Nappes d'eau souterraines : les réserves sont-elles à sec ?

Pelouses desséchées, restrictions d'eau, chaque été la rumeur enfle : les nappes d'eau souterraines seraient à sec et la France, réchauffement climatique oblige, promise à un avenir difficile. Une ritournelle dont les couplets mêlent idées fausses et authentiques sujets d'inquiétudes. Après un été 2009 plutôt sec, mise au point avec Thierry Pointet du BRGM.

Par Paloma Bertrand, le 12/09/2009

La France a de la chance

En matière d'eau, la France est un pays riche qui reçoit largement plus qu'elle ne dépense. Il pleut chaque année en moyenne 440 milliards de m³ d'eau dont un quart s'infiltre dans les nappes souterraines. Pour couvrir ses besoins (eau potable, industrie, irrigation, électricité...), la France prélève environ 7 milliards de m³ par an dans ces nappes ; le stock potentiellement exploitable est estimé à 2 000 milliards de m³.

À un climat tempéré idéal s'ajoutent des formations géologiques favorables à la constitution d'importantes réserves d'eau. Les deux tiers du territoire sont constitués de grands bassins sédimentaires dont les roches poreuses emmagasinent l'eau telles des éponges. C'est le cas du grand bassin de la Seine, du bassin Aquitaine, du bassin Rhodanien, de la plaine d'Alsace et du Jura. Ailleurs, les conditions sont moins favorables et les aléas climatiques deviennent alors plus sensibles.

Nappes phréatiques et nappes souterraines

Les nappes d'eaux souterraines ne sont pas des étendues liquides mais des roches dont les interstices emmagasinent l'eau. Dans les nappes, l'eau est mobile : une partie de l'eau s'écoule vers les sources, alimente les cours d'eau et le littoral, tandis que les eaux de pluie s'infiltrent et renouvellent le stock. Ce cheminement peut être rapide ou lent selon la nature des roches. En moyenne, 5% de l'eau des nappes se renouvelle chaque année.

La nappe phréatique est la première nappe rencontrée sous le niveau du sol. Elle est assez sensible aux variations saisonnières et facile à exploiter. D'autres nappes souterraines peuvent être présentes sous cette première nappe. Sous Paris par exemple, 13 niveaux contiennent de l'eau dont 7 sont exploitables.

La plus grande nappe française est celle de la Beauce dont la surface couvre près de 9 000 km². Mais les plus grosses réserves d'eau sont stockées dans la nappe de la Plaine du Rhin avec 35 milliards de m³ rien que sur la partie alsacienne.

Été 2009 : 51 départements en danger ?

2009

Comment expliquer alors que début septembre 2009, 51 départements français ont fait l'objet d'arrêtés préfectoraux de restriction d'eau ? « Le niveau des nappes est effectivement un tout petit peu plus bas que la normale, mais reste dans une variabilité propre aux climats tempérés, répond Thierry Pointet, hydrogéologue, directeur adjoint du service eau du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ces arrêtés préfectoraux sont plus le signe d'une bonne gouvernance que d'un état de crise. Ils témoignent d'une vigilance et d'une gestion fine de situations locales. »

Des nappes sous surveillance

Piézomètre

Car les nappes d'eau souterraines sont aujourd'hui sous haute surveillance. Les piézomètres (appareils de mesures de niveau des nappes) parsèment le territoire et les données qu'ils rapportent permettent aux régions et à l'État de conduire une politique de gestion des nappes souterraines. Depuis trois-quatre ans par exemple, quand certaines nappes donnent des signes de faiblesse, l'État recommande aux agriculteurs avant le mois de mars d'opter pour des cultures moins gourmandes en eau. Dans certaines régions, ces permutations ont concerné jusqu'à 20 % des surfaces cultivées.

« Cependant historiquement, poursuit Thierry Pointet, des erreurs ont été commises. La région Poitou-Charentes par exemple, s'est orientée il y a quelques années vers une agriculture irriguée. On a laissé faire, voire même on a subventionné les achats d'équipements d'irrigation. Si bien que la région dispose aujourd'hui de moyens techniques permettant de pomper jusqu'à trois fois la ressource de pluie annuelle. »

La recharge artificielle des nappes

La recharge artificielle est une technique utilisée pour regonfler le niveau de certaines nappes, voire parfois pour diluer la concentration de certains polluants. En hiver, lorsque les précipitations sont importantes, l'eau est prélevée dans les rivières pour être ensuite réinjectée dans une nappe.

Des nappes claires comme de l’eau de roche ?

« Plus que la quantité, c'est la qualité de l'eau des nappes qui est préoccupante. La qualité de l'eau dans les nappes est catastrophique !, s'inquiète Thierry Pointet. On a rendu impropre à la consommation l'eau de la moitié des nappes du territoire. Ce sont surtout les nappes proches de la surface qui sont touchées, les nappes plus profondes étant encore épargnées. » À court et moyen termes, les dommages sont irréparables. En effet, on ne sait pas dépolluer des nappes. La seule solution est d'attendre que la nature fasse son travail, qu'une eau de bonne qualité chasse et remplace peu à peu l'eau polluée. Un processus qui, pour les grandes nappes, peut nécessiter une vingtaine d'années. Des nappes claires dans vingt ans ? « Oui, estimeThierry Pointet, mais seulement si la qualité des eaux s'infiltrant dans les nappes gagne rapidement en qualité. »

À situation catastrophique, obligations européennes draconiennes

L'Union européenne s'est emparée du problème. Elle a publié en 2000 une directive imposant à tous les États membres de l'Union de présenter fin 2009, un plan détaillé de mesures avec obligations de résultats à l'horizon 2015, 2021 et 2027. Sur le papier, l'objectif est simple : toutes les nappes devront au plus tard en 2027 avoir retrouvé le seuil de potabilité, soit, pour ne mentionner que les nitrates, une concentration inférieure à 50 mg/litre.

Une priorité : l'assainissement des eaux usées

Projections 2015, 2021 et 2027 de l'état du bassin Seine-Normandie

Le territoire français a été découpé en huit grands districts hydrographiques, dont le bassin Seine-Normandie qui s'est engagé à investir 9,8 milliards d'euros sur six ans. Cet effort financier portera principalement sur l'amélioration de l'assainissement des eaux usées et résiduaires, un domaine dans lequel la France a déjà été menacée de sanctions par la Commission européenne. Car, si le nombre de stations d'épuration s'est multiplié, leur fonctionnement, dixit Thierry Pointet, laisse parfois à désirer et l'équipement en stations de traitement est encore insuffisant : dans de nombreuses villes, les eaux de pluie ruissellent directement des trottoirs aux cours d'eau.

Dans ce budget, les pollutions d'origine agricole, pourtant première source de pollution des nappes, n'arrivent qu'en seconde position. Et Thierry Pointet d'expliquer : « Dépolluer les sols serait une entreprise bien trop vaste et bien trop coûteuse. Mais des règles simples pourraient néanmoins améliorer la situation : il faudrait pratiquer une irrigation mesurée pour ne pas lessiver les sols à outrance et limiter l'apport d'engrais à ce dont la plante a besoin car ce sont les excédents qui, balayés par les pluies de l'automne, s'infiltrent dans les nappes. » Rendez-vous est pris pour décembre 2009, date à laquelle la France et tous les pays européens doivent avoir rendu leur copie.

Paloma Bertrand le 12/09/2009