trouver un marché aux produits qui ont été substitués à l’essence par l’éthanol...»

L'exemple le plus frappant concerne l'incorporation directe d'éthanol dans l'essence. En effet, pour réaliser ce mélange, il est nécessaire d'utiliser une base essence légèrement différente (moins volatile) de celle que l'on trouve sur le marché. Or les raffineurs français traînent des pieds pour commercialiser cette essence adaptée au mélange. Certains distributeurs ont donc dû importer ce type d'essence pour pouvoir offrir des mélanges avec éthanol dans leurs stations services.

En janvier 2006, le groupe d'étude « biocarburants » a demandé la création d'une commission d'enquête visant à étudier ces blocages. Mais leur demande n'a pas été retenue par les députés.

L’agriculture n’est pas un facteur limitant

Selon les représentants des filières de biocarburants, l'agriculture française peut fournir les quantités de biocarburants permettant d'atteindre l'objectif des 5,75% incorporés dans les carburants fossiles en 2008. Pour cela, il faudrait mobiliser 300 000 hectares de céréales (sur 9 millions d'hectares, soit 3,3%) et 58 000 hectares de betteraves (sur 300 000, soit 19,3%). Il serait par ailleurs possible d'utiliser les quelque 1,5 million d'hectares de terres laissées au repos.

Selon Stéphane His, économiste à l'Institut français du pétrole, le potentiel agricole maximum permettrait d'atteindre un taux d'incorporation d'environ 25%.

La filière « Flex Fuel » : seule solution pour écouler l’éthanol produit

Etienne Poitrat (Ademe) : « Cette expérimentation permettra de développer l'utilisation d'éthanol en France... »

Si l'on n'incorpore toujours pas (ou peu) d'éthanol dans les moteurs français, en revanche, on en produit de plus en plus suite à l'augmentation des agréments délivrés par le gouvernement (+200 000 tonnes en 2005 pour l'éthanol). On se retrouve donc avec une quantité d'éthanol de plus en plus importante sans pour autant avoir un marché pour l'écouler. Selon l'Ademe (Agence de l'environnement et de maîtrise de l'énergie), environ 80 000 tonnes d'éthanol se retrouveraient ainsi en stock, non utilisées, en 2005. En mai 2006, le gouvernement a lancé la deuxième phase de son « plan Biocarburant », accordant encore 950 000 tonnes d'agréments supplémentaires : 700 000 tonnes pour la filière biodiesel et 250 000 tonnes pour la filière bioéthanol.

Les véhicules Flex Fuel ont déjà fait leur preuve dans plusieurs pays.

Face à ce dilemme, le gouvernement a décidé, le 1er juin 2006, de lancer une autre expérimentation : celle des véhicules « Flex Fuel », qui roulent indifféremment avec de l'essence normale ou un carburant composé à 85% d'éthanol (appelé E85). L'intérêt principal de cette expérimentation, c'est qu'elle contourne les pétroliers : ici, ce n'est pas du biocarburant que l'on introduit dans une base essence spécifique mais un peu d'essence classique que l'on introduit dans l'éthanol. L'inconvénient, c'est que ce carburant nécessite non seulement des véhicules particuliers mais également des pompes spéciales. Et donc un investissement financier important. Fin septembre 2006, à la veille du Mondial de l'Automobile à Paris, le gouvernement a annoncé la mise en place de 500 pompes dès 2007.

Des biocarburants oui, mais pas d’huile végétale pure !

Alain Juste : « Est-ce que les pressions des groupes pétroliers sont plus fortes que la volonté de nos hommes politiques ? »

Quelques jours après le lancement des véhicules « Flex Fuel », la communauté de communes du Villeneuvois (Lot-et-Garonne) se retrouvait au tribunal administratif de Bordeaux pour avoir utiliser de l'huile végétale pure comme carburant dans leurs camions à poubelle. Une réglementation interdit en effet l'utilisation de ce type de biocarburant en dehors du monde agricole. Pourtant, l'Union européenne a reconnu l'huile végétale pure comme étant un type de biocarburant parmi une dizaine d'autres. Mais en France, seules les deux filières que sont le diester et le bioéthanol ont été développées.

Les raisons avancées à l'interdiction de l'huile végétale pure comme biocarburant sont des problèmes de compatibilité avec les systèmes d'injection haute pression et d'encrassement des moteurs. Des arguments que réfute Alain Juste, président français de l'Institut des huiles végétales pures.

Lise Barnéoud le 06/10/2006