Nanomatériaux : nouvel eldorado...à risques ?

Alors que l’Académie des Sciences demande, dans un rapport publié en avril 2004, un plan national de recherche sur les nanotechnologies, les études d'impact sur l’environnement et la santé humaine se multiplient.

Par Gaelle Multier, le 04/06/2004

Une révolution à ''ne pas manquer''

Cristal de fullerènes

Considérant l’enjeu « comparable à la naissance des semi-conducteurs dans les années 50 ou au laser dans les années 60 », le rapport de l’Académie des sciences* recommande le lancement d’ «un programme majeur, interministériel, destiné à doter le tissu de recherches français d’une organisation et de moyens propres à assurer au pays une position de premier plan » dans le domaine des nanotechnologies ainsi que la création d’une « Agence nationale des nanosciences et nanotechnologies ».

En janvier 2003, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques réclamait déjà un appui des pouvoirs publics français dans la recherche en nanotechnologie et proposait de mettre en place un crédit d’impôt recherche significatif. Claude Saunier, sénateur des Côtes d’Armor et rapporteur du texte, soulignait alors qu’il « faut prendre conscience que les nanotechnologies devraient stimuler la croissance économique mondiale dans les dix à quinze années à venir et que la France ne doit pas être exclue de cette révolution ».

* Rapport “Nanosciences, Nanotechnologies“ n°18 - avril 2004

Lexique : ''nanotechnologie'', ''nanomatériau''...

Nanotechnologie : Ensemble des techniques qui permettent de manipuler - c’est-à-dire de fabriquer, de déplacer, d’assembler…- des matériaux, des objets en contrôlant la matière à l’échelle nanométrique (entre 1 nanomètre, soit un milliardième de mètre, et 100 nanomètres) dans le monde des molécules et des atomes. A cette nanoéchelle, les atomes évoluent dans le royaume de la physique quantique. Les attractions entre les atomes sont très supérieures à la gravité. Il apparaît alors de nouvelles propriétés biologiques, chimiques, et physiques.

Nanomatériau : Matériau dont la taille physique est de l'ordre du nanomètre, soit un milliardième de mètre, ou un millionième de millimètre. A cette échelle, il peut révéler une force extraordinaire, une tolérance à la température, une réactivité chimique et une conductivité électrique, du jamais vu à l’échelle de la micro ou de la macro…

Nanotubes de carbone : Assemblage d'atomes ayant une taille de l’ordre du nanomètre (1 nm = un milliardième de mètre) et une forme cylindrique. Les nanotubes ont été observés la première fois en 1991 par Sumio Iijima, un chercheur japonais. Comme les autres objets de taille comparable mais sphériques (fullerènes…), ils appartiennent à la famille des nanoparticules.

Fullerènes : En 1985, H. Kroto, R. Smalley et R.F. Curl découvrent une nouvelle forme d'organisation du carbone, la molécule C60. La molécule C60 comprend 60 atomes de carbone disposés aux sommets d'un polyèdre régulier de 0,7 nm de diamètre et dont les facettes sont des hexagones et des pentagones. Elle a la forme d’un ballon de football.

Pour un nouvel eldorado ?

Des batteries au lithium aux nanofils pour l'électronique, des nanomédicaments aux écrans plats... Les caractéristiques inédites des nanomatériaux promettent de nombreuses applications révolutionnaires. D'après le rapport de l'Académie des sciences, les investissements dans ces recherches se mesurent désormais en milliards d'euros par an et on évoque un marché mondial futur d'un millier de milliards d'euros par an.

Les nanotubes de carbone sont dix fois plus rigides que l'acier.

Certaines applications utilisant des nanotubes de carbone sont déjà effectives sous forme de prototype.

« Il y avait un problème d’adhésion de peinture sur les parties composites des voitures. Alors chez Nissan, on a pensé remplacer les solvants par des nanotubes qui ont des fonctions de conducteur électrique et qui permettaient à la peinture de mieux adhérer au composite », explique Annick Loiseau, ingénieur à l'Onera, enseignante au DEA de Métallurgie spéciale d'Orsay, codirectrice du GDR Nanotubes du CNRS.

« On pense à des applications médicales pour des prothèses. Le carbone est beucoup mieux accepté par l'organisme que n'importe quel métal. Les nanotubes peuvent fonctionner dans des environnements difficiles comme dans les milieux salés. On réfléchit aussi aux muscles artificiels car ils ont la capacité extraordianire de se déformer 40 fois plus qu'un muscle. »

Cependant, il n'existe aujourd'hui aucune commercialisation grand public des nanotubes de carbone, et ce alors que la méfiance envers une production de masse de ces nanomatériaux commence à poindre.

Vecteur de médicaments ou nouveau polluant ?

En effet, alors que beaucoup s’interrogent sur les actions à mener pour ne pas rater « le train en marche », d’autres se soucient depuis plus de dix ans de l’ampleur de l’impact de ces nanomatériaux sur l’environnement et la santé. C’est la publication en 2002 d’un rapport de l’ETC Group (Action Group on Erosion, Technology, and Concentration) qui fait débat.

Le communiqué d'ETC Group...

Il demande l’interdiction de toute production de nanoparticules dans l’attente de résultats d’enquêtes sur les éventuels effets néfastes pour l’environnement. Ce rapport cite en particulier les résultats d’études sur des nanoparticules inorganiques qui pourraient être utilisées comme vecteurs de médicaments dans le corps humain. Ces nanoparticules, entourées d’une couche d’or, se sont révélées pénétrer dans les cellules vivantes et s’accumuler dans le foie des animaux de laboratoire...

''Il existe une grande variété de nanotechnologies...''

« Cela est souhaitable dans certaines applications médicales. Mais ce qui est bon en terme de devenir des médicaments pose peut-être des problèmes en terme d’environnement. Une fois que ces particules sont entrées dans la cellule, on ne sait pas si elles sont inoffensives. On ne connaît pas encore leurs effets », explique Mark Wiesner, professeur au département Civil and Environmental Engineering du CBEN. Aujourd’hui, selon l’ETC Group, 55 entreprises dans le monde fabriquent des nanotubes de carbone (comme Nanoledge en France) et au moins 30 produisent en masse des fullerènes.

Récentes études aux Etats-Unis...

Jusqu’à présent, seules quelques rares études ont été menées sur l’impact des nanomatériaux sur l'environnement et la santé. Aux États-Unis, les recherches se sont portées notamment sur la mobilité de ces nanomatériaux dans l’environnement.

Quid de la toxicité des nanomatériaux ? Mark Wiesner, professeur au CBEN

Pour Mark Wiesner, la question est : “Est-ce que les gens qui fabriquent ces nanotubes de carbone sont susceptibles de les respirer ? A la Rice University, des travaux ont permis de conclure que la mobilité de ces matériaux est assez limitée car ils ont une certaine tendance à exister comme les petites masses de poussière que l’on trouve sous le divan “.

Seulement, une fois inhalés par des organismes vivants, ont-ils des effets néfastes ? Des chercheurs de la NASA , de l’University of Texas Medical School en collaboration avec la Rice University sont actuellement en train d’étudier la toxicité de ces nanotubes de carbone introduits directement dans les poumons des souris.

En janvier 2004, deux études effectuées par l’équipe de Chiu-Wing Lam de la NASA et publiées dans le journal Toxicological Sciences ont montré la toxicité des fibres de nanotubes de carbone sur les poumons des rats. Les chercheurs ont injecté trois types de nanotubes dans les bronches des rats. Trois mois plus tard, les cobayes souffraient de granulomas, des réactions inflammatoires susceptibles de dégénérer en tumeurs.

De plus, Eva Oberdoster, de l’université méthodiste de Dallas a mis en évidence un effet toxique des fullerènes - nanomatériaux qui pourraient servir comme transporteur ciblé de médicament - sur des daphnies, des petits crustacés. Lors de son étude qu'elle a présenté lors d'une réunion de l'American Chemical Society en avril 2004 (Compte-rendu de l'ETC Group), après 48 heures d'exposition à des concentrations de fullerènes de 500 parties par milliard, les daphnies présentaient un tissu cérébral endommagé.

...et en France

Comment évaluez-vous l'impact des nanotubes sur la santé ? Patrick Bernier (CNRS)

En France, un seul laboratoire étudie l’impact des nanotubes de carbone sur la santé, celui dirigé par Patrick Bernier (Groupe de dynamique des phases condensées, CNRS).

Les premiers résultats obtenus en collaboration avec l’université de pharmacie de Montpellier montrent qu’il n’y a pas, a priori, de réactions inflammatoires des cellules vivantes aux nanotubes de carbone.

Mais, selon Patrick Bernier, la grande variété des produits et des protocoles expérimentaux ne facilite pas les comparaisons. Patrick Bernier souligne notamment la nécessité de conduire une étude sur ce sujet à une échelle européenne, voire mondiale.

Des budgets dérisoires

Les budgets dédiés à ces recherches sont restreints.

Nanotubes de carbone, un nouvel eldorado ? Patrick Bernier (CNRS)

Aux États-Unis par exemple, sur les 700 millions de dollars accordés à la National Nanotechnology Initiative, seuls 500 000 dollars sont consacrés à l’étude de l’impact des nanomatériaux sur l’environnement. De plus, « les fullerènes et les nanotubes sont des produits plus chers que l’or. C’est extrêmement difficile à obtenir et relativement cher, et même les chercheurs qui veulent travailler sur les impacts de ces matériaux ont du mal à en obtenir », souligne Mark Wiesner.

Cependant, comme l'affirme Vicki Colvin, directeur du CBEN, « la nanotechnologie a une occasion unique dans l’histoire de la technologie : elle pourrait être la première technologie de plate-forme qui introduit une culture du respect de l’environnement aussi tôt dans son cycle de développement ».

Les budgets des nanotechnologies dans le monde

En janvier 2000, le programme NNI (National Nanotechnology Initiative) a été mis en place aux Etats-Unis. Il a permis de multiplier par un facteur 5 le budget national consacré aux nanotechnologies : 116 M$ en 1997, 270 M$ en 2000, 422 M$ en 2001, 519 M$ en 2002 (sources : Nanoelectronics Roadmap CE Nov.2000/ NNI 2001).

La décision de soutenir, à un haut niveau, ce secteur d'activité a été plus tardive au Japon. 131 M€ en 1997, 157 M€ en 1999, 268 M€ en 2000, 469 M€ en 2001, 640 M€ en 2002 (sources : Nanoelectronics Roadmap CE Nov. 2000/NNI 2001).

Pour l'Europe, ce sont les États membres qui ont le plus largement contribué à l'effort européen. Le financement, pour la période 1997-2000, est passé de 130 M€ à 184 M€ (dont 20 M€/an au titre de la Commission Européenne )(sources : Nanoelectronics Roadmap CE Nov. 2000 - CEA-DRT Nov. 2001).

Pour la Corée, le financement en 2002 est de 150 M$.

Pour 2003
, les Etats-Unis comptent investir 750 M$ dans le cadre du programme NNI. (Ce montant ne prend pas en compte les financements propres à chaque état - ceux-ci pouvant être globalement du même ordre).

Les financements prévus par le Japon sont de 1000 M$, pour la Corée 150 M$.

Pour l'Europe, la participation de la Commission Européenne dans le cadre du 6ème PCRD doit être de l'ordre de 180 M€/an. On estime que, compte tenu des financements apportés par les États membres, l'effort global eu Europe pourrait être de l'ordre de 850 M€/an environ (sources : European Nano business Association Oct. 2002). Ce budget sera dédié à la connaissance de ces nouveaux matériaux, ainsi qu’à leurs applications. Néanmoins, une partie sera consacrée à la gestion durable des déchets, la maîtrise des risques et la réduction de la dissémination des substances dangereuses dans l’environnement.

Gaelle Multier le 04/06/2004