Selam : la re-naissance d’un petit d’Australopithèque

En Éthiopie, une équipe internationale révèle le squelette quasi complet d'une jeune Australopithèque de trois ans baptisée Selam. Elle évoluait il y a 3,3 millions d'années, soit 100 000 ans avant le plus célèbre fossile hominidé, Lucy.

Par Jérémie Bazart, le 02/11/2006

De la savane arborée... au cerceuil de grès

Zeresenay Alemseged tenant le crâne de Selam au musée national d'Addis-Ababa.

Selam n'est pas une « enfant » comme les autres. Découverte dans la célèbre vallée du Rift, sur le site de Dikika en Éthiopie, à 10 km du site de Lucy, elle est à ce jour la petite femelle la plus ancienne de l'humanité (résultats publiés dans la revue Nature du 21 septembre 2006).

Du haut de ses trois ans, Selam, qui veut dire « paix » en éthiopien, nous fait faire un bond de plus de trois millions d'années en arrière. L'analyse de la gangue de grès dans laquelle ces nouveaux ossements ont été retrouvés révèle également de nombreux autres fossiles qui permettent de planter le décor : un paysage de savane arborée dans lequel évoluent des rhinocéros blancs, des girafes, des crocodiles...

« Plus de 95% des fossiles retrouvés concernent la faune et la flore... »

L'absence de traces de morsures d'animaux et l'inexistence d'abrasions sur les os retrouvés suggère que la crue d'une rivière est à l'origine de la mort de Selam, à la façon de Lucy. Il y a 3,3 millions d'années, l'Australopithèque aurait ainsi été conservée, ensevelie sous les sédiments.

Les Australopithecus afarensis

Les Australopithecus afarensis sont décrits de la façon suivante : ensemble d'hominidés bipèdes africains possédant une puissante mâchoire et un cerveau de moins de 500 cm3. Ce dernier, en moyenne de 400 cm3, est le plus petit de tous les hominidés connus. Une controverse existe concernant son mode de déplacement. Si tous les scientifiques se sont accordés sur la bipédie, ils sont moins affirmatifs sur le "grimper aux arbres".

3,3 millions d'années plus tard

Aujourd'hui, le paysage a bien changé. Une terre aride écrasée de soleil, quelques touffes d'herbe sèche, des centaines de dunes de sable sur lesquelles ne poussent que des cailloux, voilà à quoi ressemble le site de Dikika, dans l'Afar, à proximité du lieu de découverte de la célèbre Lucy, dépoussiérée il y a maintenant trente-deux ans…

Le lieu de la découverte

Pour Zeresenay Alemseged, l'aventure commence en 2000 alors qu'il vient de passer sa thèse. Il travaille à la mise en place d'un programme, le Dikika Research Projet (DRP) dont le but est d'analyser une couche de sédiments datant de 3,31 à 3,35 millions d'années. Le 10 décembre, au milieu d'autres fossiles, il découvre une partie des ossements de Selam.

La plupart du temps, les paléontologues doivent rassembler les fragments osseux à la façon d'un puzzle, pour reconstituer le squelette. Mais dans le cas de Selam, c'est l'inverse qui se produit. Le squelette est quasi complet.

Les pièces sont déjà toutes assemblées mais le grès tout autour les emprisonne et la coque rigide doit être retirée minutieusement. C'est donc avec des instruments miniatures, des fraises dentaires, que les chercheurs vont patiemment, grain par grain, dégager une partie des os.

Six ans ont passé et ce travail de grattage est loin d'être terminé ! Mais si la plupart des os restent toujours prisonniers de leur enveloppe de grès, la découverte de Selam demeure exceptionnelle à plus d'un titre.

Le visage complet d’un enfant australopithèque

Le crâne de Selam

Le crâne et la mâchoire sont intacts excepté le front et quelques zones latérales. Cette disposition permet d'apercevoir une partie de l'empreinte laissée par le cerveau de cet afarensis. Ces deux parties sont toujours articulées entre elles, ce qui permet de voir le visage osseux de Selam. Toutes les dents de lait sont présentes et l'utilisation de l'imagerie médicale a permis de visualiser les dents définitives encore insérées dans la machoîre. C'est en vérifiant les critères de formation des dents que les chercheurs ont pu déterminer ce que l'on appelle « l'âge dentaire » de l'Australopithèque (3 ans).

De même, c'est en comparant le diamètre de la canine définitive (plus grosse chez les mâles que chez les femelles) avec d'autres spécimens adultes que les scientifiques ont pu préciser le sexe de Selam. Cette comparaison est rendue possible car l'Australopithèque est la troisième espèce la plus renseignée après Sapiens et Neandertal.

Une omoplate bavarde

Il est rare de retrouver l'omoplate chez les fossiles d'hominidés compte tenue de la fragilité de cet os. Chez Lucy par exemple, il ne restait que la partie supérieure, la plus résistante de cet os plat. Or, chez Selam, les deux omoplates ont été retrouvées.

Quels sont les arguments nouveaux en faveur du grimper aux arbres ?

Toutefois, elles n'ont pas pu être comparées à celles d'autres Australopithèques car aucun autre specimen n'existe. Du coup, ce sont les espèces proches (gorille, chimpanzé…) qui ont servi de modèle. Résultat : elles ressemblent étrangement à celles des jeunes gorilles, un argument en faveur de la thèse déjà soutenue par un certain nombre de scientifiques affirmant que les afarensis, espèce à laquelle Selam et Lucy appartiennent, grimpaient dans les arbres « au moins occasionnellement pour dormir et échapper aux prédateurs », selon Zeresney Alemseged.

Cependant, cette théorie ne fait pas l'unanimité chez les experts. En effet, même si l'étude du squelette confirme les caractères à la fois pré-humains (partie inférieure pour la bipédie) et simiens (partie supérieure du corps pour grimper), certains pensent que la morphologie des membres supérieurs est un reliquat d'ancêtres (un peu comme le coccyx ou les dents de sagesse chez l'homme).

La voix de Selam

Selam criait-elle comme un chimpanzé ?

Autre élément intéressant retrouvé pour la première fois sur un fossile d'Australopithèque : l'os hyoïde, ou os lingual. C'est un petit os situé dans le larynx qui joue un rôle indispensable dans le maintien des muscles de la langue et donc dans la capacité à moduler un son. Jusqu'à maintenant, cet os n'a été retrouvé que chez un homme de Neandertal. Sa découverte chez un Australopithèque est donc exceptionnelle.

Il reste encore à l'extraire de sa gangue rocheuse, mais son étude dans les prochains mois permettra d'apporter des précisions sur le type de voix qu'avait Selam. Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que la morphologie de l'os hyoïde est plus proche des grands singes que de l'homme.

Du cerveau de l’enfant à celui de l’adulte…

Chez l'homme, le développement cérébral prend du temps : à trois ans, seulement 70% à 80% du cerveau est formé. Chez les chimpanzés au contraire, lorsqu'un bébé naît, 50% de son cerveau est déjà formé et lorsqu'il a trois ans, 90% de son cerveau adulte est mature. Le développement cérébral est donc beaucoup plus rapide. La découverte de Selam permet pour la première fois d'évaluer la vitesse de la croissance cérébrale chez les Australopithèques.

Conclusion : si la taille absolue du cerveau de Selam est identique à celle des chimpanzés au même âge (environ 330 cm3), lorsqu'on le compare à la taille du cerveau des Australopithèques adultes, le cerveau de Selam est formé entre 63% à 88% (c'est-à-dire que la croissance est relativement lente). Pour Zeresney Alemseged, cela signifie que « le changement de vitesse de croissance du cerveau, période clef de l'évolution, est peut-être apparu il y a plus de 3 millions d'années chez les Australopithèques… »

Au-delà de Selam

Élements du squelette de Selam.

Prochaines étapes : l'extraction des ossements de la gangue de grès afin d'étudier l'intégralité du squelette. Sa comparaison avec d'autres afarensis pourra apporter de précieuses informations sur la croissance générale des Australopithecus afarensis.

Les études sont donc encore loin d'être terminées. L'enfant de la lignée humaine qui vient de re-naître en Adar est loin d'avoir dévoilé tous ses secrets…

Jérémie Bazart le 02/11/2006