Ces catastrophes industrielles qui changent les lois ?

Alors que le procès d'AZF s'achève, les associations environnementales montent au créneau pour dénoncer les retards pris dans l'application d'une réforme relative au risque industriel, mise en place suite à la catastrophe toulousaine. L'occasion de s'intéresser aux relations complexes, tissées au fil de l'histoire, entre les grands accidents industriels et les lois.

Par Viviane Thivent, le 03/07/2009

Un Grenelle sur le risque industriel

Le 21 septembre 2001, l'usine AFZ explosait.

En mars dernier, le gouvernement français a annoncé le prochain lancement d'un Grenelle sur les risques industriels dont les objectifs restent à préciser. À l'origine de cette initiative, les plaintes exprimées par les associations environnementales, dont France Nature Environnement, concernant les retards pris dans l'application de la loi Bachelot (alors ministre de l'Écologie), votée le 30 juillet 2003 et découlant directement de la catastrophe d'AZF du 21 septembre 2001.

Après chaque catastrophe, une nouvelle réforme...

La catastrophe d'AZF a fait 30 morts, 2500 blessés et de nombreux dégâts matériels.

D'un point de vue historique, la première réglementation liée aux risques industriels apparaît il y a deux siècles, le 15 octobre 1810. À l'époque, il s'agit d'un décret napoléonien relatif aux manufactures et ateliers insalubres, incommodes ou dangereux. « Or, explique Emmanuel Martinais, géographe au laboratoire Recherches Interdisciplinaires Ville, Espace, Société de l'ENTPE, ce texte fondateur fait suite à l'un des premiers accidents industriels recensés en France. » Référence faite à l'explosion de la poudrerie de Grenelle qui, en 1794 à Paris, tua 1 000 ouvriers. « Ce drame, survenu au cœur d'une ville, soulève pour la première fois le problème de la cohabitation entre des activités industrielles et des propriétaires privés, situés en périphérie des installations chimiques, rappelle Emmanuel Martinais. Par ce texte, les bases juridiques permettant de régler les conflits entre les manufactures et les riverains sont posées. »

De quoi compliquer le travail des entreprises. De fait, sous la pression croissante des industriels, la procédure est allégée par la loi du 19 décembre 1917. La réglementation restera telle quelle jusque dans les années 1960. Le 4 janvier 1966 au sud de Lyon, la raffinerie de Feyzin prend feu, faisant 18 morts, 88 blessés, endommageant 1475 habitations et mettant au jour les risques nouveaux associés au développement de la filière pétrolière. Par la loi du 19 juillet 1976, le suivi des conditions de travail des ouvriers est transféré au corps des mines, corporation possédant un certain savoir-faire en la matière, hérité de son expérience dans le secteur minier. Mais c'est aussi dans ce texte qu'apparaît pour la première fois la notion de « site industriel classé ». Une idée qui sera reprise à l'échelle européenne avec la mise en place de la directive européenne, dite « Seveso » (1) du 24 juin 1982. Les sites industriels sont alors classés en fonction de leur degré de dangerosité, chacun répondant à un régime juridique propre : certains sont soumis à de simples déclarations auprès des préfectures (exemple : stations service), d'autres, à autorisation après une étude de dangerosité, enfin les plus sensibles, les sites Seveso, sont soumis à une réglementation drastique (raffineries).

(1) Cette directive se propose de tirer les enseignements de l'explosion de l'usine italienne Seveso, survenue le 10 juillet 1976, d'où son nom.

Toutes les catastrophes industrielles depuis 1810

Depuis 1982, le ministère chargé de l'environnement met en ligne la liste des accidents industriels qui surviennent chaque année sur le site de l'ARIA (Analyse, Recherche et Information sur les Accidents). Cette base de données est consultable par tous à l'adresse suivante : www.aria.developpement-durable.gouv.fr/

Un lien de cause à effet ?

Vue aérienne après l'explosion d'AZF

A première vue donc, il semble exister une relation entre la survenue de catastrophes industrielles et le changement de la réglementation. Pour autant, d'après Emmanuel Martinais, il est difficile de parler d'un lien de cause à effet. "La plupart du temps, ces lois sont déjà dans l'air. Les catastrophes ne font que donner aux politiques l'opportunité de mettre ces modifications réglementaires à l'ordre du jour." De fait, les accidents sont davantage des moteurs de l'évolution règlementaire que des causes à proprement parler. Le cas d'AZF en est une illustration. Car il permet d'aborder les droits des propriétaires riverains.

Ce qu'a changé AZF ?

Le cratère d'explosion d'AZF

C'est l'un des points importants de la réforme envisagée suite à l'accident d'AZF : rendre à la population limitrophe des sites industriels le rôle d'acteur dont on l'avait plus ou moins privé depuis 1917. En 2003, avec l'instauration de la loi Bachelot, ordre est donné de constituer, autour de chaque site Seveso, des comités d'information et de concertation (CLIC) chargés de participer à la mise en place de plans de prévention des risques technologiques (PPRT), textes visant à diminuer les risques à la source en établissant des mesures de prévention, des aménagements urbains ou en permettant la négociation d'indemnités ou d'éventuelles expropriations des riverains. Le gouvernement donne alors jusqu'à juillet 2008 pour appliquer cette réforme. Mais sur les 421 PPRT prévus, seuls 5 ont vu le jour. Un retard qui s'expliquerait par la complexité des démarches et des discussions à mener.

" En 2003, aucune indication d'ordre pratique n'a été proposée aux différents acteurs, commente Emmanuel Martinais. De quoi compliquer la progression des différents dossiers. " Le gouvernement a demandé d'accélérer la procédure pour adopter 300 PPRT d'ici fin 2010. Reste que ce plan, à peine mis en œuvre, a déjà du retard par rapport à la réalité industrielle, notamment concernant les risques associés aux nanotechnologies. Les usines produisant ce type de particules ne sont en effet soumises à aucune législation nationale.

Explosion de nanoparticules

Les nanoparticules manufacturées peuvent être stockées sous forme de poudre. À ce titre, elles peuvent exploser à l'instar de la plupart des produits pulvérulents combustibles. « Des incidents explosifs de ce type – liés au stockage des poudres en tout genre – il s'en produit un par jour sur les sites industriels », apprend-t-on dans le rapport de l'Afsset. « Mais aucun incident de ce type ne s'est néanmoins encore produit avec des nanoparticules », insiste Eric Gaffet, président du groupe de travail qui a réalisé le rapport de l'Afsset concernant les risques associés aux nanoparticules. Pour autant, si de telles « explosions de poussières » ont lieu avec des stocks de nanoparticules, elles pourraient être lourdes de conséquences. D'abord à cause de déflagrations, ensuite à cause de la dissémination des nanoparticules dans l'atmosphère. D'après des études récentes (INERIS, Bouillard et al. 2007), cette explosion devrait être d'autant plus puissante que la nanoparticule est petite.

Viviane Thivent le 03/07/2009