Santé publique : quel diagnostic pour l'Afrique ?

L'état de santé de l'Afrique est toujours aussi préoccupant, affirme un récent rapport de l'OMS consacré à la situation sanitaire du continent. Toutefois, le diagnostic montre aussi certains signes d'espoir, avec quelques belles réussites et des initiatives encourageantes.

Par Lise Barnéoud, le 12/12/2006

Des statistiques alarmantes…

Fred Eboko, sociologue et politologue spécialiste de l'Afrique.

L'Afrique reste la région du monde où il fait le moins bon naître. À sa naissance, un Africain a une chance sur six de ne jamais parvenir à l'âge de cinq ans, emporté par le paludisme, les infections multiples ou le sida. Ceux qui survivent ont une chance sur deux d'être malnutris et de vivre en dessous du seuil de pauvreté, n'atteignant en moyenne que 48 ans (soit trente ans de moins que dans la plupart des pays développés). 6% des enfants seront contaminés par le virus du sida (contre moins de 1% ailleurs). En outre, les maladies cardio-vasculaires et le diabète progressent et les accidents – notamment de la route – figurent parmi les principales causes de décès de la région.

Le tableau dressé par le premier rapport de l'OMS sur l'état de santé du continent africain* ne cache pas l'ampleur du phénomène. « L'Afrique doit faire face à la crise de santé publique la plus dramatique de la planète », a ainsi résumé le président de la Commission de l'Union africaine, Alpha Oumar Konaré.

Principales causes de mortalité dans la région africaine en 2002

  1. VIH/SIDA
  2. Paludisme
  3. Infections des voies respiratoires
  4. Maladies diarrhéiques
  5. Affections périnatales
  6. Maladies cardiovasculaires
  7. Tuberculose
  8. Cardiopathies ischémiques
  9. Rougeole
  10. Accidents de la route

Source : OMS

* Le rapport porte uniquement sur « la région africaine » au sens de l'OMS, qui exclut le Maroc, la Tunisie, la Lybie, l'Egypte, le Soudan, Djibouti et la Somalie.

…avec quelques notes d’espoir

Vers une disparition de la lèpre ?

Mais tout n'est pas si sombre pour autant et cet état des lieux se veut aussi porteur d'espoir. « On voit partout des signes tangibles : l'Afrique est en train de trouver des solutions africaines à ses problèmes de santé », positive l'OMS. Parmi ces signes encourageants, la lèpre, la poliomyélite ou encore l'onchocercose sont en passe d'être éradiquées. Par ailleurs, le nombre de décès par rougeole a diminué de plus de 50% depuis 1999.

Evolution de la couverture antirétrovirale en Afrique

Et surtout, l'OMS note enfin des progrès significatifs dans la lutte contre la plus grande catastrophe sanitaire du continent : le sida. En effet, si le virus reste la principale cause de mortalité chez l'adulte (dans seize pays d'Afrique, plus de 10% de la population est infectée), l'accès aux médicaments antirétroviraux a été multiplié par 8 en deux ans en Afrique subsaharienne. Une conséquence de l'initiative « 3*5 » lancée par l'OMS en 2003 et qui visait 3 millions de patients traités pour 2005. Toutefois, l'objectif est encore loin d'être atteint et seul un malade sur cinq bénéficie d'un traitement en Afrique.

Quelques initiatives positives…

Evolution de l’incidence du paludisme et distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide en Erythrée (1997-2004)

Le président de la Commission de l'Union africaine l'a souligné : « Il existe des solutions de santé publique qui donnent des résultats concluants dans le contexte africain. »

Parmi elles, les moustiquaires imprégnées d'insecticide permettent de réduire de 50 % la transmission du paludisme. En 2003, 8,5 millions de moustiquaires imprégnées ont ainsi été distribuées en Afrique. En Érythrée, où les moustiquaires sont gratuites, la mortalité due au paludisme a baissé de 55 à 65 %. C'est l'une des stratégies les plus économiques et les plus efficaces pour lutter contre ce fléau. Toutefois, selon le World Malaria report, moins de 5% de la population africaine en bénéficiait en 2005.

Autre initiative encourageante : le train médical Phelophepa (« bonne santé ») d'Afrique du Sud. Créé en 1994, ce train – qui compte aujourd'hui seize wagons où sont aménagés un centre de soins primaires, une clinique dentaire et des services de conseils et d'informations – circule à travers le pays à la rencontre des populations rurales. À ce jour, le personnel du train (des jeunes médecins et étudiants en dernière année de médecine) a soigné 500 000 personnes et en a examiné et informé 800 000 autres.

Enfin, l'OMS souligne également cette initiative tanzanienne qui a consisté à promouvoir la culture de l'armoise, dont le principe actif sert à la fabrication de médicaments antipaludiques. Aujourd'hui, 300 paysans en cultivent et la vendent directement à une société africaine qui en extrait le principe actif pour le vendre aux laboratoires internationaux.

« L’épidémie silencieuse »

Le gros point noir du rapport concerne la santé de l'enfant et de la mère. « Depuis le début des années 90, en raison notamment de l'épidémie de sida et des conflits armés, il n'y a pratiquement pas eu de progrès en matière de santé de la mère, du nouveau-né et de l'enfant dans de nombreuses parties de la région, quand la situation ne s'est pas détériorée », peut-on lire dans le rapport.

La mortalité infantile stagne voire régresse

Ainsi, la mortalité des enfants de moins de cinq ans a augmenté dans dix pays, notamment en Afrique du Sud, au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Kenya. En 2002, elle était de 171 décès pour 1 000 naissances vivantes (contre 20 décès pour 1 000 naissances en Europe). Près de la moitié de ces décès surviennent durant le premier mois de la vie, principalement des suites d'une infection, d'une hypoxie, d'une naissance prématurée ou du tétanos.

Par ailleurs, la mortalité maternelle est également en hausse depuis 1990 et atteint 910 décès pour 100 000 parturientes. Des décès en grande partie évitables, à condition de développer des systèmes de santé de qualité, précisent les rapporteurs de l'OMS. Mais, pour l'heure, sur les vingt pays de la planète présentant les taux de mortalité les plus élevés, dix-neuf sont en Afrique.

Investir davantage dans la santé

“Il faudrait que les pays riches tiennent leurs promesses...“

Le message principal du rapport est clair : les pays africains ne pourront pas se développer économiquement et socialement sans un investissement massif dans leurs systèmes de santé. Investissements des gouvernements africains d'une part, qui s'étaient engagés à consacrer 15% de leur budget à la santé lors de la déclaration d'Abuja en 2001 mais qui n'atteignaient toujours pas les 5% en 2003. Et investissements des pays développés d'autre part, engagés à consacrer 0,7% de leur revenu annuel à l'aide extérieur. En 2006, seuls cinq pays avaient honoré cette promesse : la Norvège, le Luxembourg, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède.

Lise Barnéoud le 12/12/2006