Ressources énergétiques : des centrales à charbon souterraines

Alaska, Grande-Bretagne, Australie : la gazéification souterraine du charbon est de nouveau à l'ordre du jour. Elle permet d'exploiter des réserves difficilement accessibles en transformant le charbon en gaz, sous la terre, au cœur du gisement.

Par Émilie Cauvard, le 26/02/2010

Gazéification in situ, le retour

Comment exploiter le charbon sans l'extraire de la terre, sans mines, sans galeries ? La réponse est simple : en le transformant en gaz in situ, au cœur du gisement, et en récupérant ensuite le gaz pour le transformer en carburants ou pour alimenter des centrales électriques. Ce procédé, appelé la « gazéification souterraine du charbon », n'est pas sorti tout droit du chapeau de quelque savant fou. Il a été étudié et utilisé tout au long du XXe siècle en Europe et en Russie. Aujourd'hui, à l'heure où la recherche de nouvelles ressources énergétiques est de plus en plus pressante, il revient dans l'actualité avec l'annonce, coup sur coup, de deux projets de grande envergure aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Carte de l'estuaire de Cook (Alaska)

En octobre 2009, CIRI, une société détenue par les tribus indiennes de l'estuaire de Cook (région d'Anchorage, Alaska), annonce en effet le lancement d'un projet de gazéification souterraine, couplé à une centrale électrique de 100 mégawatts (MW). Un projet qui permettrait, selon ses concepteurs, de valoriser de vastes réserves locales de charbon, enfouies à près de 650 mètres sous terre et ce, dès 2014.

Début décembre, la Grande-Bretagne, qui ne produit quasiment plus de charbon depuis l'ère Thatcher, annonce à son tour un vaste plan pour développer la gazéification souterraine du charbon, avec une petite complication supplémentaire. Il s'agit d'aller exploiter les gisements qui dorment sous le plancher de la mer du Nord, sur cinq sites offshore. Pour le gouvernement britannique, qui a accordé à la société Clean Coal les licences nécessaires au lancement des premières phases du projet, il s'agirait de répondre à 5% de la consommation nationale d'électricité. Les premières unités pourraient démarrer dès 2014-2015. Avec un coût de 175 millions d'euros par site. Ces deux initiatives s'inscrivent dans une phase de renouveau de la gazéification souterraine, pour laquelle des projets s'installent partout où se trouvent des réserves de charbon difficilement accessibles mais abondantes.

Une technologie plébiscitée par Lénine

C'est dans la Pravda, en 1913, que Lénine, qui n'était pas encore au pouvoir, publia un plaidoyer en faveur de la gazéification souterraine du charbon. Des objectifs repris vingt ans plus tard par les dirigeants de l'URSS, qui mettent alors en place, entre 1933 et 1940, un programme expérimental. Le programme débouche dans les années 60 sur la mise en œuvre d'une installation en Ouzbékistan, qui fonctionnera pendant plus de vingt ans.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'exemple russe fait tache d'huile ; les États-Unis, l'Europe et le Japon expérimentent la gazéification. Mais elle ne pourra pas, alors, concurrencer le pétrole et le gaz, deux ressources abondantes et peu chères pendant les Trente Glorieuses. Depuis les chocs pétroliers, les expérimentations ont pourtant repris mais, à l'exception de l'Australie, elles n'avaient pas encore donné lieu à de véritables projets de grande ampleur.

Exploiter les gisements difficiles d'accès

Processus de base de la gazéification souterraine du charbon

Le principal intérêt de la gazéification souterraine est de permettre l'accès à des veines de charbon qui seraient autrement inexploitables : trop profondément enfouies ou situées en mer. Le procédé « zappe » en effet toute la phase d'exploitation minière et les dangers qui en résultent, aussi bien pour les mineurs que pour l'environnement. Au lieu de cela, il utilise les techniques de forage de l'exploitation pétrolière. Une fois le gisement caractérisé – forme et nature du charbon bien identifiées –, deux forages sont effectués. L'un des puits sert à injecter l'air et la vapeur à haute température et sous pression au cœur du gisement, et l'autre est utilisé pour récupérer le gaz produit par une série de réactions entre le charbon, l'oxygène de l'air et les molécules d'eau de la vapeur d'eau.

Le produit de ces réactions est en fait un mélange de gaz : de l'hydrogène (H2), du monoxyde de carbone (CO), du méthane (CH4) et du dioxyde de carbone (CO2). En fait, l'injection du mélange d'air et de vapeur à haute température doit être contrôlée précisément pour ne pas provoquer la combustion du charbon, mais le transformer en produit valorisable. Le gisement, lui, agit comme un véritable réacteur chimique : comme c'est un espace confiné, solide, il « contient » la réaction d'oxydation et permet d'augmenter la pression et la température. Depuis quelques années, l'exploitation de ces gisements profite des progrès effectués par l'industrie pétrolière. On maîtrise désormais les forages déviés qui permettent de modifier le lieu d'injection à l'intérieur du gisement pour oxyder au mieux l'ensemble de la veine.

Du charbon au gaz, un procédé propre et économe ?

Les arguments en faveur de la gazéification souterraine ne manquent pas. Maintenant que les technologies sont accessibles, les essais montrent qu'il est possible d'avoir une gazéification très efficace et de récupérer le maximum de gaz. L'installation, comparée à une mine, prend une place réduite à la surface. La sécurité est accrue, et le coût des projets reste relativement modeste comparé à celui des mines et des centrales à charbon classiques. Quant aux gaz, leur utilisation est variée : ils peuvent être valorisés directement dans une centrale fonctionnant au gaz naturel ou méthane (CH4) ou à l'hydrogène (H2), ou bien être à leur tour transformés en carburants liquides, par le biais d'une nouvelle réaction chimique. De fait, un autre facteur parle aujourd'hui en faveur de la gazéification du charbon. À l'origine, l'hydrogène produit par ce procédé n'était considéré que comme un sous-produit inutile de la réaction. Mais la donne a changé, et la demande augmente. L'hydrogène peut désormais alimenter des piles à combustible ou être envoyé sur des turbines spécifiques pour la production d'électricité.

De gigantesques réserves en mer du Nord

L'Autorité britannique du charbon recense près de 200 millions de tonnes de charbon exploitables, via des mines, en Grande-Bretagne. Une étude commanditée en 2004 par le ministère britannique du Commerce et de l'Industrie évalue, quant à elle, les réserves accessibles par la gazéification in situ à 17 milliards de tonnes à terre, et plus de 50 milliards sous les eaux du Royaume-Uni.

Des tests de gazéification souterraine du charbon ont été faits sur différents sites dans le monde.

Les défenseurs du « charbon propre » avancent, quant à eux, l'intérêt du procédé par rapport à une centrale à charbon classique. Comme la gazéification a lieu sous terre, dans le gisement, toutes les impuretés restent également enfouies sous terre. De fait, le CO2 libéré lors de la combustion du charbon et produit ici en amont de la centrale électrique est débarrassé de toutes les impuretés ; il est donc récupéré plus facilement que lors d'une combustion classique du charbon dans une centrale (il serait alors dans les fumées). Il peut ensuite être réinjecté dans le gisement de charbon, transformé peu à peu en cavité. Bref, la capture et la séquestration du carbone sont facilitées. Du point de vue d'une exploitation maximale des réserves charbonnières, l'équation est parfaite. Du point de vue des émissions de carbone, elle ne fait pas le poids face aux énergies renouvelables. La Grande-Bretagne envisage pourtant, si les cinq projets développés par Clean Coal portent leurs fruits, de recourir largement à cette technologie. « D'énormes réserves dorment sous la mer du Nord et, d'ici vingt ans, prognostique Catherine Bond, la directrice de Clean Coal, la gazéification souterraine pourrait alimenter une bonne partie des besoins britanniques. »

Émilie Cauvard le 26/02/2010