Lusi : le volcan de boue qui dévaste Java

Depuis dix mois, un volcan de boue engloutit l'est de l'île de Java en Indonésie. Pour combien de temps encore ? Peut-on l'arrêter ? Comment est-il entré en éruption ? Reportage en Indonésie avec notre envoyée spéciale.

Par Lise Barnéoud, le 06/04/2007

Un lac de boue de plusieurs centaines d'hectares

« Ici, il y avait un quartier d'habitations avec des rizières tout autour. Là, il y avait l'entreprise de montres et juste à côté, la fabrique de meubles. Le bout de béton que l'on devine derrière, c'était l'autoroute. » Umar Fauzi n'en revient toujours pas. Aujourd'hui, ce quartier industriel de Sidoarjo, à l'est de l'île de Java, n'est plus qu'un immense lac de boue, duquel émergent quelques crêtes de toits. « Nous ne pouvons pas laisser la boue engloutir toute la région… », souffle ce géophysicien indonésien sans quitter des yeux ce paysage de désolation.

Tout a commencé le 29 mai 2006, au milieu d'une rizière. Un geyser de boue a soudainement jaillit de terre, crachant d'abord quelques dizaines de mètres cubes d'un liquide visqueux. Mais très vite, ce drôle de geyser s'est transformé en un véritable volcan, déversant chaque jour entre 100.000 et 200.000 mètres cubes de boue ! Et malgré la construction de digues et de remparts, en mars 2007, plus de 600 hectares étaient déjà engloutis.

Les volcans de boue dans le monde

Près d'un millier de volcans naturels de boue existent sur la planète. On les trouve surtout aux bords des plaques de l'écorce terrestre, où l'activité tectonique est importante, ou encore à l'embouchure de grands fleuves, tels le Niger et le Nil. La plupart du temps, ces volcans sont situés sur des empilements de couches sédimentaires argileuses, qui piègent un gisement d'eau et le mettent sous pression. Il n'y a donc pas de réservoir de boue : c'est l'eau sous pression de l'aquifère qui se transforme en boue lorsqu'elle traverse les couches de sédiment.

Une catastrophe humaine, économique et environnementale

« Nous avons tout perdu dans cette catastrophe : notre maison et notre travail », explique un groupe d'hommes, assis à l'entrée de la digue construite pour accéder au volcan. De fait, près de 15 000 personnes ont d'ores et déjà dû être déplacées et une vingtaine d'entreprises ont été définitivement fermées. Sans parler des conséquences environnementales de ce liquide bouillonnant qui se déverse en partie dans une rivière toute proche et contamine les écosystèmes aquatiques. Entraînant par là même une catastrophe économique dans cette région connue pour ces élevages de crevettes de grande qualité. Bref, une véritable catastrophe humaine, économique et environnementale, dans un pays qui ne compte plus le nombre d'évènements de la sorte…

Erreur humaine ?

Les digues sont renforcées 24h/24 afin d'éviter les débordements de boue

Pourquoi la terre s'est-elle mise soudainement à cracher autant de boue par jour ? D'où vient cette quantité phénoménale de liquide bouillonnant ? Et surtout, combien de temps ce volcan va-t-il encore durer ? Pour l'heure, aucune certitude n'existe. Le scénario le plus probable pourrait bien mettre sur le banc des accusés une compagnie pétrolière nommée Lapindo. Cette société indonésienne, propriété d'un ministre proche du président, prospectait en effet un gisement de pétrole lorsque la catastrophe est survenue. Leur tige de forage était alors à plus de 2800 mètres de profondeur lorsqu'elle s'est soudainement bloquée. Quelques instants plus tard, à quelques mètres de là, Lusi commençait à cracher ses premiers mètres cubes de boue…

Richard Davies, devant le cratère du volcan en février 2007

Selon Richard Davies, spécialiste des volcans de boue à l'université de Durham (Royaume-Uni) et auteur du premier rapport scientifique sur cette éruption sans précédent, la tige de forage a probablement percé un réservoir d'eau bouillante sous pression située à 3 kilomètres sous terre. L'eau se serait alors engouffrée dans le puits et aurait fracturé les roches alentours, créant plusieurs fissures dont l'une serait parvenue jusqu'en surface. C'est en remontant dans ses fissures que l'eau se charge en sédiments, notamment en argile, ce qui lui donne sa texture boueuse en surface.

Le scénario de Richard Davies

Selon le spécialiste anglais, l'éruption aurait été initiée par un forage pétrolier. Aucune protection n'isolait le bas de la tige de forage : de l'eau sous pression se serait alors engouffrée dans le puits avant de fissurer les couches de sédiments, plusieurs centaines de mètres sous terre.

… ou volcan naturel ?

A quelques kilomètres de Lusi, un ancien volcan éteint montre que nous sommes ici en pleine région volcanique

Mais cette explication ne convient pas à tout le monde, à commencer évidemment par la compagnie pétrolière qui accuse un tremblement de terre, survenu l'avant-veille de la première éruption. L'argument est tout à fait recevable. Par exemple, deux jours après le gros tremblement de terre du Nord de l'Inde, en 2001, un volcan de boue au Pakistan était entré en activité.

« Nous savons que les tremblements de terre réveillent ou forment parfois des volcans, de lave comme de boue, commente Michael Manga, géologue américain auteur d'un article sur les liens entre séismes et volcans de boue dans le monde. Mais dans le cas de Java, l'intensité du tremblement de terre (6.2 sur l'échelle de Richter) semble trop faible et son épicentre (situé à environ 300 kilomètres) trop éloigné pour pouvoir initier l'éruption ».

Au-dessus du cratère bouillonnant

Sans compter que d'autres séismes, parfois beaucoup plus violents, avaient déjà secoué la région ces précédentes années, à commencer par le Tsunami de 2001…

Toutefois, certaines énigmes subsistent. Ainsi, il est théoriquement impossible qu'autant d'eau sous pression puisse remonter uniquement à partir du puits de pétrole. Le débit est beaucoup trop important. Par ailleurs, la tige de forage semble intacte, ce qui laisse penser que le flux d'eau ne passe pas par là. Ainsi, pour Bambang Istaldi, géologue et chef exploratoire chez Lapindo, le tremblement de terre serait responsable de l'éruption : il aurait créé une fracture entre la réserve d'eau et la surface.

Bambang Istaldi, chef exploratoire chez Lapindo.

« De plus, la zone est particulièrement sujette aux volcans de boue : Lusi est le septième de ce genre à naître sur l'île de Java, clame-t-il. Même sans forage, le volcan de boue aurait eu lieu, tôt ou tard ».

Quels liens entre séismes et volcans ?

Michael Manga, géologue américain, a mis en évidence une relation entre la distance et l'intensité des séismes susceptibles de générer des éruptions volcaniques. Statistiquement, seuls les séismes situés au-dessus de la ligne sont suffisamment proches et violents pour déclencher des éruptions. Ici, le volcan qui avait secoué la région deux jours avant l'éruption de Lusi (en rouge) se situe au-dessus de cette ligne alors que d'autres séismes situés en dessous de cette limite avaient eu lieu dans la région.

Peut-on étouffer un volcan de boue ?

« On peut s'interroger pendant des années sur l'origine de ce volcan, mais en attendant, la boue continue de couler », s'emporte Umar Fauzi, coordinateur de l'équipe chargée de colmater le volcan.

Les boules de béton, prêtes à être insérées dans la gueule du monstre

Depuis le 24 février 2007, une équipe de scientifiques de l'université de Bandung, Java central, tente effectivement d'étouffer Lusi en y insérant des chaînes d'acier équipées de grosses boules de béton. Une expérience totalement inédite. « L'objectif de notre procédé est de transformer l'énergie cinétique de la boue en énergie de friction, de rotation et de vibration », explique le spécialiste. Ainsi, une fois insérées à l'intérieur du conduit, les boules se mettent à rouler et la chaîne à vibrer sous l'effet du flux de liquide. L'ensemble freine ainsi le passage de la boue, qui pourrait alors voir son débit diminuer d'environ 75% selon les auteurs. « Nous devons insérer ces chaînes graduellement, à plus de 200 mètres de profondeur pour éviter tout risque de générer d'autres éruptions de boue », précise Umar Fauzi.

Suspendu au câble, le collier de boules s'apprête à traverser le cratère

Car le risque est bien là : s'il se crée une surpression en dessous des chaînes d'acier, le flux de liquide pourrait à nouveau fissurer les roches alentour et ouvrir ainsi une nouvelle fracture jusqu'en surface. « Cette expérience ne fera que déplacer le problème, critique Cédric Hoebreck, qui réalise son master de géophysique sur Lusi. Il faudra bien que la pression s'évacue ailleurs… ».

Mais les scientifiques indonésiens se veulent rassurants : « Nous vérifions toutes les données du volcan pendant les opérations, précise Hamdi Rifai, membre de l'équipe de colmatage et technicien à l'université de Bandung. Si la viscosité de la boue, sa densité ou encore le nombre de bulles visibles en surface venaient à changer, nous stopperions le procédé. »

Près de 400 chaînes ont ainsi été insérées dans le cratère fumant. Selon les scientifiques, le débit commencerait à montrer des signes de faiblesse. Mais il faudra encore quelques centaines de chaînes et plusieurs semaines de travail avant de savoir si cette technique est réellement efficace.

Lise Barnéoud le 06/04/2007