Le tritium, un élément radioactif émis par toutes les activités nucléaires, était jusqu'à ces dernières années considéré comme peu dangereux. Mais certaines études scientifiques ont mis cette affirmation en doute. Un colloque vient de faire le point sur ce risque.
Un radioélément discret mais omniprésent
« Le tritium, discret mais présent partout », annonçait en préambule un récent colloque sur les risques liés au tritium, organisé par le Groupe permanent matières et déchets radioactifs de l'ANCLI (Association nationale des Commissions locales d'information).
Le tritium ressemble fortement à l'hydrogène, le plus léger des éléments chimiques, à ceci près qu'il est plus lourd, et radioactif. Il existe dans la nature, mais il est également produit par toutes les activités nucléaires : les centrales, bien sûr, mais aussi les activités militaires, et le retraitement du combustible. Il est considéré comme peu dangereux, car il émet un rayonnement de faible énergie, qui ne parcourt que quelques micromètres dans l'eau ou les tissus biologiques. Ce n'est pas non plus un déchet à vie longue : au bout de 12 ans (12,34 précisément), la moitié du tritium émis s'est désintégré.
Cependant, l'hydrogène est un élément de la matière vivante, et lorsque le tritium prend sa place, il se retrouve au coeur de nos cellules. « L'eau dont un atome d'hydrogène a été remplacé par un atome de tritium est vite éliminée par le corps humain, indique Monique Sené, présidente du Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire. En revanche, lorsque le tritium se lie à une molécule organique, elle peut se fixer partout, avec une affinité pour les cellules en développement. C'est pourquoi les études de toxicité se focalisent sur la femme enceinte et le foetus. ». Puisque le tritium se lie aux molécules organiques, on peut aussi craindre une bio-accumulation dans la chaîne alimentaire, à l'instar de ce qui se passe pour certains métaux lourds. Une étude anglaise a montré en 2005 que l'on trouvait des concentrations assez élevées de tritium dans les poissons à proximité de certaines activités nucléaires. Cette étude a relancé les débats sur la dangerosité du tritium.
Quelques grammes, une forte activité
Pourtant, les quantités de tritium émises peuvent paraître dérisoires : 3 grammes sont rejetés chaque année par l'ensemble du parc nucléaire français. Le centre de retraitement du combustible de La Hague (Manche), de son côté, en rejette 35 grammes. Mais l'activité de ce tritium, c'est à dire le nombre de noyaux qui se désintègrent, est élevée. Chaque gramme de tritium a une activité de 359.000 milliards de becquerels (ou 359 terabecquerels), c'est-à-dire qu'il engendre 359.000 milliards de désintégrations chaque seconde. A titre de comparaison, l'activité naturelle du granite est de l'ordre d'un becquerel par gramme.
Impossible de réduire les rejets
La prudence recommanderait donc de limiter autant que possible les rejets de tritium. Mais c'est là que le bât blesse : avec les technologies actuelles, il semble impossible à ce jour de diminuer ces rejets ou de confiner le tritium en attendant que son activité décroisse naturellement. Le tritium est engendré lors de la désintégration des noyaux lourds du combustible nucléaire en noyaux plus légers. La quantité de tritium émise est donc directement proportionnelle à la production nucléaire. C'est pourquoi, alors que les rejets de nombreux radionucléides par les activités nucléaires ont fortement diminué depuis la mise en service du parc, ceux de tritium stagnent, voire augmentent.
« Une partie du tritium reste piégée dans la gaine du combustible, observe François Besnus, chef du service de sûreté des irradiateurs, des accélérateurs et de la gestion des déchets à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Une partie s'échappe, notamment lors des opérations de retrait du combustible, et se retrouve dans le circuit d'eau de la centrale. Mais c'est surtout lors du retraitement, lorsqu'on tronçonne les gaines, que l'on libère ce tritium. »
À l'exception du tritium gazeux émis par les activités nucléaires du Commissariat à l'énergie atomique, la grande majorité du tritium se retrouve donc dans l'eau rejetée par les centrales. Serait-il possible de le récupérer et de le stocker en attendant que son activité décroisse naturellement ? « Chimiquement, le tritium est semblable à l'hydrogène, et il n'existe donc aucune technique capable de piéger sélectivement le tritium dans l'eau, explique François Besnus. Seuls des procédés de distillation, où l'on joue sur la masse des produits à séparer, pourraient être efficaces. Mais pour récupérer l'équivalent d'un dé à coudre de tritium parmi 40 000 mètres cube d'eau, il faudrait un distillateur colossal ! »
Revoir les autorisations ?
La solution retenue est donc de diluer au maximum ces rejets dans l'eau, idéalement dans l'océan. D'autant que même si l'on parvenait à récupérer le tritium et à le concentrer, le problème ne serait pas réglé pour autant. Le stockage de tritium concentré sous forme liquide est risqué, car si le fût perce, le liquide fortement chargé en tritium se répand. Et même sous forme solide, par exemple au sein de ciments spéciaux, une petite partie du tritium s'échappe.
« Avec les technologies actuelles on ne peut pas garantir un confinement du tritium dans la durée, affirme François Besnus. Le risque du stockage est de rejeter certes moins de tritium, mais plus concentré, ce qui serait plus risqué pour l'homme et l'environnement. » Ainsi, les centres de stockage de déchets nucléaires de la Manche et de l'Aube relarguent du tritium dans les nappes phréatiques.
« Même si le tritium est l'un des principaux éléments radioactifs émis par les activités nucléaires, son impact global sur la santé est minime, car sa toxicité est faible, entend rassurer Pierrick Jaunet, adjoint au directeur de l'Autorité de sûreté nucléaire. Même si des connaissances nouvelles sur l'action du tritium au sein des cellules, ou sur sa bio-accumulation, devaient amener à réviser le coefficient de radiotoxicité du tritium, cela ne modifierait pas fondamentalement les doses reçues par les populations, qui restent faibles. » L'impact du tritium autour de La Hague s'élèverait à 1 % de l'impact des autres radioéléments émis par ce centre de retraitement.
Les principaux radioéléments émis par les activités nucléaires
Le tritium est le principal radioélément émis par les activités nucléaires : il totalise 99,9 % de l'activité rejetée. Une centrale nucléaire comme celle de Flamanville rejette un peu plus de 0,2 gramme de tritium chaque année ; cela correspond à 80 000 gigabecquerels, soit 80.000 milliards de désintégrations par seconde. La Hague en émet 150 fois plus. Le second élément le plus émis est le carbone-14, qui compte pour 96 % de l'activité hors tritium. Viennent ensuite certains gaz rares comme le krypton-85, et les isotopes de l'iode. Mais l'impact sur la santé des radioéléments n'est pas lié uniquement à leur activité : il dépend aussi de l'énergie des rayonnements émis, des voies d'exposition et de la sensibilité des organes.
Des recommandations à venir
L'Autorité de sûreté nucléaire, le « gendarme » du nucléaire en France, a lancé en 2008 deux groupes de réflexion rassemblant des experts scientifiques, des exploitants et des représentants d'associations. Le premier groupe s'intéresse à l'impact environnemental et sanitaire du tritium, tandis que le second examine les technologies susceptibles à l'avenir de limiter les rejets. Leurs recommandations devraient être disponibles fin 2009. Elles seront très utiles au moment où les exploitants de plusieurs centrales nucléaires réclament une augmentation de leurs autorisations de rejet de tritium.