Nobel 2002 : qui sont les nouveaux lauréats ?

Aucun Français n’a été distingué au palmarès des Nobel scientifiques (médecine, physique, chimie et économie). Sur les onze lauréats, on compte huit Américains. A l’honneur cette année : la mort programmée des cellules, les neutrinos, la structure des protéines et l’économie expérimentale.

Par Vincent Colas, le 26/11/2002

Prix Nobel de médecine 2002

Caenorhabditis elegans, un minuscule ver de terre, a permis à deux Britanniques, Sydney Brenner et John Sulston, et à un Américain, Robert Horvitz, d’être récompensés du prix Nobel de médecine 2002.

Complémentaire, la somme des travaux des trois Nobel a permis de comprendre les mécanismes centraux de l’apoptose – la mort programmée des cellules – et a ainsi contribué à la réinterprétation actuelle de la survenue de nombreuses maladies comme le cancer, le sida ou les maladies neurodégénératives.

C’est Sydney Brenner, aujourd’hui chercheur à l’institut des Sciences moléculaires de Berkeley (Californie), qui a choisi un ver d’un millimètre comme modèle pour étudier les processus de différenciation des cellules dans les années soixante. Un choix justifié par la capacité de reproduction rapide de ce ver, le fait que ce soit un animal multicellulaire et, ultime avantage, qu’il soit transparent, ce qui permet de l’étudier au microscope. Les travaux de Brenner sur ce ver lui ont permis de découvrir que les mutations génétiques pouvaient être déclenchées artificiellement et, qu’à chaque mutation ou presque correspond un gène spécifique.

En 1969, John Sulston rejoint Sydney Brenner à Cambridge. En 1990, il publie la première carte d’identité génétique du ver, travail finalisé en 1998 par une « cartographie au gène près », montrant que les 1090 cellules du ver suivent le même programme de division et de différenciation. .

Enfin, Robert Horvitz découvre et caractérise les gènes clés qui commandent la mort programmée des cellules du ver. 131 des 1090 cellules formées durant la croissance sont éliminées grâce à un processus de mort programmée, avant d’arriver aux 959 cellules du ver adulte normal. Il met aussi en évidence un autre gène évitant le déclenchement intempestif de ce processus, ainsi que des « gènes éboueurs » chargés de l’élimination des cellules mortes.

Ce suicide programmé des cellules permet aux organismes vivants de passer du stade embryonnaire au stade adulte. Ainsi, c’est grâce à ce mécanisme que le têtard se transforme en grenouille ou que le fœtus humain, aux doigts et pieds palmés, perd ses petites membranes qui relient doigts et orteils. A contrario, un défaut dans la programmation provoque une prolifération anormale des cellules et génère des maladies comme les cancers.

Prix Nobel de physique 2002

C’est grâce à leurs travaux en astrophysique que, d’une part, Raymond Davis Jr. (États-Unis) et Masatoshi Koshiba (Japon) pour leurs recherches sur les neutrinos et, d’autre part, Riccardo Giacconi (États-Unis) pour la découverte de la première source de rayons X extérieure à notre système solaire, ont été récompensés du prix Nobel de physique.

L’existence des neutrinos - particules élémentaires très abondantes dans l’Univers - avait été formulée dès 1930 par Wolfgang Pauli, prix Nobel 1945, pour étayer ses travaux théoriques et démontrée expérimentalement vingt-cinq ans plus tard par Frederick Reines, prix Nobel 1995. 

Longtemps le problème a été de capturer cette particule électriquement neutre, insensible aux champs magnétiques et d’une masse si faible qu’elle n’a été mesurée que récemment par le Sudbury Neutrino Observatory canadien. Raymond Davis Jr. a construit un détecteur de neutrinos au fond d’une mine du Dakota, réussissant ainsi à en piéger 2000 en trente ans.

Avec un autre détecteur, baptisé Kamiokande, l’équipe de chercheurs dirigée par Masatoshi Koshiba piège, le 23 février 1987, 12 des 1016 neutrinos émis lors de l’explosion d’une étoile. Pour l’Académie royale de Suède qui décerne les prix Nobel,
« les travaux de Davis et Koshiba sont à l’origine de découvertes inattendues et d’un nouveau domaine très actif de la recherche : l’astronomie des neutrinos. »

Ce prix Nobel couronne également les recherches de Riccardo Giacconi qui a conçu un appareil permettant de découvrir la première source de rayons X extérieure à notre système solaire. Il est aussi le premier à constater que l’univers contient un rayonnement ambiant de lumière X. «Sa contribution au développement d’appareils a donné naissance à l’astronomie des rayons X» conclut l’Académie royale.

Prix Nobel de chimie 2002

Le prix Nobel de chimie 2002 a récompensé des spécialistes de la spectrométrie de masse (SM) et de la résonance magnétique nucléaire (RMN). Les lauréats, John B. Fenn et Koichi Tanaka (pour la SM) et Kurt Wüthrich (pour la RMN), ont mis au point de nouvelles méthodes d’analyse des macromolécules biologiques, faisant de la biologie chimique la « grande science » de notre temps. Les chimistes peuvent désormais rapidement identifier les différentes protéines que contient un échantillon et même obtenir des images en trois dimensions réalistes des molécules de protéines afin de comprendre leur fonctionnement au sein d’une cellule.

La spectrométrie de masse (SM) a été adoptée par quasiment tous les laboratoires de chimie pour identifier une substance dans un échantillon. Les lauréats, John B. Fenn et Koichi Tanaka, grâce à leurs travaux, ont permis de l’étendre à des molécules de grande taille.

La résonance magnétique nucléaire (RMN) apporte, quant à elle, des informations sur la structure et la mobilité des molécules. Kurt Wüthrich a perfectionné cette méthode qui désormais peut calculer la structure tridimensionnelle des protéines.

Ces nouvelles techniques ont servi au développement de médicaments. D’autres applications pourraient voir le jour dans des domaines aussi divers que le contrôle alimentaire (aliments dépourvus de substance toxique) ou le dépistage précoce de certaines maladies (cancer du sein, de la prostate, paludisme…).

Prix Nobel d’économie 2002

Deux pionniers dans leurs domaines de recherches ont été couronnés par le prix Nobel 2002 d’économie. Daniel Kahneman de l’université de Princeton (États-Unis) a intégré les acquis de la recherche en psychologie à l’analyse économique, posant ainsi les bases d’un nouveau domaine de recherche. Vernon L. Smith de l’université de George Mason (États-Unis) a, quant à lui, établi les principes de l’économie expérimentale.

Traditionnellement, la théorie économique repose sur l’hypothèse de l’ « homo oeconomicus » qui présume que les comportements sont guidés par l’intérêt personnel et la rationalité. Mais durant ces vingt dernières années, cette théorie a été remise en cause par les analyses des psychologues cognitifs sur le jugement humain et la prise de décision, ainsi que par les partisans de l’économie expérimentale qui ont éprouvé des modèles économiques en laboratoire.

Kahneman, psychologue de formation, a démontré que la décision d’un individu s’écarte systématiquement des prévisions de la théorie économique traditionnelle, introduisant une « variable d’irrationalité » dans les calculs. Avec Amos Tversky, psychologue décédé en 1996, il a développé la prospect theory, qui concorde mieux avec les attitudes observées. Ses travaux ont poussé des chercheurs en économie et en finance à enrichir la théorie économique grâce à des acquis de la psychologie cognitive sur la motivation intrinsèque de l’individu.

Smith a, quant à lui, défini un ensemble de méthodes expérimentales qui sont devenues autant de règles pour toute expérience fiable de laboratoire. Il a ainsi été le premier à tester en laboratoire les règles du jeu des nouveaux marchés (marchés déréglementés de l’électricité, attribution de créneaux aériens…). Cet apport a eu une influence déterminante dans la reconnaissance de l’économie expérimentale comme outil de l’analyse empirique de l’économie.

Vincent Colas le 26/11/2002