La matière noire... enfin découverte ?

La matière noire, cette substance inconnue mais prédite par les modèles, aurait-elle été enfin découverte ? Bizarrement, il est en l'état impossible de répondre à cette question... et ce, même avec les résultats des chercheurs américains sous les yeux.

Par Viviane Thivent, le 25/01/2010

L'annonce ne suffit pas

Stanford, 17 décembre 2009 - Au terme d'une longue démonstration, retransmise en direct sur Internet, Jodi Cooley, porte-parole de l'expérience scientifique américaine CDMS II, conclut : « Ainsi, notre détecteur a vu deux événements pouvant correspondre à des WIMPs. » Dit comme ça, évidemment, la nouvelle a assez peu de chances de transporter le quidam.

Jodi Cooley lors de la conférence présentant les résultats de CDMS II

Et pourtant, l'instant pourrait être historique... Rester dans les mémoires comme le jour où l'on a annoncé la découverte d'une matière invisible, inconnue, et qualifiée pour ces raisons de « noire ». Il pourrait l'être... ou pas.

Car ce n'est pas la première fois que des scientifiques déclarent haut et fort avoir mis la main sur cette substance immatérielle. Ces dix dernières années, les chercheurs de l'expérience italienne DAMA l'ont même annoncé trois fois ! Mais à trois reprises, faute de preuves, ou tout au moins d'une transparence suffisante quant à la façon dont ils ont obtenu leurs résultats, leurs dires ont été ignorés par leurs confrères. De quoi l'avoir mauvaise... et se fendre sur leur site Internet d'une citation littéraire qui, pour le coup, se passe de commentaires : « Si tu peux supporter d'entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots... tu seras un homme, mon fils. » (traduction complète) C'est tout le problème quand on cherche à prouver l'existence d'une classe de particules inconnues : la détecter est une chose, prouver qu'on y est effectivement parvenu en est une autre.

L'origine d'un concept

À l'origine du concept de « matière noire », résident d'abord des observations qui tendent à montrer que nos modèles sont incomplets, voire inexacts. Dès les années 1930, des astronomes ont relevé des incohérences : la vitesse de déplacement de certaines galaxies (au moins celles de l'amas du Coma et de la Vierge) était plus grande que celle escomptée ; plus récemment, des anomalies dans la vitesse de déplacement des sondes spatiales ont été signalées.

Un constat qui ne peut avoir que deux explications : soit certaines des constantes de la théorie en vigueur sont fausses ; soit les galaxies observées sont plus massives que prévues : elles seraient composées en grande partie d'une substance invisible et inconnue. Une matière noire qui, d'après les calculs, serait cinq fois plus abondante que la matière visible, celle-là même qui a été utilisée pour établir les modèles physiques en vigueur.

Détecter l'inconnu

Il faut dire qu'en la matière, la tâche est ardue. Car, même lorsque les chercheurs s'accordent sur l'idée qu'une substance invisible emplirait l'Univers, ils se chamaillent sur la nature potentielle de cette dernière : s'agit-il d'une matière classique (protons, neutrons ou autres particules répertoriées) mais invisible ? Ou d'une matière inconnue ? Et si tel est le cas, de quel type de particules pourrait-il s'agir ? Plusieurs hypothèses, concurrentes ou non, coexistent. Et parmi elles, se trouve celle des WIMPs (Weakly Interacting Massive Particles), des particules nées de l'imagination des physiciens théoriciens qui, comme leur nom l'indique, seraient massives mais n'interagiraient quasiment pas avec la matière. Une caractéristique qui forcément complique le travail des chercheurs puisque justement ces derniers ne disposent que de matière pour détecter ces objets inconnus. Des lors, comment faire ?

Trois approches, un même but

Trois approches ont été imaginées pour mettre en évidence l'existence d'une matière noire.

  • La première, c'est d'observer la voûte céleste dans l'espoir d'y trouver des traces indirectes de matière noire ;
  • la deuxième, plus hardie, c'est de chercher à en fabriquer dans un accélérateur de particules comme celui du CERN ;
  • la dernière, non moins gaillarde, c'est de détecter, à l'aide de détecteurs appropriés, les particules de matière noire. C'est l'approche de DAMA, d'Edelweiss et du CDMS.

Stratagèmes souterrains

« D'abord, il faut se mettre dans des conditions très particulières, des conditions qui permettront de diminuer assez le bruit de fond pour détecter des événements aussi rares que celui d'une interaction entre la matière et un WIMP, » explique Fabrice Piquemal, directeur du laboratoire souterrain de Modane qui héberge l'expérience française (Edelweiss) concurrente de l'américaine CDMS.

Visite interactive du laboratoire souterrain de Modane

Pour ce faire, la première condition est de s'enterrer le plus profondément possible. Le détecteur CDMS est ainsi installé à plusieurs centaines de mètres de profondeur, au cœur d'une ancienne mine du Minnesota tandis qu'Edelweiss se trouve 1 700 mètres sous la roche, dans une excavation du tunnel du Fréjus. « Cela permet de s'affranchir de l'influence des rayons cosmiques », explique Fabrice Piquemal.

Un détecteur à WIMPs

En effet, en permanence, la Terre est bombardée par des rayons très énergétiques – les rayons cosmiques – qui interagissent avec la matière en créant une pluie de particules. Chaque jour, 10 millions de particules par mètre carré s'abattent sur la surface de la Terre, contre 4 particules, à 1 700 mètres de profondeur. S'installer en profondeur permet donc de détecter des événements imperceptibles en surface car noyés dans un bruit de fond impossible à éliminer.

Ensuite, il s'agit de concevoir un détecteur adapté : une plaque de germanium (élément qui, d'après les théoriciens, serait le plus enclin à réagir avec des WIMPs) équipé d'un thermomètre capable de détecter d'infimes variations de température. Et pour cause : l'interaction entre un atome de germanium et un WIMP est censée engendrer une légère élévation de température, une élévation qui peut être détectée si l'on place le détecteur à très faible température (à quelques pouillèmes du zéro absolu). Une telle installation serait alors capable de détecter un phénomène aussi peu énergétique que celui recherché ici.

Pourquoi se placer à si basse température pour détecter des WIMPs ?

... pour immobiliser le cristal de germanium et annihiler tout bruit parasite.

Une découverte... statistique

La totalité des mesures effectuées par CDMS II

Du moins en théorie. Car en pratique, rien de concret n'a été détecté depuis l'apparition de ces détecteurs dans les années 1980. La faute à une trop faible sensibilité des détecteurs, clament les chercheurs. Une sensibilité directement liée à la quantité de cristal de germanium placée dans le détecteur. Plus celle-ci est grande, plus la probabilité de détecter des WIMPs s'accroît. Voilà pourquoi, d'expérience en expérience, la quantité de germanium placée au cœur des détecteurs augmente.

Les résultats de CDMS II après analyse statistique.

Avec ses 19 détecteurs composés de 250 grammes de germanium, CDMS II était l'expérience en activité la plus sensible du monde. Maintenant qu'elle se termine, qu'a-t-elle vu depuis le début officiel des mesures en 2007 ? Pas grand chose ou plutôt trop de choses. Un trop-plein d'événements que les analystes ont décortiqué, analysé, pour découvrir que d'un point de vue statistique, deux événements, deux points (présentés sur les deux graphiques ci-contre), sont susceptibles de correspondre à des WIMPs.

Une démonstration statistiquement correcte mais insuffisante pour apporter la preuve de l'existence des WIMPs. Néanmoins, rendez-vous est pris avec l'histoire, car si les prochains détecteurs, comme Edelweiss II qui, après une période de rodage, commence tout juste ses mesures, confirment, a posteriori, les mesures de CDMS II, l'équipe américaine sera sans doute considérée comme la première à avoir détecté des WIMPs.

Viviane Thivent le 25/01/2010