Les vuvuzelas cassent-elles vraiment les oreilles des supporters ?

Dès 2009, footballeurs, entraîneurs et fédérations de football avaient élevé la voix contre le vacarme des vuvuzelas. Alerté par le phénomène, le South African Medical Journal publie en avril 2010 les résultats d'une étude menée sur 11 supporters ayant accepté de se soumettre à des tests auditifs avant et après match. Des résultats que commente le spécialiste de l'audition Jean-Luc Puel.

Par Paloma Bertrand, le 24/06/2010

Une entrée fracassante dans la Coupe du monde

Vuvuzela

Commercialisé depuis une dizaine d'années en Afrique du Sud, les vuvuzelas ont fait à l'occasion de la Coupe du monde de football une entrée retentissante à la une des médias internationaux. Cette trompe en plastique, qui fait grand bruit, est devenue la star numéro 1 de ce début de compétition, tant sa présence dans les stades soulève de polémique.

Bruit de fond insupportable pour les téléspectateurs, assourdissant pour les joueurs, leurs entraîneurs et les supporters qui ne peuvent ni s'entendre ni donner de la voix, les vuvuzelas sont désormais accusées d'occasionner des troubles de l'audition chez les supporters présents dans les stades. Leurs pics sonores à 141 décibels (dB) dépasseraient le seuil de la douleur.

Pas seulement une question de décibels

L'oreille interne

« C'est dans l'oreille interne que se loge la cochlée, l'organe de l'audition. Si le seuil de la douleur se situe à 130 dB, à partir de 100 dB, le bruit entraine la destruction des cellules sensorielles de l'oreille interne. Du point de vue médical, on ne sait pas remplacer les cellules sensorielles auditives : les pertes de l'audition sont donc irréversibles », souligne Jean-Luc Puel, responsable de l'équipe Physiopathologie et Thérapie des maladies de l'audition à l'Inserm de Montpellier. « Mais pas seulement : à côté des décibels qui indiquent le niveau sonore, il faut prendre en compte le temps d'exposition au bruit et la fréquence des sons : les sons aiguës sont plus dangereux que les sons graves. »

11 cobayes

Que sait-on précisément du son de ces vuvuzelas ? Une étude publiée dans le South African Medical Journal en avril 2010, deux mois avant l'ouverture de la Coupe du monde, nous en dit plus. Les auteurs de la publication, deux chercheurs de l'université de Pretoria, ont choisi une équipe de supporters (onze volontaires), dont quatre souffleurs de vuvuzelas, pour leur faire subir des tests d'audition avant et à l'issue d'un match de championnat tenu dans un stade de 30 000 personnes. Chacun de ces supporters étant aussi pourvu de capteurs pour enregistrer les événements sonores auxquels ils allaient être exposés pendant le match. Les données recueillies par les capteurs sont à première vue sans appel : les pics d'intensité enregistrés vont de 132 dB à 144 dB, et la moyenne des décibels supporté pendant toute la durée du match oscille entre 95 et 106 dB. En revanche, les tests réalisés après le match ne révèlent qu'un impact très faible sur les capacités auditives des supporters. De là à conclure que les vuvuzelas ne sont pas si nocives, il n'y a qu'un pas que Jean-Marie Puel ne franchit pas.

Tout est dans la mesure

« S'exposer une fois à de tels décibels pendant 1h30 n'est pas un acte grave pour la santé. D'ailleurs, les résultats de l'étude ne montrent pas d'incidence, excepté une légère baisse de l'audition sur la fréquence des 2000 Hz », affirme Jean-Luc Puel. « À intensité égale, un son aigu est plus nocif qu'un son grave, et celui des vuvuzelas est plutôt grave. Si l'on considère que le temps d'exposition est la durée d'un match, soit 1h30, c'est bien plus court qu'une soirée en boîte de nuit, par exemple. Mais ce que l'étude ne mesure pas, c'est l'incidence d'une exposition à répétition : qu'en est-il pour des supporters qui s'exposent chaque semaine à de telles intensités sonores ? »

Vuvuzelas à consommer avec modération

«On a un 'capital son' comme on a un 'capital soleil'»

Car, en matière d'oreille, il en est comme de la peau : prendre un grand coup de décibels dans les oreilles, c'est l'équivalent d'un coup de soleil. Selon l'intensité et le temps de l'exposition, les dommages seront plus ou moins forts. Ils se manifesteront sous la forme de sensations de coton dans les oreilles, de bourdonnement ou de sifflement, des manifestations que les aficionados de concerts et boîtes de nuit connaissent bien, et qui généralement disparaissent après une nuit de sommeil. Mais ce qui est plus insidieux, c'est que chacune de ces expositions va entamer le « capital son » de l'oreille. Peu à peu, l'oreille va devenir de moins en moins sensible aux fréquences aiguës, le son d'une trompette semblera moins métallique, le chant des oiseaux sera plus difficile à percevoir, jusqu'à attaquer les fréquences du langage situées entre 500 et 2000 Hz et affecter de manière irréversible la qualité de vie.

Une affaire de style

Selon la société suisse Phonak (fabricant de prothèse auditive) qui a testé la puissance sonore des chants de supporters, des cornes de brume, des groupes de samba, bref de tout ce qui constitue l'apanage du fan de foot, les pics d'intensité tournent dans presque tous les cas autour de 120 dB. L'opposition aux vuvuzelas – ses détracteurs réclament son interdiction dans le stades – serait donc tout autant une affaire d'intensité sonore que de style.

Paloma Bertrand le 24/06/2010