La fermeture de plusieurs réacteurs nucléaires vieillissants risque d'entraîner une pénurie de technétium-99, un élément radioactif utilisé dans de nombreux examens médicaux.
Un arrêt problématique
Le 1er mars 2010, le réacteur nucléaire expérimental HFR situé à Petten aux Pays-Bas sera arrêté pendant au moins six mois. Il pourrait ne jamais redémarrer.
Or, le HFR n'est pas uniquement un réacteur expérimental : il est aujourd'hui à l'origine de 31 % de la production mondiale de technétium-99, le principal radioélément utilisé en médecine. Et avec sa fermeture, il faudra faire face à une pénurie sans précédent de cet atome radioactif qui sert lors d'examens du cerveau, du cœur, des os ou des poumons, aussi bien pour détecter des métastases cancéreuses que pour observer le fonctionnement de ces organes.
Comme tous les éléments radioactifs, sa quantité décroît au cours du temps, et il ne peut pas être stocké. Il doit donc être produit en continu, chaque semaine, pour que les examens médicaux puissent avoir lieu.
Les utilisations du technétium en médecine nucléaire
Le technétium-99 dit métastable a une durée de vie de 6 heures : après ce temps, la moitié des noyaux s'est désintégrée. Une telle durée est idéale pour un examen médical car l'élément radioactif ne reste pas trop longtemps dans le corps, mais tout de même assez pour qu'il puisse migrer vers les organes à observer. De plus, l'énergie du photon gamma émis lors de la désintégration du technétium est suffisante pour traverser les tissus, et facilement détectable. Ces photons détruisent très peu les cellules. En France, chaque semaine, environ 20 000 patients subissent un diagnostic grâce au technétium-99.
Des réacteurs trop vieux
L'arrêt du HFR pose d'autant plus problème que l'autre principal producteur de technétium-99 (40 % de la production mondiale), le réacteur canadien NRU à Chalk River, ne fonctionne plus actuellement. Mis en service en 1957, ce qui en fait l'un des plus vieux réacteurs au monde, il est arrêté depuis le 14 mai 2009 suite à une fuite d'eau radioactive. Sur décision du Parlement canadien, et malgré l'avis défavorable de l'Autorité de sûreté canadienne, il devrait redémarrer en mars 2010 pour répondre aux besoins médicaux.
«À part les Canadiens, personne ne pense que le NRU pourra redémarrer», assure Alain Alberman, responsable commercial du réacteur français Osiris.
Les autres réacteurs ont tous plus de quarante ans : Safari, à Pelindaba en Afrique du Sud (10 % de la production mondiale) date de 1965, et BR2 à Mol en Belgique (9 % de la production mondiale) a démarré en 1961. Enfin, Osiris, mis en service en 1961 à Saclay en France, assure 5 % de la production mondiale.
Du molybdène-99 au technétium-99
Le technétium-99 dit métastable n'est pas produit directement dans les réacteurs. Il est fabriqué à l'hôpital par la désintégration d'un autre élément radioactif, le molybdène-99. C'est celui-ci, d'une durée de vie de 66 heures, qui est produit dans les réacteurs nucléaires. De l'uranium très enrichi (celui qui sert à faire les bombes nucléaires) est bombardé par des neutrons pendant une semaine, et se casse pour former le molybdène-99 et d'autres radioéléments. Le molybdène-99 est alors récupéré chimiquement, purifié, et fixé sur des résines échangeuses d'ions. Lorsqu'il se désintègre en technétium-99, ce dernier n'est pas fixé à la résine, et peut facilement être récupéré. La production mondiale de technétium-99 atteint une trentaine de kilogrammes par an.
Les médecins nucléaires inquiets
L'arrêt conjoint des réacteurs néerlandais et canadiens serait une catastrophe pour la médecine nucléaire, puisqu'ils représentent à eux seuls 70 % de la production mondiale de technétium-99.
«Nous craignons de graves pénuries de technétium-99 », avertit Olivier Mundler, président de la Société française de médecine nucléaire. L'Association européenne des producteurs d'isotopes médicaux (AIPES) tente bien de coordonner les arrêts des réacteurs, mais ne peut rien faire contre la vétusté de ces derniers. De plus, «maintenir un bon niveau de sûreté coûte cher, rappelle Michel Bourguignon, commissaire à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Or, cela se justifie économiquement pour les réacteurs qui produisent de l'électricité, mais pas pour ceux qui produisent du technétium, car le prix de ce dernier est trop bas.»
Côté français, le réacteur Osiris est prévu essentiellement pour mener des recherches sur les matériaux, et non pour la production médicale. Il a redémarré le 15 octobre 2009 après une «cure de jouvence», mais devra de nouveau être arrêté entre juin et novembre 2010 pour maintenance. Et l'Autorité de sûreté nucléaire française a déjà prévenu que «la pénurie de radioéléments à usage médical ne doit pas conduire à faire l'impasse sur la sûreté des réacteurs qui les produisent». Elle exige une fermeture définitive d'Osiris en 2015. A cette date, le réacteur Jules Horowitz, actuellement en construction à Cadarache, devrait prendre la relève. Mais lui aussi sera avant tout dévolu à la recherche sur les matériaux. Et sera-t-il prêt à temps ?
Quelles solutions ?
Puisqu'il y a pénurie, pourquoi personne n'investit dans un réacteur nucléaire pour fabriquer ce radioélément ? Construire une telle installation est coûteux, compliqué et risqué. Et même si le technétium-99 est indispensable pour de nombreux examens médicaux, il ne représente qu'une toute petite part de l'activité de diagnostic médical mondial.
«Puisque les industriels ne sont pas prêts à investir dans des réacteurs nucléaires, il faut que les États le fassent», estime Olivier Mundler. Problème : un projet de deux réacteurs canadiens de 10 mégawatts spécialement conçus pour la fabrication de radioéléments médicaux a échoué. Ils devenaient instables, donc dangereux, dès que la puissance augmentait. Ils ont été arrêtés en mai 2008, douze ans après leur lancement, et le coût est estimé à 700 millions de dollars canadiens (440 millions d'euros). Des producteurs russes proposent bien leur technétium, mais personne n'a confiance ni dans la qualité ni dans la régularité des livraisons. D'autres suggèrent de fabriquer le technétium à l'aide d'accélérateurs, mais il n'est pas certain que ce soit faisable à l'échelle industrielle.
Pourtant, «on ne pourra pas se passer de technétium dans les trente ans à venir», rappelle Olivier Mundler. Aucune technique d'imagerie ne peut remplacer ce radioélément. Certes, les scanners, l'imagerie par résonance magnétique ou l'utilisation d'autres isotopes comme le fluor-18 ou l'iode 123 rendent de grands services. Mais aucune ne remplace le technétium-99.