Agrocarburants : manger ou conduire, faudra-t-il choisir ?

Alors que l'Europe annonce la fin du gel de ses terres agricoles pour répondre à la fois aux besoins alimentaires croissants et aux besoins énergétiques, l'OCDE met en garde contre les effets néfastes des agrocarburants.

Par Geneviève De Lacour, le 28/09/2007

Le rapport de la discorde

Dans son rapport publié le 11 septembre 2007 et intitulé « Est-ce que le traitement n'est pas pire que la maladie ? », l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) souhaite relancer le débat sur la capacité des agrocarburants à répondre aux besoins croissants en énergie. Dans ce document, l'OCDE s'inquiète non seulement des conséquences de la production d'agrocarburants sur le prix des denrées alimentaires mais aussi de l'impact de ces cultures sur la biodiversité.

Richard Doornbosch, Conseiller principal pour la concertation sur le développement durable (OCDE)

L'auteur du rapport, l'économiste Richard Doornbosch, donne l'exemple de la forêt amazonienne, abattue pour être remplacée par des champs de soja mais aussi celui de la forêt indonésienne lentement transformée en forêt de palmiers à huile. Pourtant, un consensus semblait s'installer à l'échelle internationale : la culture des agrocarburants est présentée comme « la » solution réaliste – bien que partielle – aux problèmes de la dépendance aux ressources pétrolières. Leur utilisation en mélange avec les carburants traditionnels permet en effet d'envisager une réduction des niveaux d'émissions de polluants des véhicules.

Seulement voilà, le prix pour obtenir une tonne d'équivalent CO2 est, selon ce dérangeant rapport, encore trop important – 500 dollars la tonne d'équivalent CO2 pour de l'éthanol fabriqué à base de maïs aux États-Unis. L'usage des biocarburants de seconde génération issus de matières lignocellulosiques (bois, paille) permettrait certes de réduire la pression sur les terres agricoles exercée par les agrocarburants. Mais pour l'instant, le bilan énergétique des produits de première génération reste limité pour un bilan écologique parfois désastreux.

« Agro » ou « bio » carburant ?

Le vocable « biocarburant » signifie que ce carburant est obtenu à partir de matériaux organiques. Cela pose problème en Europe où le mot « bio » est d'abord utilisé pour désigner les produits de l'agriculture biologique. Certains préfèrent donc employer le mot « agrocarburant ».

La fin des jachères fait le bonheur des agriculteurs… mais pas des écologistes

Le 13 septembre dernier, Mariann Fischer Boel, commissaire européenne à l'agriculture, annonçait, en fixant le taux de jachères obligatoire pour l'année 2007-2008 à 0%, la fin du gel des terres agricoles. Pour régler le problème de surplus agricole, l'Europe avait décidé en 2000 de geler 10% de ses terres, ce qui représente pour la France une superficie totale de 1,3 million d'hectares. Un gel parfois théorique puisqu'un tiers de ces terres est resté cultivé pour la production d'agrocarburants.

Jachère fleurie appréciée des abeilles qui y trouvent abondance de pollens et de nectar.

Selon Lionel Vilain, représentant du réseau agriculture à France Nature Environnement, « les jachères ont été mises en place pour réguler le marché. Au départ décriées par les agriculteurs, elles ont permis de préserver la nature ordinaire, en tant qu'espace de ressourcement. Face à la quasi-pénurie alimentaire qui se profile, la fin des jachères est logique. Mais nous prônons des pratiques agricoles plus douces. » Pour la prochaine récolte en 2008, seules 300 à 400 000 hectares seront remises en culture et, selon Philippe Pinta de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), un tiers de cette surface sera destiné aux agrocarburants.

« Les jachères sont des espaces de préservation de la nature et le maintien d'une bande de jachères autour des cours d'eau a une fonction écologique essentielle », estime Lionel Villain. Un fait que ne conteste pas le représentant de la FNSEA. Mais il précise aussi que la décision européenne, accueillie favorablement par les agriculteurs et cela, pour des raisons économiques évidentes, ne devrait pas empêcher le maintien des jachères apicoles et faunistiques*. D'après la Commission européenne, la suppression de la jachère permettra d'augmenter la production de 10 à 17 millions de tonnes de céréales en 2008, ce qui devrait contribuer à calmer la flambée des prix agricoles.

* Une jachère apicole fournit du pollen diversifié aux abeilles et aux insectes consommateurs de nectar. Une jachère faunistique est destinée à la nourriture des animaux sauvages.

Le grand marchandage

Richard Doornbosch, Conseiller principal pour la concertation sur le développement durable (OCDE)

« Nourriture contre carburant », c'est ainsi que le récent rapport de l'OCDE résume le combat qui s'engage, une compétition pour un espace limité. Pour Lionel Vilain, de France Nature Environnement, cette compétition pour l'espace a commencé. La concurrence entre besoins alimentaires et besoins énergétiques va aller croissant. « La pénurie de céréales que nous avons connu cette année s'explique par trois facteurs différents : d'abord pour des raisons climatiques, les deux dernières années les récoltes n'ont pas été bonnes. Ensuite parce que la Chine et l'Inde ont des besoins alimentaires croissants, besoins qui ne vont cesser d'augmenter. En dernier lieu parce que les productions agricoles sont concurrencées, au niveau de l'espace, par la production de biocarburants. » Philippe Pinta de la FNSEA confirme cette analyse. Avec l'enrichissement de pays tels que l'Inde ou la Chine, la consommation de produits carnés croît, ce qui provoque une augmentation de la consommation de céréales.

Pour les agriculteurs, les jachères représentent un espace à reconquérir. Le représentant de la FNSEA analyse ainsi la décision européenne : « Les surfaces en jachère existant à l'heure actuelle en France et dans l'Union européenne permettent largement de concilier les cultures énergétiques et une production alimentaire. En ce qui concerne le rapport de l'OCDE, il livre une réflexion planétaire en insistant sur les pays en voie de développement où des terres sont défrichées pour y planter des biocarburants. Ce n'est pas le cas en France. Le bilan écologique des biocarburants reste très favorable en France. » Pétrole contre nourriture, le marchandage aurait donc déjà commencé… sans garantie d'aboutir.

Geneviève De Lacour le 28/09/2007