Huile de palme : vers une production durable ?

Le palmier à huile constitue la première source d'huile végétale dans le monde, devant le soja. Avec l'accroissement de la population, la demande devrait doubler d'ici à 2020. Comment la filière peut-elle y répondre sans nuire davantage à l'environnement ? Reportage en Colombie, cinquième producteur mondial.

le 26/09/2008

Une demande croissante, mais peu de pays producteurs

Biscuits, chips, pâtes à tartiner, soupes, savons, cosmétiques, peintures… De nombreux produits de consommation courante contiennent de l'huile de palme. Et pour cause : le palmier à huile africain est la plante oléagineuse la plus rentable par unité de superficie. Il produit 4 à 6 tonnes d'huile (huile de palme et huile de palmiste confondues – voir point de repère) par hectare et par an, soit dix fois plus que le soja, et quatre fois plus que le colza.

Mais, contrairement à ces deux plantes, les palmiers ne poussent que dans des conditions bien particulières : là où la température moyenne s'élève à 28°C et l'hygrométrie dépasse les 60%, soit la zone intertropicale. Conséquence : seuls certains pays du Sud, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, peuvent produire de l'huile de palme. Or le monde entier en consomme. Et les besoins augmentent de « 5% par an à cause de la pression démographique, de l'augmentation du niveau de vie et, dans une moindre mesure, de la demande en biodiesel », souligne le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) dans un rapport publié le 8 février 2008.

Une plante, deux huiles et de multiples usages

Utilisation de l'huile de palme dans le monde

Le palmier à huile produit des fruits, non comestibles mais très riches en huile, réunis en « régimes ». À l'âge adulte, un régime mûr pèse 15 à 25 kilos en moyenne et porte environ 1500 fruits. De ces fruits, on extrait deux huiles comestibles :

  • l'huile de palme, extraite de la pulpe du fruit , de couleur jaune-orangée à rouge ; elle représente 18 à 26% du poids frais des régimes ;
     
  • l'huile de palmiste extraite de l'amande du fruit, de couleur ivoire ; elle représente 3 à 6% du poids frais des régimes.

Palmiers à huile et déforestation

Plusieurs ONG reprochent à l'industrie du palmier à huile de détruire la biodiversité, d'anéantir notamment les derniers orangs-outans de Bornéo. L'avis d'un entomologiste...

Résultat : les plantations de palmiers gagnent du terrain… et provoquent la déforestation de grandes étendues de forêts primaires et secondaires, notamment en Indonésie. « L'équivalent d'un terrain de football de forêts disparaît en Indonésie toutes les dix secondes, soit deux millions d'hectares tous les ans. 90% des forêts indonésiennes ont été rasées », a averti l'organisation écologiste Les Amis de la Terre dans le cadre d'une campagne de sensibilisation lancée en juin 2007 sur la disparition des orangs-outans.

Dans son rapport du 8 février 2008, le CIRAD est moins alarmiste : le centre de recherche note que « le palmier a été planté à un rythme de 0,2 million d'hectares par an de 1995 à 2005 et de 0,4 million d'hectares ces deux dernières années, soit 16% du total ». Dans le monde, la surface plantée en palmiers serait de 12 millions d'hectares, contre plus de 90 millions pour le soja et environ 50 millions pour le colza. Conclusion du CIRAD : le palmier ne contribuerait « que pour moins de 3% du total des déforestations ».

Des garde-fous pour limiter la déforestation

L'Union européenne prépare des directives pour s'assurer que l'huile de palme importée dans les 27 Etats membres répond bien à des impératifs de développement durable. Par ailleurs, l'organisation internationale RSPO, qui associe différents acteurs de la filière, a édité en 2006 un document d'orientation pour la production durable d'huile de palme. Il comprend huit principes de développement durable. Seules les sociétés (productrices et distributrices) qui les adopteront pourront obtenir une certification RSPO. Cette certification interdit, notamment, la commercialisation d'huile de palme produite à partir de zone de forêt primaire convertie en plantation après novembre 2005.

Mais l'initiative de la RSPO ne satisfait pas entièrement les ONG : « Si la destruction des forêts primaires et des forêts à haute valeur de conservation est clairement interdite, il est en revanche, simplement proposé d'éviter de raser des forêts secondaires ou, pire, des forêts sur sols tourbeux alors que cette conversion entraînerait le relargage massif de grandes quantités de gaz à effet de serre dans l'atmosphère », selon Les Amis de la Terre.

L’huile de palme en Colombie

En Colombie, la situation semble moins préoccupante que dans d'autres régions du monde, si l'on en croit les propos officiels. « On ne touche pas à la forêt amazonienne », prévient d'emblée José Ignacio Sanz Scovino de Cenipalma, directeur exécutif de Cenipalma, le centre national de recherche sur l'huile de palme, à Bogotá, où nous nous sommes rendus. Il précise cependant que « les cultures de palmiers ont un peu poussé les cultures de bananes. Mais elles ont aussi remplacé celles de coca. L'impact du palmier sur la population est énorme : il crée beaucoup d'emplois, les familles sont plus stables, il n'y a pas d'exode rural, pas de prostitution. Les plantations offrent aux travailleurs l'accès à des dispensaires, et construisent des écoles pour les enfants… »

Pour lui, si le palmier à huile a mauvaise réputation, c'est parce qu'« il a été attaqué par le lobbying du soja. » Aujourd'hui, la Colombie arrive en cinquième position du palmarès mondial des producteurs d'huile de palme, largement derrière la Malaisie et l'Indonésie, qui fournissent à elles seules 86% de la production mondiale (Source : Oil World 2007).

Consciente que la demande n'en finit pas de croître, la Colombie compte augmenter « de 5 millions d'hectares les surfaces cultivées le plus rapidement possible », explique José Ignacio Sanz Scovino. « Nous voudrions développer les cultures vers l'est du pays, encore inexploité, mais la période sèche y dure plus longtemps. Il faudrait donc irriguer ou développer, par clonage, du matériel végétal résistant à la sécheresse. »

Vers le clonage de palmier ?

Quel est l'intérêt du clonage du palmier à huile?

C'est précisément dans le domaine du clonage que travaille Axel Labeyrie, ingénieur français en biotechnologie végétale au CIRAD, expatrié en Colombie. Depuis deux ans, il réalise de la culture in vitro de palmier à huile au sein d'un laboratoire, situé à Funza, à une trentaine de kilomètres de la capitale colombienne. « Les palmiers ne peuvent se multiplier que par voie sexuelle entre deux individus. Mais cette descendance est très hétérogène. Par conséquent, pour conserver et multiplier un palmier qui présente des caractéristiques "intéressantes", la seule solution c'est de le cloner en laboratoire », explique Axel Labeyrie.

En fait de caractéristiques intéressantes, il s'agit essentiellement d'augmenter la production de fruits, leur teneur en huile, et la teneur de cette huile en acides gras insaturés… Il s'agit aussi d'améliorer la résistance des palmiers à la sécheresse et à certaines maladies comme la fusariose ou la pourriture du cœur (ou « PC »), une maladie dont on ne connaît toujours pas l'origine, qui décime des plantations entières en Amérique latine. Mais le chemin est long et coûteux entre la sélection d'un individu « élite » et la genèse de milliers de plantules identiques et leur acclimatation en pépinière.

Une autre approche : l’hybridation

Quel intérêt présente l'hybride par rapport au palmier à huile africain classique?

Pour lutter contre la « PC », il existe une autre solution : l'hybridation. Cette méthode consiste à croiser entre elles les deux seules espèces de palmiers « à huile », sur les 4800 espèces de palmiers existantes : le palmier africain Elaeis guineensis, originaire d'Afrique intertropicale, et le palmier américain Elaeis oleifera, originaire d'Amérique latine.

Leur croisement donne un hybride interspécifique « résistant à la maladie, mais généralement moins productif qu'un hybride issu de deux E. guineensis », souligne Philippe Genty, entomologiste, et père de cet hybride interspécifique.

Cependant, cette nouvelle plante présente un avantage : sa croissance en hauteur est lente. Un atout pour la récolte car il est quasi-impossible de récupérer les régimes de fruits sur des palmiers de plus de 12 mètres de haut. C'est d'ailleurs principalement pour cette raison qu'il faut replanter des palmiers tous les 25 ans, et non à cause du déclin de la production. Là aussi, l'hybridation est un travail long et fastidieux : « Il faut 20 ans pour réaliser des croisements, planter les hybrides en zones malades et en zones saines, observer, choisir les bons individus, les reproduire de nouveau entre eux… », prévient Philippe Genty.

La Colombie commence à utiliser l'huile de palme comme biocarburant... L'avis d'un expert du CIRAD.

Début 2008, l'Union européenne dévoilait son plan de lutte contre le réchauffement climatique : il prévoit que le carburant des véhicules des Européens devra être composé d'au moins 10% d'agrocarburants. Une décision qui a fait flamber les prix des huiles végétales, et, en particulier, celui de l'huile de palme, l'oléagineux le moins cher du marché. Or en prenant uniquement en compte la hausse de la demande mondiale en huile de palme pour un usage alimentaire, la superficie des plantations de palmiers à huile pourrait atteindre 16,5 millions d'hectares d'ici 2020, selon le Programme des nations unies pour l'environnement (PNUE), contre 10,5 millions d'hectares aujourd'hui.

Que restera-t-il des forêts d'Asie du Sud-Est si à la demande alimentaire en huile de palme s'ajoute une demande en agrocarburant ? « Il n'y a pas d'équation possible, prévient Tristan Durand-Gassellin, directeur de l'Unité de recherche "Amélioration génétique du palmier à huile" au CIRAD de Montpellier, on ne fera pas marcher le monde avec de l'huile végétale ».

le 26/09/2008