Des batteries au lithium pour la voiture du futur ?

Budget : 400 millions d'euros sur quatre ans, décidé par le gouvernement. Objectif : la mise au point de véhicules « décarbonés, ayant le plus faible niveau possible d'émission de CO2 ». En pratique, des voitures hybrides rechargeables ou 100% électriques. L'occasion pour nous de faire le point sur les pistes de recherche actuellement explorées par l'industrie automobile dans le domaine très attendu du véhicule électrique.

Par Pierre Vandeginste, le 24/11/2008

Des voitures toujours plus électriques

Le moteur hybride de la Toyota Prius : l'avant lithium...

La plus célèbre des voitures électriques, la Toyota Prius, est une « hybride » tout court, et donc, sous entendu, « non rechargeable ». Cela signifie que c'est un moteur électrique qui assure les démarrages, et même plus, mais sa batterie n'est chargée que grâce à son moteur traditionnel, à combustion interne, en brûlant de l'essence. La Prius n'est pas faite pour effectuer des trajets à l'électricité seule, sa batterie ne permettrait de parcourir que 2 km. Pourtant, elle comporte une batterie d'environ 50 kg. Mais elle est du type Ni-MH (Nickel-Métal Hydrure), une technologie très mûre, ce qui est une bonne chose, mais dont la « densité d'énergie » reste modérée. S'il fallait compter sur une batterie de ce type pour assurer des dizaines ou centaines de kilomètres d'autonomie, elle pèserait un poids considérable.

Or on attend l'arrivée imminente de véhicules « hybrides rechargeables », que l'on pourra brancher sur une prise le soir et retrouver rechargées le lendemain. Leur batterie plus conséquente permettra de rouler à l'électricité pendant quelques dizaines de km. On parle de 60 km pour la future Chevrolet Volt. Au-delà, le moteur thermique prend le relais. Un tel véhicule pourra effectuer des trajets quotidiens, domicile – travail, à l'électricité, et ne rouler à l'essence que pour les vacances. Enfin, des voitures tout électriques sont également annoncées. Et l'on parle d'autonomies de plusieurs centaines de km. Ce qui suppose des batteries encore plus musclées.

Vous avez dit « voiture propre » ?

Rappelons, à propos de CO2, que si un moteur électrique n'en produit pas, on ne sait pas produire de l'électricité sans en émettre un peu… ou beaucoup, selon la forme d'énergie primaire utilisée. Dans le cas d'un véhicule hybride comme la Prius, la seule source d'énergie est son moteur à combustion interne, qui brûle de l'essence. Si cette voiture émet pourtant moins de CO2 qu'une berline traditionnelle équivalente, c'est uniquement parce que l'hybridation permet de mieux rentabiliser ce moteur. Les voitures électriques rechargeables sur le secteur reportent en amont, sur le réseau électrique, leurs émissions de CO2. Tout dépend donc du type de centrales électriques produisant l'électricité dans tel ou tel pays. L'énergie nucléaire, qui est à l'origine de près de 80% de l'électricité consommée en France, produit certes très peu de CO2, mais pose comme chacun sait des problèmes d'une autre nature.

Les exigences de l'industrie automobile

De nombreuses pistes explorées

Voilà pourquoi l'industrie automobile se prépare à l'avènement d'un nouveau type de batterie, dite au lithium, qui présente l'avantage d'une densité d'énergie plus favorable. Et qui de plus supporte mieux les cycles partiels (recharge sans attendre la décharge complète). Mais derrière le nom du plus léger des métaux, se cache en fait une famille nombreuse technologique. Commercialisée pour la première fois par Sony en 1991, la batterie au lithium-ion équipe aujourd'hui ordinateurs et téléphones portables. Depuis, un grand nombre de variations ont été proposées, et parmi elles quelques solutions crédibles pour l'industrie automobile.

Les paramètres définissant ce que l'on attend d'une batterie sont nombreux. La « densité d'énergie » dicte l'encombrement de la batterie capable d'assurer une autonomie raisonnable. On distingue la densité d'énergie massique, mesurée en Wh/kg (wattheure par kilogramme), et la densité d'énergie volumique (Wh/l). Ce sont des critères essentiels pour une automobile, dans la mesure où aucune technologie de batterie n'arrive aujourd'hui à la cheville de la densité d'énergie représentée par les carburants liquides. Mais il y a aussi la densité de puissance (mesurée en W/kg et W/l) : une automobile a besoin de pouvoir mobiliser instantanément une puissance importante au démarrage ou pour dépasser. Le coût par Wh (et aussi par W) est bien entendu une donnée fondamentale. On recherche de plus une batterie qui se charge rapidement et conserve longtemps cette charge. Enfin, on aimerait qu'une batterie dure longtemps, si possible autant que la voiture : on souhaite donc qu'elle supporte un ou plusieurs milliers de cycles et qu'elle ne vieillisse pas prématurément. Ces caractéristiques dépendent d'une qualité plus générale : sa stabilité. Une batterie est un assemblage complexe, soumis à des contraintes qui peuvent modifier durablement sa structure. Ce qui peut influer sérieusement sur la durée de vie mais aussi représenter un danger. Or, l'automobile est très exigeante en matière de sécurité. Pas question que les batteries grimpent inconsidérément en température, qu'elles prennent feu, explosent ou dégagent des produits toxiques, y compris en cas d'accident.

Les batteries au lithium, une famille nombreuse

Claude Delmas : lithium, cobalt, nickel…

Dans les batteries au lithium, des ions lithium se déplacent entre deux électrodes dans un électrolyte. On distingue traditionnellement trois types de batteries au lithium. Partant de la technologie initiale dite « lithium-ion », la filière lithium-polymère (LiPo) remplace son électrolyte liquide par un gel de polymère. Cela a pour effet de diminuer un peu la densité d'énergie mais facilite la réalisation de batteries de forme quelconque. Dans la batterie lithium-métal-polymère (LMP), l'une des électrodes, l'anode, est de plus réalisée en lithium métallique. Mais les améliorations récentes dérivent essentiellement de la voie lithium-ion. Les progrès ont porté notamment sur les électrodes. Sur les matériaux employés mais aussi leur structure microscopique et même à l'échelle du nanomètre. Ainsi à Bordeaux, au sein de l'ICMCB (Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux, CNRS), dirigé par Claude Delmas, on a beaucoup travaillé sur l'une des premières améliorations de la batterie lithium-ion initiale, reposant sur une électrode positive en oxydes métalliques, dite NCA (pour nickel-cobalt-aluminium). Ces travaux ont permis d'obtenir une durée de vie de l'ordre de dix ans. Dans le cadre d'un partenariat recherche-industrie avec Saft, ces recherches ont débouché sur la filière technologique dont profiteront bientôt Mercedes et BMW. L'ingrédient le plus cher dans cette technologie est le cobalt, mais l'électrode contient surtout du nickel, qui est moins cher. Pour abaisser encore le coût, on envisage également une association dite NMC, pour nickel-manganèse-cobalt, contenant encore moins de cobalt. Le manganèse est bon marché et la batterie résultante offrirait une densité d'énergie comparable au NCA. Par ailleurs, on place beaucoup d'espoirs aujourd'hui dans les phosphates, notamment le phosphate de fer, un matériau très économique et d'une grande stabilité (voir plus loin). Pour l'autre électrode, l'anode, on a songé à remplacer ou à doper le carbone (graphite) initial par un oxyde de titane, par du silicium, de l'étain, du molybdène… L'équipe dirigée par Jean-Marie Tarascon, notamment, au Laboratoire de réactivité et de chimie des solides (CNRS, Université de Picardie), étudie le cas du silicium. Il permet d'espérer des densités d'énergie améliorées, qui pourraient tourner autour de 300 Wh/Kg. Mais cela dans… une dizaine d'années ? L'étain est également étudié. Mais ce qui passionne le plus Jean-Marie Tarascon, c'est la perspective de remplacer un jour ces matériaux rares par des molécules organiques, produites à partir de matières premières biologiques, et donc parfaitement renouvelables. Enfin, une tendance lourde, que l'on retrouve dans tous ces laboratoires, c'est l'importance accordée à la structure des matériaux employés à l'échelle du nanomètre. S'il est un domaine où les nanotechnologies ne sont plus un vain mot, c'est bien dans le secteur de l'énergie.

Sécurité : deux approches opposées

Sécurité routière

Chaque « recette » de batterie au lithium comporte ses avantages et ses soucis. Il est courant qu'un progrès sur la densité ou le coût se fasse au prix d'un problème de stabilité. La structure se détériore parfois dès les premiers cycles charge-décharge. Ou bien la température grimpe dangereusement. Bien entendu, les chercheurs cherchent, et trouvent souvent, des parades. Ils ajoutent, par exemple, des ingrédients qui compensent ou atténuent les problèmes rencontrés. Et finissent éventuellement par obtenir une stabilité plus acceptable. Mais partant de là, l'industrie hésite entre deux manières d'obtenir le degré de sécurité souhaitable pour une automobile. Suivant l'approche « sécurité active », certaines batteries au lithium sont bardées de toute une électronique de contrôle, coûteuse, pesante et encombrante, sans laquelle elles risqueraient de ne pas durer bien longtemps, voire de prendre feu. Du coup, leur densité d'énergie, initialement élevée, s'en trouve ramenée dans la pratique à des valeurs moins impressionnantes. De même le coût initial par Wh est augmenté. Voilà pourquoi une autre approche dite de « sécurité intrinsèque » se développe aujourd'hui, qui consiste à choisir une technologie de batterie avec éventuellement une moindre densité d'énergie, mais offrant d'entrée de jeu une sécurité basée sur la stabilité naturelle de la technologie. C'est le cas par exemple du phosphate de fer, la technologie la plus prometteuse à cet égard actuellement.

Phosphate de fer : intrinsèquement stable, et en plus économique

Jean-Marie Tarascon, à propos de la technologie au phosphate de fer

Une technologie très prometteuse, pour l'automobile, à moyen terme, est celle qui a recours au phosphate de fer pour la réalisation de l'électrode positive. Non seulement elle est économique car elle n'exige aucun métal rare et cher comme le cobalt ou même le nickel, mais surtout elle apporte une stabilité peu banale, y compris jusqu'à des températures de l'ordre de 300°. Cela au prix d'une densité en énergie plus modeste.

L'électrode au phosphate de fer, dont l'inventeur principal est l'Américain John Goodenough (Université du Texas), a dès le départ fait l'objet de recherches et de perfectionnements en France, à Amiens, au sein d'une équipe dirigée par Jean-Marie Tarascon, au Laboratoire de réactivité et de chimie des solides (CNRS, Université de Picardie). On y poursuit encore des travaux sur cette approche. Cette voie semble promise à un bel avenir, parce que sa stabilité se traduit par une sûreté intrinsèque de fonctionnement.

À quand les premières voitures au lithium ?

Stéphane Biscaglia, à propos de la batterie Saft

Les premières voitures roulant au lithium, c'est vraisemblablement pour 2009, si l'on en croit les industriels de l'automobile. C'est en France, sur le site de Nersac (près d'Angoulême), que la joint-venture Johnson Controls-Saft produira les batteries (lithium-ion) qui équiperont la Mercedes hybride rechargeable Class S 400 du constructeur allemand. BMW a annoncé qu'il se fournira à la même adresse pour sa Série 7 ActiveHybrid, également une hybride rechargeable.

Stéphane Biscaglia à propos de BatScap

Par ailleurs, le groupe Bolloré promet une voiture strictement électrique, la BlueCar, qui sera équipée d'une batterie développée par sa filiale BatScap. Cette dernière est du type Lithium-Métal-Polymère. Il s'agit d'un assemblage bobiné de films très minces. Cette batterie peu banale doit être maintenue à 80° pour fonctionner. Autonomie annoncée : 250 Km. Mitsubishi devrait lancer, au moins au Japon, sa i-MiEV, une citadine tout électrique, dotée d'une batterie de 16 kWh au lithium-ion, dont l'autonomie annoncée est de 160 Km. Aux Etats-Unis, la Chevrolet Volt arrivera sans doute en 2010.

Encore une autre approche : la traction est strictement électrique, une autonomie de 60 Km étant assurée par une batterie de 170 Kg. Mais cette dernière est rechargeable sur le secteur et par un moteur classique qui ne sert donc que de groupe électrogène. Les pistes explorées pour « électrifier » l'automobile sont nombreuses, les filières technologiques de batterie également, mais une chose est sûre : le lithium est l'une des clés du décollage de la voiture électrique.

Pierre Vandeginste le 24/11/2008