Sida : quels vaccins à l'essai ?

Près de vingt ans après la découverte de l’agent causal de la maladie du sida, le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), près d’une centaine de candidats-vaccins sont développés dans le monde, mais aucun n’a encore fait ses preuves. Les techniques classiques d’élaboration d’un vaccin ne peuvent être utilisées devant ce virus très spécial…

Par Isabelle Huau et Françoise Nourrit, le 12/02/2003

Les ruses d'un virus

Cellule productrice du VIH responsable du sida

Le virus du sida (VIH) a pour caractéristiques d'infecter et de s'attaquer directement aux cellules qui protègent notre corps des agressions (lymphocytes T) et de provoquer leur mort. De plus, il peut se “cacher” dans des endroits inaccessibles aux défenses de l'organisme comme les cellules intestinales. Et lorsqu'il est “découvert”, il change de visage en déformant des protéines qui le recouvrent.

Le principe d'un vaccin étant d'enregistrer un “portrait-robot” du virus ennemi, on comprend la difficulté d'élaboration d'un vaccin devant cet ennemi aux multiples visages. Cette capacité à “muter” interdit de fabriquer un vaccin à partir de virus tués ou inactivés, le risque qu'une forme dangereuse réapparaisse étant trop grand. Les chercheurs doivent donc trouver des parades inédites capables de piéger ce virus.

Produire des anticorps spécifiques

La première stratégie pour vacciner contre le VIH consiste à utiliser des protéines qui se trouvent à la surface du virus : le corps va alors s’exercer à reconnaître ces facteurs étrangers. S’il rencontre ensuite un virus couvert de ces protéines, il produira des anticorps spécifiques en grand nombre. Mais cette approche a une faille : dans le cas du VIH, les protéines de surface sont précisément celles qui varient le plus !

Stratégie vaccinale étudiée par Vaxgen...

En outre, jusqu’à présent, on n’est jamais parvenu à générer des anticorps très puissants, capables de neutraliser le virus avant qu’il n’entre dans les cellules, mais les recherches se poursuivent...

Cette approche a été utilisée par la compagnie américaine Vaxgen qui a développé un vaccin contre le sida à base de gp120, une protéine de surface du virus. Son produit est actuellement en cours d’essai de phase III sur plusieurs milliers de personnes en Thaïlande, aux États-Unis et en Hollande. Les premiers résultats sont attendus début 2003.

Quelle est la procédure d'essais d'un vaccin ?

Avant de commencer les tests sur l'homme, les essais doivent avoir obtenu l'avis favorable d'un Comité consultatif pour la protection des personnes participant à une recherche biomédicale. Les essais se déroulent en trois temps sur des volontaires.

Phase I : Mesure la toxicité du vaccin et sa capacité à induire des réponses immunitaires sur un petit nombre de volontaires sains.

Phase II :
Le produit est évalué sur un plus grand nombre de personnes saines.

Phase III : Produit testé sur plusieurs milliers de volontaires appartenant à des groupes exposés aux risques de contamination. Il faut tester les effets du vaccin pendant au moins trois ans sur une très large population pour voir une différence avec les personnes non vaccinées.

Stimuler les lymphocytes T tueurs

La deuxième stratégie pour vacciner contre le VIH consiste à stimuler les lymphocytes T tueurs, des cellules du système immunitaire capables de détruire les cellules infectées avant qu’elles ne propagent l’infection. Pour cela, le vaccin doit apporter des « signes de reconnaissance » du virus d’une façon particulière : les fragments de virus doivent pénétrer à l’intérieur des cellules afin qu’elles miment les cellules infectées.

Il y a plusieurs possibilités : tout d’abord injecter à l’organisme des portions de matériel génétique du virus. Ce sont les vaccins « ADN nu ». Les cellules auront ainsi toutes les informations pour synthétiser quelques protéines ou peptides (fragments de protéines) du VIH qu’elles vont montrer aux cellules tueuses, comme elles l’auraient fait si elles contenaient du virus.

Campagne ANRS vue par Pierre Sonigo, co-directeur du Dpt maladies infectieuses, Institut Cochin

Une autre astuce pour mimer l’infection consiste à faire rentrer des fragments de gènes du VIH dans un vecteur viral inoffensif pour l’homme, comme le virus de la variole du canari. Là aussi, les gènes pénètreront à l’intérieur des cellules.

Enfin, il y a les lipopeptides. Il s’agit de portions de protéines du VIH auxquelles on a attaché une queue de lipides pour les aider à rentrer dans les cellules. L'ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida) utilise cette stratégie pour sa campagne de vaccination : une série d'au moins huit essais concernant les formulations, les doses, les voies d'administration des lipopeptides ont été programmés d'ici 2006-2007.

Protéger contre les différentes souches du VIH

Une autre difficulté dans la mise au point d’un vaccin contre le sida tient au fait qu’il existe différentes souches de VIH suivant les zones géographiques.Un vaccin à base d’ADN du VIH et prenant en compte différents sous-types du virus a été développé par le Centre de recherche sur les vaccins de l’Institut national sur les allergies et maladies infectieuses (Maryland, États-Unis). Il vient d’entrer en phase d’essai clinique aux États-Unis sur un groupe de 50 volontaires séronégatifs âgés de 18 à 40 ans.

Vaccin muqueux

L’ANRS devrait commencer en 2003 des essais sur l’homme d’un vaccin administré par voie vaginale et rectale constitué d’une protéine du VIH pour stimuler la production d’anticorps particuliers, des anticorps « muqueux ». L'objectif d'un vaccin muqueux serait de proposer un moyen de prévention contre les transmissions sexuelles responsables de 80% des contaminations.

Vaccin préventif ou vaccin thérapeutique ?

Question au Dr Pialoux, Hôpital Rotschild

Actuellement, il semble difficile d'envisager un vaccin bloquant totalement l'infection virale. La recherche s'oriente plus vers un vaccin assurant une protection partielle, laissant se multiplier une quantité limitée de virus qui ne déclenchent pas la maladie. Outre un certain effet protecteur chez les personnes non atteintes, un vaccin pourrait être aussi utilisé dans une optique thérapeutique : administré aux personnes infectées, il permettrait de stimuler leur système immunitaire pour l’aider à lutter contre le virus. Un des bénéfices serait notamment de permettre des interruptions de traitement.
Dans ce domaine, l’ANRS vient d’annoncer des résultats encourageants à la 10e conférence américaine sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI, Boston, 10 au 14 février 2003). Une réponse immunitaire dirigée contre le VIH a été observée chez environ 60% des patients séropositifs traités par un vaccin thérapeutique. Certains patients ont même pu interrompre le traitement antirétroviral pendant plusieurs mois. Le vaccin administré consiste en des fragments d’ADN du VIH intégré dans le virus de la variole du canari (Alvac, Aventis Pasteur) et vise à stimuler les lymphocytes T tueurs.

La Thaïlande vient également de se lancer dans ce type de thérapeutique. 16 000 volontaires infectés et traités par des antirétroviraux vont tester deux vaccins : soit l’Alvac, soit le VaxGen (correspondant à l’injection de protéine gp 120 du VIH) afin de stimuler, dans ce cas, la production d’anticorps spécifiques.

Pierre Sonigo, co-directeur du département des maladies infectieuses, Institut Cochin




Quelle serait l'approche la plus prometteuse
pour développer un vaccin ?

Dans le meilleur des cas et en étant très optimiste, un vaccin ne peut pas être mis sur le marché avant 2005, voire même 2010. Quelle sera son efficacité ? Quel en sera le prix, qui pourra y accéder ? Ces questions montrent que la prévention reste primordiale : l'espoir de disposer un jour d'un vaccin ne doit surtout pas faire baisser la vigilance...

Mis à jour par Isabelle Bousquet Maniguet

Récapitulatif des différentes approches vaccinales

Isabelle Huau et Françoise Nourrit le 12/02/2003