Gestation pour autrui : bientôt possible en France ?

Fin octobre 2007, pour la première fois, la justice française a reconnu la qualité de parents de jumelles à un couple qui a pratiqué la gestation pour autrui (GPA) aux Etats-Unis. L'approche de la révision des lois de bioéthique, prévue pour 2009, relance le débat sur cette pratique, désormais autorisée dans de nombreux pays.

Par Florence Heimburger, le 29/02/2008

Infertile, un couple recourt à la GPA

Mère porteuse

Sylvie et Dominique se connaissent depuis plus de douze ans. En 1998, ils découvrent que Sylvie ne pourra pas porter de bébé, car elle n'a pas d'utérus. Tous deux décident de recourir à la gestation pour autrui (GPA), ou grossesse par substitution. Cette technique permet de pallier les formes de stérilité liées à l'absence d'utérus, à sa déformation chez les « filles Distilbène », ou encore à un cancer du col… Elle consiste à prélever les gamètes des parents génétiques, à réaliser une fécondation in vitro et à implanter un ou plusieurs embryons dans l'utérus de la mère porteuse. Mais, en France, contrairement à d'autres pays, les lois de bioéthique de 1994* interdisent la GPA. C'est pourquoi, en 2000, le couple s'expatrie en Californie, où la législation autorise les « mères porteuses ». À San Diego, ils choisissent une gestatrice, « tout comme elle les choisit », tiennent-ils à témoigner. Après trois tentatives (à 10 000 dollars la fécondation in vitro), le transfert d'embryons fonctionne.

Le 25 octobre 2000, leurs jumelles voient le jour. Les autorités californiennes délivrent des certificats de naissance aux parents. Mais, de retour en métropole, Dominique et Sylvie ne parviennent pas à les faire reconnaître. Après six ans de poursuites judiciaires pour « enlèvement d'enfant » et « adoption frauduleuse », ils finissent par avoir gain de cause.

Fin octobre, la Cour d'appel de Paris accorde au couple le statut de « parents », et permet l'établissement d'état civil pour les deux enfants. Cette brèche devrait soulager des centaines de parents qui, comme eux, ont fait appel à une gestatrice. Chaque année, 300 à 400 familles françaises ont recours à une gestation pour autrui, selon l'association Maia, et sont forcées de se lancer dans ce que certains dénomment avec provocation le « tourisme procréatif ».

* Article 16-7 (inséré par Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 art. 1 I, II, art. 3 Journal Officiel du 30 juillet 1994) : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. »

De nombreux experts « pour »

« Je suis favorable à ce que dans certains cas, la GPA soit possible. »
Israël Nisand, chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg

Aujourd'hui, de nombreux experts, comme le Pr Israël Nisand, chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, ou la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, plaident pour la levée de l'interdiction. « Je ne suis pas favorable à ce que l'on autorise tout, mais je suis favorable à ce que dans certains cas, oui, ce soit possible », explique le Pr Israël Nisand. Lesquels ? « Chez les femmes qui ont perdu leur utérus étant jeunes, celles qui ont des malformations graves ou une absence total d'utérus », précise le médecin.

Par ailleurs, le spécialiste estime « qu'il faut être extrêmement vigilant sur deux choses : veiller à ce qu'il n'y ait pas d'exploitation des femmes qui portent l'enfant et à ce qu'il y ait une grande clarté sur le plan de la protection de l'enfant à venir ». Un avis que partage le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez : « Il faut s'emparer de la question de la gestation pour autrui pour l'encadrer avant qu'il y ait des pratiques sauvages qui se mettent en place. Le grand problème de la GPA, c'est les dérives commerciales. Il ne s'agit pas qu'il y ait des utérus à louer ou que des femmes plus fortunées se fassent, par caprice, porter leurs enfants par d'autres qui seraient un peu le prolétariat du ventre. »

La France est-elle en retard ?

La France est-elle en retard ?

La pratique de la GPA est aujourd'hui légale dans de nombreux pays. En Europe, plusieurs d'entre eux ont déjà légiféré : la Grande-Bretagne en 1998, la Grèce en 2000, la Finlande et la Belgique en 2007. Certaines lois prévoient pour la gestatrice le remboursement par l'Etat des dépenses médicales, voire, comme en Grèce, un dédommagement financier.

Pour le Pr Israel Nisand, « la France n'était pas en retard, mais les autres pays ont avancé ces derniers temps. Beaucoup de pays s'étaient dotés, comme la France, d'une réglementation interdisant les mères porteuses, mais ils sont revenus sur leur décision. »

Une pratique à risque

La pratique pose aussi le problème des risques sanitaires que la gestatrice pourrait encourir. Mais « on peut veiller à ce que les femmes qui sont candidates aient déjà eu un ou deux enfants et ne présentent aucun facteur de risque détectable », souligne Israël Nisand.

L'enfant ne risque-t-il pas de devenir une marchandise ? La réponse du Dr Serge Hefez

Autre risque possible : que l'enfant devienne marchandise. « Je regrette absolument l'instrumentalisation de la femme, s'insurge la philosophe Sylvaine Agacinski dans le Figaro Magazine du 9 novembre 2007. ''Womb for rent'' (''ventre à louer''), dit-on aux Etats-Unis. L'enfant acquiert ipso facto un statut de marchandise. »

Pour Serge Hefez en revanche, « il n'y a aucune raison qu'il se sente comme une marchandise mais au contraire comme quelqu'un qui a été désiré, conçu, porté, nourri, aimé. »

Pour l'heure, le recours au prêt de ventre heurte deux principes édictés par la loi : l'indisponibilité du corps humain (qui ne peut être ni vendu ni cédé), même en cas de gratuité, et l'indisponibilité de la filiation juridique, adossée à la filiation biologique. La révision des lois de bioéthique, prévue pour 2009, pourrait changer la donne.

Florence Heimburger le 29/02/2008