Que faire de nos déchets électroniques ?

Chaque année, le monde produit 40 millions de tonnes de réfrigérateurs, télévisions, ordinateurs, téléphones et autres appareils qui se transformeront un jour en déchets électriques et électroniques (DEEE). À côté des filières de recyclage « officielles », un grand nombre de ces déchets partent en Asie, en Inde et en Afrique, où ils mettent en péril l'environnement et la santé des habitants.

Par Laure Cailloce, le 22/03/2010

Toujours plus de DEEE

Giuyu en Chine

Publié le 22 février, le rapport du programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) chiffre à 40 millions le nombre d'appareils électriques et électroniques mis sur le marché chaque année, dont 13 millions pour la seule Europe. En fonction de leur durée de vie – 2 ans pour un téléphone portable, entre 5 et 7 ans pour un ordinateur, jusqu'à 14 ans pour un réfrigérateur –, tous ces appareils ont vocation à devenir des déchets électriques et électroniques (DEEE).

Or ces déchets ne sont pas des déchets comme les autres. Tout d'abord, ils ont une valeur : en plus des métaux « classiques » comme le nickel, l'aluminium ou le cuivre, les DEEE renferment des métaux précieux comme le platine, l'or ou l'argent (utilisés notamment dans les circuits électroniques), qu'il est intéressant de récupérer. Parmi les dizaines de matériaux qui les constituent – jusqu'à 40 pour un téléphone portable –, ces appareils renferment également des composants hautement toxiques qui demandent une manipulation précautionneuse : métaux lourds comme le cadmium, le mercure, le chrome hexavalent ou le plomb contenu dans le verre des écrans cathodiques ; retardateurs de flamme bromés utilisés dans les plastiques pour les empêcher de prendre feu. Problème : une part importante de ces déchets est démantelée dans les pays en développement, où ils menacent directement l'environnement et la santé des habitants.

Qu’est-ce qu’un DEEE ?

Un déchet d'équipement électrique et électronique (DEEE) désigne tout appareil usagé possédant un circuit électrique (c'est-à-dire branché sur le secteur ou possédant un accumulateur). Dix familles de produits ont été identifiées : petits appareils électroménagers, gros appareils électroménagers, équipements informatiques et de télécoms, matériel grand public, matériel d'éclairage, outils électriques et électroniques, jouets et équipements de loisir et de sport, dispositifs médicaux, instruments de surveillance et de contrôle, distributeurs automatiques.

Un danger pour les pays émergents

Carte des flux de déchets électroniques à travers le monde.

Principaux pays visés par le flux de déchets électroniques : la Chine, l'Inde, le Pakistan, mais également des pays africains comme le Ghana et le Nigeria. « Toutes les villes portuaires des pays émergents sont concernées à plus ou moins grande échelle », témoigne Jim Puckett, directeur de BAN (Basel Action Network), une ONG américaine spécialiste des déchets dangereux qui milite pour l'interdiction totale des exportations de DEEE.

Or ces pays ne disposent pas des installations adéquates pour traiter les déchets électroniques. En Inde, 95% des appareils usagés sont recyclés dans le secteur informel (hors des rares unités de traitement prévues à cet effet), qui occupe près de 25 000 personnes. « En Chine, la récupération des métaux précieux se fait à l'air libre, sans aucune mesure de sécurité », affirme Jim Puckett. En brûlant, le mercure contenu dans les lampes ou le plomb des cartes-mères se libère et va polluer les nappes phréatiques souterraines. Des composés volatils secondaires se forment, comme les dioxines ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques (« noir de carbone »), en dégageant une fumée hautement cancérigène.

Coût pour les uns, opportunité pour les autres

En Europe, retraiter une tonne de réfrigérateurs usagés coûte 450 euros : il s'agit notamment de capturer les gaz frigorigènes (gaz à effet de serre) sous atmosphère conditionnée. Sans ces opérations de dépollution, une tonne de réfrigérateurs usagés peut rapporter jusqu'à 150 euros, du fait de la récupération des matériaux ayant une valeur marchande – a fortiori si le démantèlement s'effectue dans des pays où les salaires sont très bas…

Une législation à améliorer

172 pays ont signé la Convention de Bâle, en 1992, qui réglemente strictement l'exportation des déchets dangereux des pays riches vers les pays pauvres. Dans la foulée, l'Union européenne s'est dotée en 2005 de deux directives relatives aux DEEE – une législation sans équivalent dans le monde à ce jour. La première organise les filières de collecte et de recyclage de ces déchets dans chaque pays européen. La seconde limite l'utilisation de six matières dangereuses (plomb, mercure, cadmium, chrome hexavalent, des inhibiteurs de flammes comme les diphenyls polybromés -PBB- et les éthers diphenyls polybromés -PBDEs-) dans les équipements vendus sur le marché européen. « Par ailleurs, l'Europe demande que tous les déchets électroniques envoyés dans un pays tiers fassent l'objet d'une autorisation du pays expéditeur et du pays de destination », précise Patrice Thierry, en charge du contrôle des déchets pour l'Office de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp).

Problème : si ces dispositions ont permis la mise en place d'une véritable filière de recyclage (voir interview ci-dessous), elles n'ont pas permis d'enrayer le trafic de déchets. « Pour échapper aux contrôles, les négociants peu scrupuleux indiquent sur les conteneurs qu'il s'agit d'appareils destinés à être réutilisés », explique Stéphane Arditi, du Bureau européen pour l'environnement (BEE), un lobby d'associations environnementales basé à Bruxelles. Une révision des deux directives est d'ailleurs en cours ; elle devrait être votée en 2011. Parmi les pistes à l'étude : l'obligation de tester et d'emballer sous film plastique tous les appareils destinés au réemploi, afin de limiter les abus, et l'allongement de la liste des substances prohibées dans les appareils.

Trois questions à Christian Brabant

Christian Brabant, directeur d'Eco-systèmes

Quelle est la quantité de déchets produits en France ? En moyenne, on estime que 16 kilos de DEEE sont produits chaque année par habitant. En 2009, les quatre organismes chargés de collecter ces déchets (mis en place dans la foulée de la directive européenne, ndlr) ont récupéré environ 6 kilos de DEEE par habitant. Il s'agit pour la plupart des déchets mis en déchetterie ou ramenés en magasins.

Qu'advient-il de ces déchets ? Ils sont triés selon quatre catégories (froid, écrans, gros appareils électroménagers, petits appareils électroménagers), puis envoyés dans des unités de retraitement spécialisées où ils sont dépollués, démantelés, broyés…

Qu'advient-il des 10 kilos par an et par habitant qui ne sont pas collectés ? Une partie des équipements usagés sont stockés dans les foyers. Ce qui est mis sur le trottoir est souvent pillé, et revendu à des ferrailleurs qui alimentent la filière d'exportation illégale. Ce qu'on espère, c'est que plus il y aura d'appareils dans la filière de collecte, moins le trafic pourra prospérer.

Vers des déchets moins polluants ?

Freiner l'exportation de déchets en renforçant les contrôles et les contraintes qui pèsent sur les expéditeurs, est une nécessité. Mais ce ne peut être la seule solution. « Les pays émergents eux-mêmes vont être confrontés à une explosion de leur consommation intérieure dans les prochaines années et vont devoir se poser sérieusement la question de leurs propres déchets », souligne Stéphane Arditi. Ainsi, la quantité de déchets électroniques liés aux seuls ordinateurs devrait bondir de 500% en Inde d'ici à 2020, selon le PNUE, et les déchets liés aux téléphones portables être multipliés par 7 en Chine.

Afin d'éviter une crise sanitaire, l'agence onusienne insiste sur la nécessité d'organiser de vraies filières de retraitement dans ces pays. Les associations environnementales préconisent avant tout d'agir à la source, en fabriquant des appareils moins polluants, mais aussi en augmentant leur durée de vie (voir interview ci-dessous). Pour faire pression sur les producteurs de matériel high-tech, Greenpeace publie ainsi depuis dix ans le classement des produits électroniques les plus « verts ». Autre piste intéressante : en France, dès juillet 2010, l'éco-contribution - payée par les fabricants pour financer la filière de collecte - dépendra de la recyclabilité et de la toxicité des produits utilisés. Les écrans plats qui auront remplacé les lampes au mercure par des lampes led dans leur système de rétro-éclairage seront par exemple favorisés. La balle est maintenant dans le camp des fabricants.

Deux questions à Nathalie Villermet

Nathalie Villermet, chargée de mission à France Nature Environnement

Quelles solutions à la croissance exponentielle des DEEE ? La réutilisation des appareils usagés est une première piste. Au niveau international comme en France, l'accent est surtout mis sur le recyclage, et très peu sur la récupération. Dans l'Hexagone, seuls 0,01% des appareils collectés sont réutilisés, via des associations comme Emmaüs et Envie. Or nous estimons que 10% des DEEE pourraient être réemployés ici, dans l'Hexagone.

Peut-on imaginer des appareils moins polluants ? Fabriquer des matériels avec moins de produits toxiques, c'est ce que nous demandons ! Au-delà, l'éco-conception c'est aussi de favoriser la réparation et, ultimement, le démantèlement des appareils – et pas seulement dans les pays en développement. Ainsi, une télévision sera plus facile à réparer si on visse les pièces au lieu de les souder. On peut aussi imaginer des appareils « modulaires », plus faciles à faire évoluer : garder certains composants et pouvoir en ajouter d'autres, cela permettrait d'éviter que ces équipements ne deviennent obsolètes trop rapidement.

Laure Cailloce le 22/03/2010