Génération sida : priorité à la pilule ?

Vingt ans après le début de l'épidémie de sida, la pilule reste le moyen de contraception privilégié des Françaises. C’est ce que révèle une étude publiée par l’Institut national des études démographiques (INED).

le 30/11/2002

De la loi Neuwirth à aujourd'hui

Dresser le tout dernier bilan de la contraception en France : tel était l'objectif de cette enquête réalisée fin 2000 auprès de 3 000 femmes en âge de procréer. Pour cela, il a fallu passer au crible à la fois les méthodes contraceptives les plus pratiquées et le profil de leurs utilisatrices. Au passage, une question essentielle a dû être tranchée : l’épidémie de sida, qui dure depuis vingt ans, a-t-elle modifié les pratiques contraceptives de la population étudiée?

Les méthodes de contraception de 1978 à 2000

Cette enquête est le dernier volet d'une série d'études menées depuis 1970 pour tenter de mesurer l'évolution des comportements des femmes depuis l'adoption de la loi sur la régulation des naissances ou loi Neuwirth en 1967. Selon cette enquête, «la pilule qui était déjà en 1978 la méthode la plus utilisée, ne cesse de progresser, passant de 40% à 60% de l’ensemble des utilisatrices en vingt-deux ans. Le stérilet a aussi progressé dans la première décennie puis s’est stabilisé ensuite vers 23%.»

A côté de ce résultat qui consacre le succès des méthodes médicales de contraception, il y a une demi-surprise, c'est la faible progression du préservatif comme méthode de contraception. Le préservatif représente désormais les deux-tiers du groupe des méthodes de contraception dites réversibles (retrait, abstinence périodique, spermicides...), mais l'ensemble de ce groupe enregistre durant la même période une chute de 43% à 16%.

Les femmes de la génération sida

Henri Leridon (INED/INSERM) : «Les disparités régionales ou sociales se sont considérablement réduites.»

Promu depuis 1987 comme moyen de prévention de l’infection à VIH, spécialement chez les jeunes, le préservatif aurait pourtant pu entamer la suprématie de la pilule.

Il n’en est rien. Si l’emploi de la pilule a augmenté à tous les âges, en 2000 elle est l’apanage des femmes les plus jeunes, 86% des 20-24 ans et 83% des femmes de 18-19 ans, autrement dit celles qui appartiennent à “la génération sida“ et qui, à l’inverse de leurs parents, n’ont en somme jamais perçu le préservatif comme un outil de contraception.

Contraception et/ou prévention des MST ?

Selon l’étude de l'INED, « à 18-19 ans, 28 % des utilisatrices de la pilule ont aussi recours au préservatif. » La double protection semble donc avoir les faveurs des jeunes. Cependant, fort logiquement, dès qu’une relation devient stable, la protection en latex est abandonnée.

Henri Leridon



« L’usage de la pilule est maximum chez les plus jeunes mais diminue avec l'âge.»

Christian Saout, président de Aides

 



« En tant que moyen de prévention des MST, (...) le préservatif est de moins en moins utilisé pour cause de lassitude et de relâchement de la vigilance. »

Une nouvelle loi

En matière de contraception, l'usage du préservatif n'avait aucune chance d' être relancé. Un nouveau cadre légal ainsi que de récents progrès des techniques contraceptives sont venus sérieusement le concurrencer.

Christian Saout : « La promotion du préservatif n'a pas été assurée.»

Parmi les mesures importantes mises en oeuvre en 2001, citons le lancement d’une nouvelle contraception d’urgence, la pilule du lendemain (Norlevo) vendue librement en pharmacie et délivrée gratuitement aux mineures ; l’autorisation donnée aux mineures d’accéder à une contraception sans contrôle parental ; la mise en vente de deux nouvelles méthodes contraceptives : le préservatif féminin (cher, pas très au point mais qui pourrait permettre aux femmes d’être autonomes dans leur contraception et dans leur prévention vis-à-vis du VIH) et un implant contraceptif plus facile d’emploi.

Dr J. Nataf-Maurin, gynécologue à Brignoles (Var)




« ...prescription de pilule ne veut pas dire arrêt des préservatifs. C’est seulement quand la relation est complètement stable et de façon certaine qu’on peut faire un test et arrêter les préservatifs. »

Une mauvaise communication

Une dernière raison à la désaffection du préservatif est avancée par Christian Saout, président de AIDES : « La communication publique autour des risques liés à la sexualité, que ce soit le risque d’avoir une grossesse non désirée ou le risque d’avoir une maladie sexuellement transmissible, a été mal faite. »

Christian Saout, président de Aides

Pourra-t-on espérer une nouvelle communication nationale autour des risques liés à la sexualité comme il y a une communication nationale autour des risques liés au tabac, à la route, à l’alcool ? « C’est le mieux qu’on puisse attendre de ce nouvel institut qu’est l’INPES (Institut national pour la prévention et l’éducation à la santé), affirme Christian Saout. Il faut une vision globale alors que pour l’instant nous n’avons que des visions parcellisées, juxtaposées, petit bout par petit bout, avec des incohérences. »

Les associations ont, bien entendu, elles aussi, un rôle à jouer notamment pour faire passer les messages en faveur du préservatif et de l'intérêt de la double protection, pilule et préservatif.

Encore 210 000 avortements

Henri Leridon : « Des echecs liés à de mauvaises utilisations des méthodes. »

En dépit d’une médicalisation croissante de la contraception en France et de l’efficacité avérée des méthodes employées, le nombre des grossesses non voulues et donnant lieu à une interruption volontaire de grossesse (IVG) ne diminue pas (210 000 IVG en 2001).

« L’absence de contraception, chez 5% des femmes âgés de 20 à 44 ans ajoutés aux 16% de femmes continuant à utiliser des méthodes “traditionnelles“ moins sûres explique en partie la stabilité du nombre des avortements, précisent les auteurs de l’étude. Mais les échecs sont sûrement encore nombreux parmi les utilisatrices de la pilule et du stérilet… »

L'enquête continue...

Dr Nataf-Maurin : « Une pilule oubliée un jour, c’est le risque pour les 10 jours qui suivent. »

Pour le vérifier, une seconde enquête doit être lancée l’année prochaine. L’échantillon sera composé d’une part des 3 000 femmes interrogées lors de la première étude - et qui seront suivies pendant cinq ans -, d’autre part d’un deuxième échantillon pour atteindre 5000 personnes en continu.

« Ce que nous espérons pouvoir mieux observer à travers le suivi du premier groupe de femmes, explique Henri Leridon, directeur de l’unité de recherche sur la reproduction Ined/Inserm, c’est l’évolution de leurs pratiques, les circonstances des arrêts de contraception, les raisons des échecs ainsi que les modalités d’accès à l’IVG en France et mieux comprendre la façon dont elles se protègent contre le risque de grossesse quand elles arrêtent une méthode et leurs comportements en cas d’exposition à une grossesse non voulue avec en particulier la diffusion de la contraception du lendemain qui permettra d’éviter des avortements ultérieurs. »

le 30/11/2002